Article d’origine ppublié par Aidsmap.com. Auteur : Roger Pebody (Aidsmap). Traduction : Vincent Leclercq (AIDES)
Les deux médicaments utilisés dans le traitement du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et qui sont les plus susceptibles de provoquer des interactions avec les drogues récréatives sont ceux n’ayant pas d’action directe contre le virus mais utilisés en complément des antirétroviraux pour booster la concentration de ces derniers dans l’organisme, à savoir la Ritonavir (délivré sous le nom commercial de NORVIR ® ) et Cobicistat (TYBOST ® ). Interactions également possibles avec les médicaments traitant les troubles érectiles et les benzodiazépines.
Cobicistat est par ailleurs une des molécules entrant dans la combinaison du STRIBILD ® (avec elvitegravir, tenofovir et emtricitabine), du REZOLSTA ® (darunavir+cobicistat, le darunavir simple (PREZISTA ®) est co-administré avec le Ritonavir) et EVOTAZ ® (atazanavir+cobicistat, l’atazanavir simple (REYATAZ ®) est co-administré avec le Ritonavir). Ritonavir est souvent prescrit en complément des inhibiteurs de protéase et est également présent dans le KALETRA ® (avec du lopinavir) ainsi que dans le VIEKIRAX ® utilisé en traitement de l’hépatite C.
Alors qu’il existe potentiellement des interactions dangereuses entre les antirétroviraux à action directe contre le VIH et les drogues récréatives, celles-ci semblent moins inquiétantes que celles identifiées avec les boosters. Par ailleurs, toutes les drogues récréatives n’ont pas forcément d’interaction avec les antirétroviraux.
« Les praticiens doivent être conscients de ces risques pour informer leurs patients, soutiennent les auteurs d’une revue d’experts publiée le 24 août dans le magasine AIDS. Partant du principe que les usagers de produits continueront d’utiliser des drogues récréatives malgré les recommandations médicales, les praticiens doivent envisager de proposer des switch (changement de traitement) chez leurs patients vers des combinaisons thérapeutiques présentant un risque plus faible d’interactions », recommandent-ils dans l’article.
A propos des interactions
Lorsqu’un médicament est pris en combinaison avec un autre produit, licite ou illicite, leur interaction peut potentiellement réduire ou accentuer l’effet de l’un ou de l’autre. C’est le cas tant pour les drogues licites (médicaments) prescrits que pour les produits illicites, comme les drogues récréatives. Néanmoins il y a généralement plus d’études réalisées sur les interactions entre drogues licites, qu’entre médicaments et drogues illicites.
Depuis de nombreuses années néanmoins, des inquiétudes subsistent quant aux interactions entre certains médicaments antirétroviraux et les drogues récréatives. Plus récemment, un nouveau booster a été mis sur le marché : le cobicistat. Et nous assistons en parallèle à une modification des comportements chez les hommes gays au Royaume-Uni vivant avec le VIH en ce qui concerne la consommation de drogues récréatives. Le Crystal meth et la mephedrone sont en effet bien plus consommés qu’ils ne l’étaient auparavant, notamment dans le contexte des chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. parties, ou soirées privées pouvant durée de nombreuses heures avec une consommation combinée de différentes substances psychoactives.
De plus, nous constatons un usage d’injection plus fréquent de ces drogues, cette pratique ayant pour conséquence une augmentation plus rapide de la concentration des produits absorbés par le sang et des risques de surdose.
Un groupe d’étude composé de praticiens, pharmaciens, biologistes ainsi qu’un consultant sur les produits psychoactifs ont conduit une revue de la littérature et des cas cliniques documentés afin de proposer un résumé actualisé des données disponibles concernant les interactions entre drogues et médicaments antirétroviraux. Plutôt que de couvrir toutes les interactions théoriquement possibles, ils ont souhaité proposer une revue pratique au service des praticiens. Aussi se sont-ils concentrés sur les interactions entre les drogues illicites communément utilisés chez les hommes gays vivant au Royaume-Uni et les médicaments antirétroviraux.
