Les États-Unis se retirent de l’OMS: un jeu perdant-perdant

L’OMS et les acteurs de la santé mondiale se retrouvent en état de choc après les annonces retentissantes de l’administration Trump. Ces décisions concernent non seulement l’OMS, mais aussi l’ensemble des institutions de recherche, de santé publique et d’aide au développement américaines. Quel impact ce retrait du premier financeur de l’aide internationale aura-t-il sur la santé mondiale ?

La décision de retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé remonte au premier mandat de Trump. En 2020, il avait signé un décret présidentiel ordonnant ce retrait. Cependant, en janvier 2021, le premier acte du président Biden à sa prise de fonctions fut d’annuler ce décret.

Bien que les acteurs de la santé mondiale se soient préparés à la confirmation de la décision de 2020, c’est la rapidité de sa mise en œuvre et la mise en scène de sa signature qui ont stupéfié. Cette décision semble motivée par un désir de vengeance, dont il est crucial de comprendre la logique.

Le parapheur signé le 20 janvier 2025 devant un public exalté met en avant deux raisons principales : la gestion de la crise du Covid-19 et la contribution financière des États-Unis au budget de l’OMS.

Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS à la cérémonie de l’Association of Accredited Correspondents at the United Nations (ACANU) le 10 décembre 2024 au siège de l’OMS à Genève (Source : OMS)

La gestion du Covid-19

L’OMS, accusée d’être sous l’influence de la Chine, aurait mal géré la crise du Covid-19. Le directeur général de l’Organisation, le Dr Tedros, est notamment critiqué pour avoir tardé à déclarer l’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) face à la propagation du nouveau coronavirus. Ce retard a entravé une mobilisation rapide des pays pour prévenir et répondre à l’épidémie. Cette lenteur est imputée à une complaisance envers la Chine, que le Dr Tedros avait félicitée début 2020 pour sa « transparence ».

Il est indéniable que l’OMS a commis des erreurs dans la gestion initiale de l’épidémie : des conseils contradictoires sur l’usage des masques et les transports aériens, ainsi qu’une reconnaissance tardive du risque de transmission par voie aérosol. Ces défaillances s’expliquent en partie par l’incertitude scientifique du moment. On peut également regretter une certaine « naïveté » du directeur général vis-à-vis des autorités chinoises, qui n’ont pas respecté les obligations de transparence imposées par le règlement sanitaire international (RSI), contribuant ainsi au retard de la mobilisation mondiale face à l’épidémie. (lire l’article de Michel Kazatchkine).

Cependant, les accusations portées par Trump contre l’OMS semblent surtout servir de prétexte pour détourner l’attention de sa propre responsabilité dans la gestion défaillante de l’épidémie aux États-Unis. L’administration Trump a minimisé les risques liés à l’épidémie, malgré les alertes du CDC et des institutions de santé publique. Résultat : un taux de mortalité lié au Covid-19 supérieur de 25 % aux États-Unis par rapport à l’Union européenne. L’OMS a ainsi été désignée comme bouc émissaire de cette gestion hasardeuse.

Les États-Unis, premiers financeurs

Le second argument du décret de retrait de l’OMS est d’ordre financier : « l’OMS continue d’exiger des États-Unis des paiements injustement élevés, sans commune mesure avec les contributions des autres pays ». Et de donner l’exemple de la Chine, qui, avec une population de 1,4 milliard d’habitants, soit trois fois celle des États-Unis, aurait une contribution inférieure de 90 %.

Le budget annuel de l’OMS s’élève à environ 4 milliards de dollars (environ le quart du budget des Centers for Disease Control américains). Il est alimenté par deux types de ressources:

  • Les contributions obligatoires, versées par les États membres en fonction de leur produit national brut (PNB), ajusté par le revenu par tête et le niveau de développement. Jusqu’en 2024, la part des États-Unis représentait 22 % du total de ces contributions, contre 15 % pour la Chine. Ces contributions obligatoires représentent aujourd’hui moins de 20 % des ressources totales de l’OMS.
  • Les contributions volontaires, fournies par les États membres et d’autres partenaires de l’OMS (fondations, secteur privé, associations, organisations régionales). Ces contributions peuvent etre flexibles – dans ce cas leur utilisation est à l’arbitrage du secrétariat de l’OMS – mais, pour l’essentiel, elles sont destinées au financement de programmes ou d’activités selon les priorités des donateurs. Leur poids croissant place l’OMS dans une situation de dépendance vis-à-vis de ces donateurs.

