Après trois ans de négociations difficiles dans un contexte de polarisation géopolitique et de crise des institutions multilatérales dans le domaine de la santé, l’Assemblée générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 194 États membres, a approuvé l’accord international sur les pandémies, en ce mois de mai 2025.
Cet accord reste encore incomplet: une annexe de l’accord, relative au système d’accès aux agents pathogènes et de partage des avantages (Pathogen Access and Benefit-Sharing, PABS), reste à négocier. Ce n’est qu’alors et quand au moins soixante États l’auront ratifié au niveau national qu’il entrera en vigueur.

Le contexte
Si la pandémie de covid-19 est maintenant oubliée par l’opinion publique et a disparu de l’agenda politique international, elle aura pourtant représenté une crise sanitaire et socio-économique sans précédent de mémoire d’homme : 30 millions de décès; à son apogée, en 2020, 90 % des écoliers sans école; plus de 150 millions de personnes basculant dans l’extrême pauvreté; 22 000 milliards de dollars de production économique perdus entre 2020 et 2025.
Cette pandémie continue d’avoir un impact important sur nos vies: le covid long affecte près d’un adulte sur sept aux États-Unis; la reprise économique s’opère dans les pays riches, mais s’essouffle dans les pays pauvres surendettés; la crise économique et le repli sur soi survenus du fait de la pandémie constituent un facteur important de la polarisation géopolitique que l’on observe aujourd’hui. «Les pays continuent d’augmenter leurs budgets militaires, mais semblent peu disposés à se préparer à un “ennemi invisible” – un agent pathogène provoquant une pandémie qui peut être plus dommageable qu’une guerre», avertit le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Dans un climat de recomposition et d’incertitude géopolitique, la négociation s’est avérée particulièrement difficile, marquée par une forte polarisation des positions entre les pays riches du «Nord» et les pays à revenus faibles ou intermédiaires du «Sud global», conséquence directe des inégalités majeures d’accès aux vaccins et aux traitements constatées pendant la pandémie. L’accord a finalement été conclu au terme de tractations difficiles.
La proposition d’un traité
Lors de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies en décembre 2020, alors que vaccins et traitements n’étaient pas encore disponibles, le président du Conseil européen, Charles Michel, lança l’idée d’un traité international sur les pandémies dans le cadre de l’OMS en 2021. La proposition figurait aussi dans les recommandations prioritaires du Groupe indépendant sur la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies (Independent Panel on Pandemic Prevention, Preparedness and Response, IPPPR) en mai 20211.
L’Assemblée mondiale de l’OMS a établi un groupe intergouvernemental de négociation (Intergovernmental Negotiating Body, INB) au cours de sa deuxième assemblée extraordinaire sur la pandémie en décembre 2021. L’INB avait la charge de préparer cet accord «sur les principes d’inclusion, de transparence, d’efficacité, de leadership des États membres et de consensus».2
Le processus de négociation
L’INB s’est réuni treize fois en sessions de négociation d’une dizaine de jours jusqu’à avril 2025, réunissant des représentants de l’ensemble des 194 pays membres de l’OMS sous la présidence de deux coprésidents élus, la Sud-Africaine Precious Matsoso et le Néerlandais Roland Driece, remplacé par l’ambassadrice française pour la santé mondiale Anne-Claire Amprou en juillet 2024. Avec quatre autres personnalités, les deux coprésidents forment le «bureau» de l’INB, où les six entités régionales de l’OMS se trouvent représentées.
L’essentiel de l’accord sur les pandémies
Le préambule de l’accord reconnaît la responsabilité des États dans la santé de leurs populations et affirme la coordination de l’OMS en matière de prévention, de préparation et de réponse aux pandémies, que lui confère sa Constitution. Il reconnaît également que les différents niveaux de développement des pays engendrent des différences dans leurs capacités respectives à prévenir et répondre aux pandémies.
