La réglementation des drogues illicites au Royaume-Uni est régie par le MDAct de 1971 (Misuse of Drugs Act ou loi sur l’usage abusif des drogues). Les drogues légales sont, elles, régies par le Medicines Act (loi sur les médicaments) si elles ont une application clinique, ou par les réglementations sur le commerce dans le cas du tabac, de l’alcool, des compléments alimentaires et des vitamines.
Quand une nouvelle drogue arrive sur le marché et que des inquiétudes sont soulevées sur un danger potentiel, son statut est examiné au Royaume-Uni par l’ACMD (Advisory Council on the Misuse of Drugs), organisation ayant une obligation statutaire de conseiller le gouvernement anglais sur d’éventuels risques et dangers, afin qu’une politique appropriée soit créée.
Ces dernières années, après un examen systématique par l’ACMD, la kétamine (Nutt and Williams, 2004) a été intégrée dans le MDAct en classe C alors qu’on a considéré que le khat (Williams and Nutt, 2005) n’avait pas besoin de réglementation. Récemment, le benzylpipérazine et d’autres drogues stimulantes qui lui sont associées ont été réexaminées et un statut en classe C recommandé, en accord avec l’analyse de risques EMCDDA (EMCDDA, 2007). De la même façon, la classification du cannabis a été réexaminée en 2002 (ACMD, 2002) et rétrogradée en classe C, une décision appuyée par la suite par deux comptes-rendus supplémentaires (Rawlins, et al., 2005, 2008). L’ecstasy est actuellement en classe A, une position remise en question par le Comité spécial de la Chambre des Communes sur la Science et la Technologie (2006), ce qui a conduit à une réévaluation, toujours en cours, de son statut.
Le MDAct anglais catégorise les drogues en 3 trois classes (A, B et C) en fonction de leur dangerosité : la classe A (la plus dangereuse) inclut la cocaïne, la diamorphine (héroïne), le 3,4-methylenedioxymetamphetamine (MDMA, ecstasy), le diéthylamide d’acide lysergique (LSD) et la métamphétamine. La classe B (une catégorie intermédiaire) comprend les amphétamines, les barbituriques, la codéine et le méthylphénidate. La classe C (moins dangereuse) inclut les benzodiazépines, les stéroïdes anabolisants, le gamma-hydroxybutyrique (GHB) et le cannabis.
Ce système de classification sert à déterminer les sanctions pour la possession et la vente de substances réglementées. Aujourd’hui, les sanctions maximum encourues sont les suivantes :
- Drogues en classe A : 7 ans d’emprisonnement et/ou une amende sans plafond pour la possession; la prison à vie et/ou une amende pour la vente.
- Drogues en classe B : 5 ans d’emprisonnement et/ou une amende sans plafond pour la possession; 14 ans d’emprisonnement et/ou une amende pour la vente.
- Drogues en classe C : 2 ans d’emprisonnement et/ou une amende sans plafond pour la possession; 14 ans d’emprisonnement et/ou une amende pour la vente.
La meilleure méthode pour déterminer la classification d’une drogue est, et a toujours été, un sujet problématique. Nous avons développé une méthode potentielle qui permettrait d’évaluer les dangers au travers de neuf domaines ; trois comprennent les préjudices corporels liés à la drogue [préjudices graves par ex., overdose; blessures chroniques ; blessures dues à une utilisation en intraveineuse], trois comprennent la probabilité qu’elle engendre une dépendance [prise de plaisir; dépendance physique; dépendance psychologique] et trois comprennent les préjudices sociaux [conséquences liées à l’intoxication (y compris un comportement anti-social); dangers liés à la vente/au trafic et autres crimes associés à l’achat ; coût des soins médicaux]. Chacun peut être noté sur une échelle de 0 à 3, et la valeur qui en résulte pour chaque drogue va permettre de leur attribuer un ordre de rang sur l’échelle de la dangerosité (Nutt, et al., 2007). Dans l’étude présentant cette méthode, nous avons également évalué l’alcool, le tabac et d’autres substances qui ne sont pas considérées comme des drogues; en servant de point de référence, elles vont permettre aux non-initiés et au grand public de mieux comprendre les dangers de drogues qu’ils ne reconnaîtraient pas comme telles. Cette étude a engendré un débat public conséquent et a bénéficié d’une couverture médiatique considérable. Ces réactions, couplées avec celles résultant de la classification du cannabis (ACMD, 2008) et de la réévaluation en cours de l’ «ecstasy» / MDMA, ont montré que les débats sur les dangers relatifs des drogues sont perçus d’une manière obscure: ils prennent parfois un caractère presque religieux, rappelant les débats médiévaux à propos d’anges et de têtes d’épingles1«Combien d’anges peuvent danser sur une tête d’épingle ?», expression connue en Angleterre, qui est une réduction à l’absurde utilisée pour tourner en ridicule la scolastique médiévale et ses débats angélologiques (NDT)!