En 2023, les États-Unis ont contribué à hauteur de 481 millions de dollars au budget de l’OMS, dont 113 millions en contributions obligatoires et 368 millions en contributions volontaires, représentant ainsi 15 % du budget total de l’Organisation. En comparaison, la Chine a contribué à hauteur de 80 millions de dollars, essentiellement sous forme de contributions volontaires, soit 2,5 % du budget de l’Organisation. L’écart entre les contributions des deux pays est moins prononcé que ce qui est annoncé dans le décret présidentiel, et il concerne principalement les contributions volontaires des États-Unis. Par définition, celles-ci ne constituent pas «des paiements injustement élevés, exigés par l’OMS».

De fait, jusqu’à leur retrait, les États-Unis occupent la position de premier financeur de l’OMS. Le gel immédiat de leurs financements a contraint l’organisation à prendre des mesures immédiates de réduction de ses activités. De plus, les cadres et les experts mis à disposition de l’OMS par les institutions publiques américaines, notamment les Centers for Disease Control (CDC), ont été rapatriés sans préavis.

Le poids du retrait

L’OMS va être affectée dans l’ensemble des fonctions essentielles de son mandat : la production de normes scientifiques pour la prévention et le traitement, le soutien stratégique et technique aux pays les plus vulnérables, ainsi que la surveillance et les alertes sur les risques sanitaires. Seront particulièrement affectés le programme d’éradication de la polio (financé à hauteur de 27 % par les États-Unis), les programmes de lutte contre le sida la tuberculose, le paludisme et les maladies évitables par vaccination (19 %), et les opérations de santé d’urgence mises en œuvre au Moyen-Orient, au Soudan et en Ukraine (40 %).

Au-delà des répercussions financières, l’impact politique est considérable. Le retrait des États-Unis ouvre une brèche dans les engagements en matière de sécurité sanitaire mondiale. Tous les États membres de l’OMS, y compris les États-Unis, ont ratifié le règlement sanitaire international (RSI). Ce règlement instaure une coordination internationale autour de l’OMS en matière de sécurité sanitaire ; il engage les États à renforcer leurs systèmes de détection, de prévention et de riposte aux événements sanitaires de portée internationale ; il impose la transparence en cas d’émergence de menaces sanitaires sur leur territoire. Outil emblématique du multilatéralisme, le RSI consacre également le rôle de l’OMS en tant que vigie de la sécurité sanitaire. Cependant, il révèle aussi les faiblesses d’un système qui ne comporte aucune mesure de sanction et ne fonctionne que grâce à la bonne volonté des États membres.

La fin du traité mondial sur les pandémies ?

Enfin, le retrait des États-Unis pourrait porter un coup fatal au projet de traité mondial sur les pandémies. Élaboré à partir du constat des défaillances nationales et internationales dans la gestion de la crise du Covid-19, ce projet vise notamment à améliorer l’égalité d’accès entre les pays aux contre-mesures médicales (vaccins, traitements, diagnostics) et à promouvoir le partage des données génétiques et de surveillance, ainsi que le transfert de technologie.

Quelles seront les conséquences du retrait des États-Unis concernant la sécurité sanitaire mondiale, et plus largement l’approche multilatérale en matière de santé ? L’optimisme n’est pas de mise : le complotisme antiscience prévaut ; de plus, la décision de quitter l’OMS coïncide avec d’autres mesures radicales prises par le duo Trump/Musk : le démantèlement délétère de l’USAID et les licenciements massifs de son personnel, tant au siège que sur le terrain ; les restrictions drastiques imposées au programme PEPFAR ; les coupes substantielles dans le budget des CDC et du NIH ; les atteintes aux échanges entre scientifiques américains et l’OMS ; ainsi que la censure concernant les principes d’équité, de diversité et d’inclusion.

Des millions de personnes à travers le monde voient leur accès aux traitements antirétroviraux, à la PrEP et à la prévention de la transmission mère-enfant menacé. Et le monde pourrait être confronté à un défi majeur de gestion d’une épidémie à fort impact, du fait de la flambée de grippe aviaire H5N1 qui sévit aux États-Unis. Quels seraient les impacts pour la planète si cette épidémie se propageait dans un contexte de ressources humaines et techniques réduites, et d’opacité dans les échanges entre scientifiques et responsables mondiaux de la santé publique ?

L’opportunité d’une réforme de l’OMS

Cependant, une fois l’effet de sidération dissipé face à cette série de décisions mortifères, il est crucial de proposer des solutions pour affronter la crise. Pour l’OMS, c’est un moment critique pour mettre en œuvre des réformes indispensables afin de faire face à la crise financière et d’assurer une meilleure performance dans ses différentes fonctions.