Le préambule affirme que le concept d’équité a été placé au cœur des travaux de l’INB dès ses premières séances de travail. Il donne un certain nombre de définitions, dont certaines portent sur des sujets sensibles dans le contexte des tensions géopolitiques sous-jacentes à la négociation. Ainsi, l’approche «Une seule santé» souligne que «la santé humaine est étroitement liée et interdépendante de la santé des animaux domestiques et sauvages, ainsi que des plantes et de l’environnement au sens large», et qu’elle «vise à atteindre un équilibre durable, en recourant à une approche multisectorielle et transdisciplinaire intégrée de la prévention, de la préparation et de la réponse aux pandémies, qui contribue au développement durable de manière équitable».
Le corps du texte élaboré par l’INB comporte 37 articles portant sur des domaines divers concernant la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies.
Les principaux points d’achoppement
Les articles 5 (approche «Une seule santé»), 11 (transfert de technologies, connaissances, compétences et expertises pour la production de produits de santé) et 12 (système d’accès aux agents pathogènes et de partage des avantages) sont ceux dont la négociation a été la plus âpre. L’article 12 a ainsi été négocié jusqu’à la dernière minute, et une part importante de la proposition reste encore à négocier avant que l’accord sur les pandémies puisse être soumis à la ratification par les États parties. L’Allemagne, la Suisse et le Japon sont longtemps restés inflexibles sur le mot «volontaire», qu’ils voulaient voir accolé à toute mention d’un transfert de technologies. Ces pays ont mis la pression sur la Commission européenne, qui négociait au nom des 27 pays de l’Union. Et ce, dans un contexte où les industries demandent que l’Union européenne (UE) promeuve une propriété intellectuelle plus forte, un environnement réglementaire plus rapide et où l’UE fait face à la menace d’un déplacement de l’industrie européenne vers les États-Unis. La Fédération internationale de l’industrie du médicament a exercé un puissant lobbying en faveur du maintien de la mention «volontaire» pour caractériser tout transfert de technologies.
D’un autre côté, au moins 80 pays en développement se sont opposés à l’inclusion explicite d’une approche «volontaire» pour le transfert de technologies en cas d’urgence pandémique. Parmi eux, les membres du groupe Afrique (47 États) et du groupe sur l’équité (plus de 30 États).
Certains pays à revenus limités n’hésitent pas à dire qu’ils ont été mis sous forte pression par le bureau de l’INB pour accepter des compromis et retirer des propositions, notamment sur le système d’accès aux agents pathogènes et de partage des avantages (PABS) et au chapitre du financement. À plusieurs reprises, les positions de certains pays se sont polarisées ou bloquées du fait d’une méfiance entre entités négociatrices entretenue par des facteurs géopolitiques, due à des conflits en cours, à l’inégalité vaccinale ressentie durant le covid-19 ou à d’autres considérations.
Ce sont finalement les priorités des pays à revenus élevés et de l’industrie pharmaceutique qui ont prévalu pour la rédaction du texte définitif, tant en ce qui concerne la protection de la propriété intellectuelle que le caractère volontaire du transfert de technologie – même si le mot «volontaire» n’y figure pas.
Un système d’accès aux agents pathogènes et de partage des avantages (PABS, article 12)
Aucune règle, dans l’état actuel des choses, ne contraint les autorités d’un pays à partager avec la communauté internationale des échantillons biologiques ou la séquence génétique d’un agent pathogène émergent. Ce partage des données est néanmoins essentiel pour permettre un développement rapide de tests diagnostiques, de vaccins et de traitements.
Les pays à revenus faibles et intermédiaires hésitent à accepter une obligation dans ce domaine, par crainte qu’ils ne puissent ensuite avoir accès aux produits développés à partir des données partagées. Ainsi, l’Indonésie avait-elle renoncé en 2007 à communiquer à l’OMS des échantillons de virus H5N1, craignant «que des échantillons fournis gratuitement par les pays en développement ne soient utilisés par des entreprises de pays riches pour développer des vaccins et d’autres produits que les premiers ne peuvent pas se permettre3». La Chine avait en revanche publié la séquence du SARS-CoV-2 rapidement4. Les négociations délicates sur le PABS sont rendues plus complexes du fait du protocole de Nagoya5 de la Convention sur la diversité biologique (2010), dans lequel les États se sont engagés à partager des avantages en échange d’un accès à des ressources génétiques.