Les raisons en sont multiples et complexes, mais le fait que le débat sur les drogues se fasse sans comparaison avec d’autres causes de dangers en société en est un élément majeur ; cela tend à donner aux drogues un statut différend, plus inquiétant. Dans cet article, je partage l’expérience d’une autre addiction dangereuse que j’ai appelé équasy, afin d’illustrer une approche qui pourrait permettre une évaluation plus globale et plus rationnelle des dangers relatifs des drogues.
Les dangers de l’équasy me sont apparus récemment, après que j’ai reçu en consultation clinique après recommandation une patiente âgée d’un peu plus de trente ans, qui souffrait de lésions cérébrales irréversibles causées par l’équasy. Elle avait subi un changement de personnalité drastique qui l’avait rendue plus irritable et impulsive, avait augmenté son anxiété et lui avait fait perdre sa capacité à éprouver du plaisir. Elle présentait également une légère hypofrontalité2Manifestations cognitives symptomatiques de plusieurs maladies, en particulier de la schizophrénie, caractérisées notamment par des difficultés de concentration, de mémoire, de compréhension verbale et des difficultés à prendre des décisions. (NDT) et une désinhibition comportementale qui l’avait conduite à prendre un certain nombre de mauvaises décisions dans ses relations amoureuses, avec de mauvais choix de partenaires et une grossesse non-désirée. Les coûts sociaux de ses lésions cérébrales sont également très importants: incapable de travailler, elle se retrouvait dans une situation qui avait peu de chance d’évoluer de manière positive.
Mais alors, quelle était son addiction; qu’est-ce que l’équasy? C’est une addiction qui engendre une décharge d’adrénaline et d’endorphines et qui est utilisée par des millions de gens au Royaume-Uni, y compris des enfants et des adolescents. Ses conséquences destructrices sont bien établies: environ 10 personnes par an en meurent et bien plus souffrent de lésions cérébrales permanentes, tout comme ma patiente. Il a été estimé qu’une manifestation négative se produit toutes les 350 expositions et qu’elles sont imprévisibles, bien que plus probables chez les utilisateurs expérimentés qui prennent plus de risques avec l’équasy. Elle est également responsable de plus de 100 accidents de la route par an, souvent mortels. L’équasy conduit à des rassemblements d’utilisateurs qui sont souvent associés à des groupes ayant un comportement violent.
La dépendance, définie comme le besoin de continuer à consommer, a été acceptée par les cours de justice dans les décisions de divorce. En se basant sur ces dangers, la recommandation probable de l’ACMD serait pour la classification sous le MDAct, peut-être en classe A, puisque l’équasy semble être plus dangereuse que l’ecstasy (voir Tableau 1).
Avez-vous deviné ce qu’était l’équasy? Cela signifie Equine Addiction Syndrome (syndrome d’addiction équin), une condition qui se caractérise par la prise de plaisir en montant à cheval et la préparation nécessaire pour en supporter les conséquences, surtout les dangers dus aux chutes de cheval (ou piétinements par le cheval). Je gage que la plupart des gens seront surpris que l’équitation soit une activité si dangereuse. Les données sont assez effrayantes : des gens meurent, sont blessés à vie après une chute, subissent des fractures du cou et de la colonne vertébrale qui causent des dommages irréversibles (Silver and Parry, 1991 ; Silver 2002). Bien que moins visible, une blessure à la tête est quatre fois plus fréquente et est la cause de décès la plus courante.
Aux États-Unis, environ 11 500 cas de blessures traumatiques à la tête par an sont dus à l’équitation (Thomas, et al., 2006), et nous pouvons supposer un nombre équivalent de cas au Royaume-Uni. Des changements de personnalité, des fonctions moteur réduites et même une manifestation précoce de la maladie de Parkinson sont des conséquences reconnues, particulièrement dans les cabinets de campagne où l’équitation est très pratiquée. Dans certains comtés ruraux, il a été estimé que l’équitation est responsable de plus de blessures à la tête que les accidents de la route. Au fil de l’histoire, la violence est intimement associée à l’équasy, spécifiquement chez les personnes qui se regroupent pour la chasse; à l’origine, il s’agissait d’agressions inter-espèces, mais c’est devenu plus récemment une violence spécifique d’humain à humain entre les groupes de sympathisants et d’opposants à la chasse.