« Nous disposons de peu de données sur les interactions entre l’usage de substances psychoactives et les antirétroviraux, mais les connaissances concernant les potentiels effets cliniques de telles interactions doivent faire l’objet d’une grande attention de la part des praticiens suivant des patients vivant avec le VIH », précisent-ils.
Ritonavir et cobicistat
Le message principal de cette revue est que les deux médicaments prescrits les plus susceptibles de causer des interactions dangereuses avec les drogues récréatives sont le ritonavir (NORVIR ® ) et le cobicistat (TYBOST ® ).
Ces deux médicaments appartiennent à la classe des boosters, qui n’ont pas d’effets directs sur le VIH mais qui sont prescrits pour augmenter le niveau de concentration des antirétroviraux. Une petite dose de ces médicaments suffit à faire en sorte que le foie ralentisse le processus de dégradation, ce qui signifie que la molécule antirétrovirale restera plus longtemps dans l’organisme et à un niveau de concentration plus élevée. Sans cet agent booster, il faudrait prescrire une dose plus importante d’antirétroviral, pour un même niveau d’efficacité.
Ces boosters sont généralement utilisés en complément de la classe des antiprotéases (lopinavir, darunavir, atazanavir, fosamprenavir, tipranavir, communméments appelés par leurs noms commerciaux : KALETRA ® , REZOLSTA ® (darunavir+cobicistat, le darunavir simple (PREZISTA ®) est co-administré avec le Ritonavir) ® , EVOTAZ ® (atazanavir+cobicistat, l’atazanavir simple (REYATAZ ®) est co-administré avec le Ritonavir) , TELZIR ® , APTIVUS ® ) mais aussi avec un inhibiteur d’intégrase (comme l’elvitagravir, contenu dans le STRIBILD ®) et dans certaines combinaisons thérapeutiques contre le virus de l’hépatite C (VIEKIRA ® ).
Ritonavir et cobicistat sont métabolisés par des enzymes du foie appelés CYP2D6 et CYP3A4. Un certain nombre de drogues récréatives sont métabolisées par les mêmes enzymes, provoquant de potentielles interactions. L’effet booster ralenti alors leur dégradation par le foie, avec pour conséquence d’augmenter la concentration et la durée de vie dans le corps des produits psychoactifs. Ce qui peut mener à de sérieux effets secondaires voire à une overdose.
Quels produits sont concernés
Un certain nombre de drogues récréatives sont métabolisées soit par l’enzyme CYP2D6 du foie, ou la CYP3A4 – les mêmes métabolisées par le ritonavir et le cobicistat. Celles-ci sont :
- Crystal methamphetamine (crystal, tina, meth)
- MDMA (ecstasy, X, mandy)
- Mephedrone (miaw miaw, plant food, bath salts)
- Ketamine (K, vitamin K, special K)
- Médicaments contre les troubles érectiles (Viagra, Cialis, Levitra)
- Benzodiazepines (benzos, Valium, Xanax)
Les auteurs jugent les interactions potentielles entre les trois premiers produits comme étant plutôt « modérés ». Inversement ils estiment que les trois derniers présentent un « risque élevé » d’interactions. Par ailleurs les médicaments traitant les troubles érectiles ou encore les benzodiazepines font souvent l’objet d’une consommation « sauvage », hors circuit médical, avec un risque de prendre une dose plus conséquente.
Avec chacune de ces drogues récréatives, une interaction avec le ritonavir et le cobicistat a pour conséquence l’augmentation en intensité de leurs effets, pouvant aller à des niveaux dangereux et difficiles à gérer pour la personne.