Un accord définitif sur le PABS n’a pas encore été obtenu. Le texte adopté par l’INB représente un consensus sur le cadre clé d’un système PABS, mais il renvoie les négociations sur sa mise en œuvre et sa déclinaison en droit international dans une annexe qui reste à négocier. Le texte adopté indique que «chaque fabricant participant (ce que recouvre ce terme reste à négocier) mettra à la disposition de l’OMS un accès rapide ciblant 20% de sa production en temps réel de vaccins, de produits thérapeutiques et diagnostiques, concernant l’agent pathogène à l’origine de l’urgence pandémique, avec un seuil minimum de 10% de sa production en temps réel mis à la disposition sous forme de don», le pourcentage restant étant réservé pour l’OMS à des prix «abordables» en fonction de la capacité de chaque fabricant participant. Cette clause compliquée répond à la crainte de l’industrie que des producteurs de petite taille ne puissent fournir 20 % de leur production sous forme de dons en temps réel.
On peut regretter que cet accord ne concerne que les produits de santé et n’englobe pas de clauses concernant un accès équitable aux technologies de santé.
Le transfert de technologies, connaissances, compétences et expertises pour la production de produits de santé (article 11)
Cet article, négocié jusqu’aux toutes dernières heures, énonce qu’en vue d’une production diversifiée de produits de santé liés à la pandémie, les États s’engagent à «promouvoir et faciliter ou encourager le transfert de technologies, tel qu’il aura été convenu d’un commun accord y compris le transfert de connaissances, de compétences et d’expertise technique pertinentes, ainsi que la coopération sur tout autre savoir-faire connexe pour la production de produits de santé liés à la pandémie, en particulier au profit des pays en développement, par des mesures pouvant inclure, entre autres, l’octroi de licences, le renforcement des capacités, la facilitation des relations, des incitations ou des conditions liées à la recherche et au développement, des marchés publics ou d’autres mesures de financement et de réglementation».
L’article 11 dispose par ailleurs que les États s’engagent à publier «en temps opportun des accords de licence visant à promouvoir un accès mondial rapide et équitable aux technologies de santé liées à la pandémie», à «encourager les titulaires de brevets ou de licences pertinents à renoncer ou à facturer des redevances raisonnables, en particulier aux fabricants des pays en développement, en cas d’urgence pandémique» et, «à encourager les fabricants à partager des informations pertinentes pour la production de produits de santé liés à la pandémie, conformément aux lois et politiques internationales ou nationales».
La prévention des pandémies avec l’approche «Une seule santé» (article 5)
Le texte engage les États à promouvoir une approche coordonnée et collaborative «Une seule santé», reconnaissant l’interconnexion entre la santé des personnes, des animaux et de l’environnement. La proposition affirme également la souveraineté des pays dans le traitement des questions de santé publique à l’intérieur de leurs frontières.
Le texte demande que les États prennent «conformément à leur législation nationale ou interne, et compte tenu des contextes nationaux et régionaux, et sous réserve de la disponibilité des ressources, les mesures qu’ils jugent appropriées, en vue de promouvoir la santé humaine, animale et environnementale, avec le soutien, si nécessaire et sur demande, de l’OMS et d’autres organisations intergouvernementales compétentes».
Ainsi rédigé, le texte répond à la préoccupation exprimée par les pays à ressources limitées qui ne disposent pas des moyens leur permettant de s’engager dans un article contraignant sur «Une seule santé». Il met aussi en avant les limites d’un accord négocié à l’OMS. Tôt dans la pandémie, des experts avaient appelé à une politique multilatérale ambitieuse de prévention des risques zoonotiques, comportant par exemple l’arrêt de l’élevage d’animaux sauvages en Chine et une réduction drastique de la déforestation en zone tropicale. Mais de telles mesures sortent d’un cadre de négociation à l’OMS et n’auraient pu être discutées que dans celui de l’Assemblée générale des Nations unies.