Rendre l’équitation illégale permettrait d’empêcher tous ces dommages et serait, en pratique, aisé à faire: il est difficile de monter un cheval de manière clandestine ou dans l’intimité de sa propre maison! Je soupçonne que cette option recevrait un soutien assez faible de la part du public ou du gouvernement, malgré le bannissement de la violence inter-espèces due à l’équasy récemment établi dans la loi Anti-Chasse. Évidemment, pourquoi la société voudrait-elle contrôler les sports dangereux, ne serait-ce qu’un peu? Cette attitude soulève une question cruciale: pourquoi la société tolère (quand elle n’encourage pas franchement) certaines formes de comportements potentiellement dangereux et pas d’autres, telle que la prise de drogue?
Il existe de nombreuses activités à risque comme le base jump, l’escalade, le saut à l’élastique, le deltaplane ou la moto, qui présentent des dangers et des risques égaux, voire pires, que bien des drogues illicites. Bien sûr, certaines personnes pratiquent des sports soi-disant «extrêmes» spécifiquement parce qu’ils sont dangereux. L’équitation n’en fait pas partie et la plupart de ceux qui la pratiquent le font par simple plaisir plutôt que pour le frisson de l’excitation, presque certainement dans une ignorance complète des risques encourus. Le rugby, le quad et la boxe sont d’autres activités similaires, tout aussi dangereuses mais plaisantes. À l’exception de la boxe, interdite dans certains pays d’Europe, les sports ne sont pas illégaux malgré leurs dangers certains.
Alors pourquoi les activités sportives dangereuses sont-elles autorisées, quand des drogues relativement moins dangereuses ne le sont pas? Selon moi, cela reflète une approche sociétale qui ne pèse pas correctement les risques relatifs des drogues par rapport à leurs dangers réels. Une société qui échoue également à comprendre les motivations des consommateurs de drogues, particulièrement les jeunes, et comment ils perçoivent ces risques comparés à d’autres activités. Le grand public, surtout la jeune génération, est désillusionné par le manque d’objectivité dans les débats politiques sur les drogues. Ce manque de débat rationnel peut miner la confiance accordée au gouvernement concernant son expertise sur l’usage abusif de drogues, et ainsi discréditer les messages du gouvernement dans les campagnes d’information publiques. Les médias semblent en général avoir à cœur de relayer des rumeurs alarmistes sur les drogues illicites, à quelques exceptions près (Horizon, 2008).
Une analyse révélatrice regroupant dix ans de couverture médiatique sur les morts dues aux drogues en Écosse illustre parfaitement leur perspective déformée (Forsyth, 2001). Au cours de cette décennie, la probabilité qu’un journal rapporte une mort par paracétamol a été de 1 tous les 250 décès, pour le diazépam de 1 tous les 50 décès; à l’opposé, 1 décès sur 3 dû aux amphétamines a été rapporté et tous les décès par ecstasy ont été couverts.
Y a-t-il une leçon à tirer de ces comparaisons relatives des dangers et des risques que les autorités régulatrices pourrait utiliser, afin de produire de meilleures évaluations des dangers liés aux drogues et, ce faisant, de meilleures lois? L’exemple de l’équasy, quand on la compare avec la consommation de drogues, met en lumière les divergences entre ces différentes activités en termes de risques et d’acceptabilité sociale et morale. Cela illustre peut-être un besoin de proposer une nouvelle approche sur ce qui constitue la base de la tolérance d’activités potentiellement dangereuses par la société et comment cette tolérance évolue avec le temps (par ex. la chasse au renard ou les cigarettes). En élargissant le débat portant sur la manière dont les risques sont tolérés par la société et les législateurs, on ne peut qu’aider à générer un processus d’évaluation des dangers plus global et, de ce fait, plus pertinent ; et qui permettrait peut-être de couper court au débat actuel, mal informé, sur les dangers des drogues. L’utilisation de données rationnelles pour l’évaluation des dangers d’une drogue constituera un pas en avant dans le développement d’une stratégie crédible sur les drogues.
Références
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Advisory Council on the Misuse of Drugs (ACMD) (2008) Cannabis; classification and public health. London: Home Office.
EMCDDA (2007) https://www.emcdda.europa.eu/publications/annual-report/2007_en
Forsyth, AJM (2001) Distorted? A quantitative exploration of drug fatality reports in the popular press. Int J Drug Policy 12: 435–453.
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