Des cas de décès chez des personnes sous ritonavir consommant du Crystal meth ont été rapportés, ainsi que chez des personnes consommant de la MDMA. Les analyses post-mortems ont montré un niveau anormal de concentration de ces drogues récréatives dans le sang de ces individus. Des cas ont également été identifiés d’effets secondaires graves consécutifs à l’usage de Ketamine chez des personnes sous ritonavir.
Les surdoses de médicaments traitant les troubles érectiles peuvent être dangereux pour le cœur. Les surdoses de benzodiazepines peuvent quant à elles provoquer des malaises ou des troubles respiratoires.
Les auteurs indiquent ne pas connaitre les interactions liés au GHB (gamma-hydroxybutyrate) ou GBL GBL (gamma-butyrolactone) et reconnaissent que peu de cas d’interactions ont été documentés jusqu’à présents.
Drogues récréatives et inhibiteur non-nucléosidique de la transcriptase inverse
Des interactions différentes peuvent se présenter entre les drogues récréatives et les inhibiteur non-nucléosidique de la transcriptase inverse, dans la mesure où celles-ci sont métabolisés d’une autre manière. La conséquence de la combinaison des deux peut alors résulter en une concentration moins importante que prévu du produit psychoactif.
Cela concerne notamment les produits suivants : Efavirenz (SUSTIVA ®), Nevirapine (VIRAMUNE ®) et Etravirine (INTELENCE ®). Par opposition, la Rilpivirine (EDURANT ®) ne semble pas présenter d’interaction avec les drogues récréatives.
Les auteurs pensent que cette interaction peut notamment se produire avec la cocaïne, la kétamine et les médicaments traitant les troubles érectiles.
Cette classe de médicament a en effet pour conséquence d’accélérer la dégradation par le foie des drogues récréatives, ce qui signifie que les produits restent moins longtemps et à une concentration moindre qu’attendue. Bien que cela puisse sembler moins dangereux, les auteurs soulignent que si le produit n’a pas l’effet escompté par la personne, cela peut mener à une consommation plus importante ou une modification de la pratique, par injection par exemple, menant à des risques imprévisibles.
Les produits n’ayant pas d’interaction significative
Les auteurs considèrent le potentiel d’interactions entre certaines autres drogues récréatives et antirétroviraux comme étant plutôt faible. Cela inclue l’alcool, le cannabis, le poppers, l’héroine et certains autres opiacés.
De la même manière, les molécules antirétrovirales suivantes n’ont pas fait l’objet de troubles particuliers documentés :
- L’ensemble des Inhibiteur nucléosidique de la Transcriptase inverse,
- La Rilpivirine (EDURANT ® ), qui est un inhibiteur non-nucléosidique de la transcriptase inverse,
- Raltegravir (ISENTRESS ® ) et dolutegravirDolutégravir Le dolutégravir, nom de marque de Tivicay® et présent dans Juluca® et Triumeq®, appartient à la une classe de médicaments antirétroviraux appelés inhibiteurs de l'intégrase. Il est utilisé en combinaison avec d'autres médicaments anti-VIH. (TIVICAY ® ), qui sont des inhibiteurs d’intégrase,
- Maraviroc (CELSENTRI ® ), un inhibiteur de CCR5.
Recommandations
« Les praticiens doivent être vigilants aux épisodes et pratiques de consommation de drogues récréatives chez leurs patients afin de les informer sur les risques de toxicité, des effets secondaires liés aux produits et de potentielles interactions pouvant mener à une surdose involontaire et fatale » concluent les auteurs de l’article.
« Malgré cela, de nombreux patients ne modifieront pas leur consommation, par conséquent un switch vers une autre combinaison antirétrovirale présentant moins de risque d’interaction doit être envisagée avec le patient ».
Références
Bracchi M et al. Increasing use of ‘party drugs’ in people living with HIV on antiretrovirals: a concern for patient safety. AIDS 29: 1585-1592, 2015.
L’université de Liverpool a par ailleurs publié un tableau des interactions entre les antirétroviraux et les drogues récréatives.