D’autres articles du projet d’accord abordent la surveillance (article 4); le renforcement des capacités de recherche et développement diversifiées géographiquement (articles 9 et 10); la mobilisation d’une main-d’œuvre qualifiée, formée et multidisciplinaire pour les urgences sanitaires (article 7); la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement et d’un réseau logistique à l’échelle mondiale (Global Supply Chain and Logistics Network, article 13), dont la structure, la gouvernance et le mode de fonctionnement restent à déterminer; la mise en place d’un mécanisme financier de coordination (article 20). Ce dernier article est particulièrement faible au regard de la nécessité urgente de mobiliser des ressources pour aider les pays à ressources limitées à engager des programmes nationaux de préparation aux risques pandémiques et pour constituer une réserve (ou un accès à une réserve, surge funding) qui pourrait être mobilisable immédiatement en cas d’urgence pandémique.
Les prochaines étapes
L’accord ne sera ouvert à la signature qu’après l’adoption de l’annexe au PABS, qui pourrait intervenir à l’Assemblée mondiale de mai 2026, puis le traité entrera en vigueur 30 jours après sa ratification par soixante pays. La première Conférence des parties (COP) à laquelle est confiée l’élaborer les lignes directrices de l’accord se tiendra ensuite après un an. L’accord n’a pas mis en place de système d’évaluation de la conformité (compliance) à ses dispositions. Les négociations sur ce processus risquent de ne commencer qu’après la tenue de la première COP, et en vue de la COP2. Enfin, le rôle de l’OMS dans la conduite de la mise en œuvre de l’accord sera sans doute entravé par les problèmes de financement actuels de l’organisation après le retrait des États-Unis.
S’il est adopté, et sous réserve des négociations et du consensus sur l’annexe relative au PABS, l’accord sur les pandémies constituera le fondement d’un cadre international structuré de préparation, de prévention et de réponse aux pandémies.
Dans le contexte des récents bouleversements politiques et financiers qui ont affecté l’OMS – et le multilatéralisme en général –, il s’agit d’un résultat positif. L’adoption de ce texte envoie un signal fort aux États-Unis et à l’Argentine qui ont annoncé début 2025 leur retrait de l’OMS pour 2026. On ne peut qu’espérer que les États-Unis, dont la santé publique et la sécurité alimentaire sont menacées par l’extension de l’épidémie de grippe aviaire, rejoindront à nouveau, dans un délai encore imprévisible, la communauté internationale et ses institutions multilatérales.
Les premières réactions à la conclusion de l’accord sont, sans surprise, diverses et dans l’ensemble prudentes. Le monde restera sans doute encore sans accord pandémique en vigueur pendant quelques années, à moins que les pays ne s’accordent sur l’annexe relative au PABS l’année prochaine et ne procèdent à des ratifications rapides par la suite, ce qui est peu probable. L’accord constitue néanmoins le début d’un processus porté à l’avenir par la COP, qui devra concilier les défis de la négociation multilatérale avec l’urgence reconnue par tous du risque pandémique.
- Communiqué de presse du président Charles Michel relatif à un traité international sur les pandémies », Conseil européen, 3 décembre 2020, disponible sur : www.consilium.europa.eu ↩︎
- « Intergovernmental Negotiating Body », Organisation mondiale pour la santé, disponible sur : https://inb.who.int ↩︎
- R. Roos, « Indonesia Details Reasons for Withholding H5N1 Viruses », Center for Infectious Disease Research & Policy, 15 juillet 2008, disponible sur : www.cidrap.umn.edu ↩︎
- S. Singh et al., « How an Outbreak became a Pandemic: A Chronological Analysis of Crucial Junctures and International Obligations in the Early Months of the COVID-19 Pandemic », The Lancet, vol. 398, no 10316, 2021. ↩︎
- « Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique », Convention sur la diversité biologique, 2011, disponible sur : www.cbd.int ↩︎
*Ce texte a été adapté par la rédaction de VIH.org à partir de l’article paru dans la revue “Politique étrangère” 2025:2, 43 -55.