La réforme de l’OMS est un engagement récurrent des directeurs généraux successifs auprés de l’Assemblée mondiale de la santé, Il s’agit notamment de rendre l’organisation moins bureaucratique, plus agile et plus réactive, et de renforcer la transparence et la redevabilité.

Des transformations majeures sont à présent nécessaires pour permettre à l’OMS d’accomplir sa mission en tant qu’institution de référence pour la santé mondiale. Elles concernent en particulier le financement de l’Organisation et sa gouvernance.

L’OMS dépend de contributions volontaires des états et de donateurs privés comme des fondations. Ainsi, depuis plusieurs années, le second plus grand contributeur de l’OMS, après les États-Unis, est la Fondation Gates. Ces contributions volontaires, principalement destinées à financer des projets alignés avec les priorités des bailleurs, restreignent la capacité de l’Organisation à répartir rationnellement les financements entre les programmes prioritaires définis par l’Assemblée mondiale de la santé.

L’OMS nécessite davantage de ressources, ainsi que des financements flexibles et pérennes. Pour atteindre cet objectif, l’organisation agit sur deux leviers :

  • Augmenter la part des contributions obligatoires pour qu’elles représentent 50 % du budget. Lors du Conseil exécutif de l’OMS en février 2025, une proposition visant à accroître ces contributions de 20 % a été approuvée. Par ailleurs, la part de chaque pays dans les contributions obligatoires a été révisée, la Chine passant de 15 % à 20 %.
  • Diversifier les sources de financement en sollicitant des contributions volontaires flexibles, non affectées à des programmes spécifiques. Cette ambition est au cœur du cycle d’investissement lancé en 2024, pour la période 2025-2028.

Cependant, il est peu probable que l’action sur ces deux leviers suffise à compenser le départ des États-Unis. Ce retrait ouvre la voie à une recomposition des équilibres géopolitiques au sein de l’organisation et à l’ascension de puissances telles que la Chine ou les États du Golfe. Il serait paradoxal de voir la Chine prendre un rôle de leader, alors que l’influence croissante de ce pays a précisément servi de prétexte au retrait américain.

Des réformes de la gouvernance sont également nécessaires. La gouvernance de l’OMS a été établie lors de sa création en 1948, à l’époque où elle était la seule institution disposant d’autorité et d’influence en santé mondiale. Cependant, le paysage a considérablement évolué, notamment dans les années 2000, avec l’émergence de nouveaux acteurs dotés de moyens financiers importants. Il s’agit notamment des instances multilatérales telles que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ou l’Alliance mondiale pour les vaccins (GAVI), ainsi que de fondations privées. La société civile et les ONG, représentant les personnes concernées par les maladies et les communautés affectées, sont devenues des partenaires actifs et exigeants des politiques de santé (lire à ce sujet l’article de Stéphanie Tchiombiano).

Les instances de gouvernance de l’OMS, actuellement limitées aux États membres, devraient s’élargir pour intégrer formellement la participation des acteurs non étatiques, tout en restant vigilant quant aux risques de conflits d’intérêts.

De plus, l’OMS souffre de la fragmentation de son leadership entre le siège et les bureaux régionaux, ce qui nuit à l’efficacité de l’organisation et à sa capacité de réponse coordonnée aux crises sanitaires. Les directeurs régionaux, comme le directeur général, sont élus par les États membres, leur conférant une légitimité politique, souvent au détriment de la compétence technique. Une réforme du mode de nomination des directeurs régionaux semble nécessaire, mais sa faisabilité reste très incertaine.

Conclusion

Le retrait des États-Unis de l’OMS marque un tournant critique pour la santé mondiale, remettant en cause les acquis du multilatéralisme dans ce domaine. À court terme, la sécurité sanitaire mondiale est menacée par la rupture des liens entre acteurs de santé publique, à un moment où la coopération internationale est essentielle pour faire face à l’émergence de flambées épidémiques sur tous les continents, y compris aux États-Unis. Le retrait met en lumière et confirme certaines vulnérabilités structurelles de l’organisation et la nécessité de réformes profondes. Le monde a besoin d’une OMS plus forte, dotée d’une gouvernance en phase avec les transformations de la santé mondiale, de sources de financement pérennes et flexibles, et d’une plus grande agilité opérationnelle. Les États membres et les autres acteurs de la santé mondiale doivent unir leurs efforts pour soutenir ces transformations, afin de garantir une réponse coordonnée et efficace aux défis sanitaires futurs. L’avenir de la santé mondiale dépend de la capacité collective à tirer les leçons de cette situation et à construire une OMS plus résiliente et mieux préparée.