Le plan pose un cadre général : les raisons d’agir (10), les objectifs (6), les principes (5) et les orientations stratégiques (9). Il renvoie à des feuilles de route spécifiques par substance qui viendront plus tard.
Les raisons d’agir –le constat– sont envisagées sous l’angle de la protection de l’individu tout au long de la vie et présentées selon une temporalité qui s’élargit progressivement: l’enfant à naître, la transmission générationnelle de la consommation, la précocité des usages, les violences interpersonnelles, puis la vie adulte, avec le bien-être au travail, la délinquance et la criminalité, la mortalité routière, les effets environnementaux de la production et de la consommation des substances. Les inégalités sociales sont envisagées comme résultant d’un comportement individuel des personnes en difficulté sociale ou des milieux sociaux défavorisés.
L’accent est mis sur la régulation mais aussi sur le contrôle de son application qu’il s’agisse de la publicité, de la vente d’alcool et de tabac aux mineurs.
Six objectifs et dix orientations généralistes
Les objectifs, au nombre de six, sont exprimés en termes de contrôle au sens épidémiologique duterme:
- changer les représentations des produits et améliorer l’information sur les risques,
- repousser l’âge de début des consommations dans la vie en s’appuyant sur l’environnement familial,
- réduire la durée des usages dans la vie,
- réduire le «treatment gap» par une prise en charge plus précoce,
- réduire l’accessibilité de l’alcool, du tabac et des jeux d’argent,
- réduire délinquance et criminalité liées aux trafics.
Dans ce texte de cadrage, ces objectifs restent très généraux, peut-être les feuilles de route thématiques proposeront-elles des objectifs chiffrés.
Les principes d’action ont avant tout une dimension institutionnelle: globalité et coordination, fondements scientifiques robustes, coopération européenne et internationale, soutien aux acteurs territoriaux, cohérence de la communication.
Les orientations stratégiques sont déclinées en dix points avec une description des modes d’action ou d’interventions et une illustration par un ensemble de mesures classiques déjà en œuvre à poursuivre et à renforcer. Cependant sous la plupart des chapitres, des mesures sont présentées comme «phares»: informer sur les risques de la consommation de cocaïne, instaurer des
zones sans publicité autour des établissements scolaires et en ligne, contrôler l’application de l’interdiction de vente aux mineurs par le contrôle continu et dissuasif et l’accompagnement des buralistes, mobiliser tous les leviers pour une génération sans tabac en 2032, engager les associations de protection de l’enfance dans la pré- vention des conduites addictives des familles suivies, profiter des grands événements sportifs 2023 et 2024 pour favoriser la prévention. La recherche et l’évaluation constituent la dixième des orientations annoncées, en maintenant une enveloppe financière stable du Fonds national de lutte contre les addictions.
Quelques remarques…
L’absence de chiffrage des ressources financières, et parmi elles des ressources nouvelles nécessaires pour réaliser les actions ; la façon dont le Fonds de concours en forte croissance peut abonder le budget de la prévention et de la prise en charge…
Une attente des feuilles de route thématiques, à ce jour sans calendrier de publication, qui rend difficile de se représenter ce qui va être effectivement mis en œuvre. Malgré l’insistance mise sur les bases scientifiques, l’al- location de fonds consistants pour l’observation et la recherche (près de 15 millions d’euros) sans pour autant discuter l’intérêt d’une agence de recherche spécialisée. À l’heure où des pays proches dans leur système politique passent ou réfléchissent à la légalisation du cannabis et à la dépénalisation de l’usage, toute évolution est écartée «par manque de données scientifiques robustes qu’une telle évolution permette effectivement d’atteindre les deux objectifs princeps de diminution de l’usage et de réduction de la criminalité». La stratégie parie sur la «débanalisation».
Un étonnement que les phénomènes qui se sont accentués dans les dernières années ne reçoivent pas plus d’attention : la montée accélérée et l’extension de l’usage de cocaïne, les obstacles à l’installation des salles de consommation renommées Haltes soins addictions, la situation insupportable des usagers de crackCrack Le crack est inscrit sur la liste des stupéfiants et est la dénomination que l'on donne à la forme base libre de la cocaïne. Par ailleurs, ce dernier terme est en fait trompeur, car le mot cocaïne désigne en réalité le chlorhydrate de cocaïne. L'origine du mot 'crack' provient du craquement sonore qu'il produit en chauffant. à Paris, le chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. à peine effleuré, les barrières à mettre en place pour éviter le développement du phénomène fentanyl qui génère des milliers de morts aux États-Unis et au Canada. Évidemment la problématique de la violence meurtrière accrue au sein du trafic de drogues en France.
Réception par la «profession»
La Fédération Addiction salue la stratégie pour la dimension qui consiste à s’éloigner «explicitement d’une approche des drogues fondée sur la seule répression, comme ce fut trop souvent le cas» et pour donner «une place importante à la réduction des risques, rappelant qu’“elle se fonde sur des résultats scientifiques solides et participe d’un ensemble de réponses” et qu’elle “est inscrite dans la loi” (p. 14 de numéro de Swaps) tout en soulignant qu’elle “demeure parfois mal comprise”, ce qui est vrai. À ce titre, il convient de saluer l’engagement du document». Sous ces angles, la profession fait des propositions supplémentaires pour pousser plus loin des mesures de communication, de prévention, d’intervention ou de prise en charge, mais aussi de stabilisation des centres d’addictologie par des financements pérennes et non par des appels à projet.
La Fédération Addiction situe les addictions comme un déterminant des inégalités de santé, là où, pour nous, les inégalités sociales seraient plutôt des déterminants des consommations et des addictions interpellant les mécanismes structurels des inégalités. Comme nous, la Fédération Addiction s’étonne de ne pas voir le statut légal des drogues remis en question alors que de nombreux pays et institutions françaises et internationales appellent à la dépénalisation des usages de produits illicites et à une législation encadrant la production et la commercialisation du cannabis.
La réduction des risques née en Angleterre et aux Pays-Bas avant le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. importée en France par les associations dans le sillage tragique du sida dès la fin des années 1980 puis par des ministres courageuses, par la Mildt au tournant des années 2000 et enfin inscrite dans la loi de santé publique de 2004, doit rester le paradigme majeur de la politique des drogues.
Il est inquiétant que la question des drogues ne soit pas portée à un niveau plus élevé du débat social à l’heure où la disponibilité et la diversification des drogues augmentent, portées par de multiples processus: nouveaux assemblages de molécules facilités, rôle majeur du numérique pour faire circuler les produits, intensification des transports intercontinentaux, dégradation du contexte géopolitique favorisant l’émergence de nouvelles forces de narcotrafic, augmentation de la violence armée, mais aussi où on voit des médicaments qui sont les produits les plus encadrés causer des morts par dizaine de milliers. Les dragons domestiques appellent des réponses à la hauteur des besoins qu’en ont nos sociétés.