Cet article a été publié dans le Swaps n°71 qui propose un compte-rendu des 3èmes Journées nationales de la Fédération Addiction qui se sont tenues les 13 et 14 juin 2013 à Besançon.
Fruit d’un long processus de recherche mené par Élise Roy (université de Sherbrooke) et Joanne Otis (université du Québec, Montréal), la trousse PIJE (prévenir l’injection chez les jeunes) fait partie des interventions innovantes développées par notre équipe de recherche pour prévenir la progression vers une consommation problématique de substances psychoactives chez les jeunes consommateurs.
A la suite des études antérieures réalisées sur la santé et la consommation de substances psychoactives chez les jeunes de la rue, le projet PIJE a vu le jour. La moitié des jeunes âgés de 14 à 23 ans s’étaient injectés des substances psychoactives au moins une fois avant leur entrée dans une étude de cohorte prospective menée entre 2000 et 2005. Ces jeunes avaient en moyenne 17 ans lors de l’initiation à l’injection de drogues. Or, on connaît bien les risques accrus de contracter le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et les virus des hépatites B et C, de surdoses, voire de décès, qui sont associés au mode de consommation par injection, et ce, sans compter les méfaits relatifs à la dépendance accrue, à la détérioration de l’aspect physique, à la dégradation rapide des relations interpersonnelles et familiales, etc.
Un constat a rapidement été établi : les interventions reconnues comme efficaces en matière de prévention de l’initiation à l’injection de drogues sont rares. Le projet PIJE a commencé dans la deuxième moitié des années 2000, grâce au financement du Service de lutte contre les infections transmissibles sexuellement et par le sang (SLITSS) du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Conçu selon les principes de l’Intervention Mapping Approach, une conception théorique de développement de programmes en promotion de la santé1Bartholomew LK, Parcel GS, Nell GK, Gottlieb H. Planning health promotion programs: an Intervention Mapping Approach. San Francisco, CA : Jossey-Bass, 2006, le projet PIJE a été réalisé à travers trois phases distinctes (préparatoire, opératoire et évaluative) comportant chacune plusieurs étapes et tâches. Le projet consiste à développer, valider et évaluer une intervention. Il est fondé sur les théories psychosociales du comportement, qui pourraient aider les jeunes à haut risque (âgés de 14 à 21 ans) de s’initier à ce mode de consommation, à ne pas s’injecter de drogues.
Phase préparatoire
Au cours de cette phase, les résultats portant spécifiquement sur le passage à l’injection ont été mis à profit, notamment ceux issus du volet sur les déterminants psychosociaux du passage à l’injection de drogues de l’étude de cohorte 2000-2005. Ceux-ci montraient que les jeunes ayant des croyances de contrôle élevées par rapport à la résistance au passage à l’injection de drogues étaient trois fois moins susceptibles de s’initier en cours de suivi que ceux ayant des croyances plus faibles2Roy E, Godin G, Boudreau JF et al. Modeling initiation into drug injection among street youth. J Drug Educ 2011;41:119-34. La capacité des jeunes à résister aux situations à risque de s’initier à l’injection de drogues a donc été privilégiée comme cible d’intervention principale du projet PIJE. Dans le respect de l’Intervention Mapping Approach, l’intervention a été structurée autour de certains facteurs personnels : connaissances, attitudes, perception de la norme sociale et sentiment d’efficacité personnelle ; et externes : soutien ou renforcement.
Phase opératoire
Ensuite, épaulée par différents experts et représentants d’organismes publics et communautaires, l’équipe de recherche a franchi les différentes étapes de la phase opératoire, ce qui a rendu possible l’élaboration du canevas d’intervention, c’est-à-dire l’union cohérente des théories et des pratiques, la production du devis d’intervention et sa mise en oeuvre. Il y avait à proprement dit deux niveaux d’objectifs à atteindre, soit un objectif comportemental général, se traduisant par la prévention de l’initiation à l’injection, et des objectifs de performance auxquels se rattachaient des déterminants comme amener le jeune à :
– décider d’éviter l’injection de drogues : lui faire prendre conscience du niveau d’intensité de sa consommation et du lien entre ce dernier et le risque de passer à l’injection ; l’amener à reconnaître les avantages et la norme favorable à éviter l’injection ;
– reconnaître sa vulnérabilité au passage à l’injection de drogues : être en mesure d’identifier les facteurs de risque personnels et environnementaux, que représentent le milieu et les pairs, et adopter une approche critique par rapport à l’influence de ces facteurs sur soi ;
– résister à l’injection de drogues : nommer des situations à risque, ainsi que définir et mettre en pratique des stratégies de résistance.
Les stratégies d’intervention : la trousse PIJE
Pour les sélectionner, l’équipe s’est tournée vers la théorie de l’apprentissage social, selon laquelle l’individu développe des comportements en interaction constante avec le milieu3Bandura A. Auto-efficacité : le sentiment d’efficacité personnelle. Paris : De Boeck Diffusion, 2003,4Bandura A. Social cognitive theory: an agentic perspective. Annu Rev Psychol 2001;52:1-26. Par ailleurs, elle s’est inspirée de l’approche du coping5Lazarus RS, Folkman S. Stress, Appraisal, and Coping. New York : Springer, 1984, qui réfère à l’ensemble des stratégies cognitives et comportementales relatives à la maîtrise, à la tolérance ou à l’évitement de l’effet du stress, par exemple lors de situations menaçantes dues à des facteurs d’ordre personnel ou environnemental.
En bout de ligne, l’exercice a permis de cibler des méthodes d’intervention d’apprentissage pouvant se traduire par des activités éducatives :
– l’apprentissage actif, devant amener l’individu à réfléchir à de nouvelles informations à partir d’une situation de départ ;
– la pratique assistée, rendant possible l’expérimentation des habiletés dans un contexte supervisé ;
– le modelage, consistant à présenter plusieurs modèlespar lesquels les comportements attendus peuvent être imités ;
– le renforcement positif des bons coups et des apprentissages acquis.
Il ne restait plus qu’à concevoir les différentes activités pour concrétiser la naissance de l’outil d’intervention, la trousse PIJE : mini-test, vignette, représentation visuelle, bande dessinée, jeu de rôle, etc.
La trousse PIJE a été développée en vue d’une expérimentation en milieu naturel. La version originale était articulée en fonction d’un programme d’intervention individuelle en cinq rencontres, soutenu par un guide d’animation à l’intention des intervenants. Dans cette version, la première rencontre comprend une série d’activités visant à établir un contact, un lien entre l’intervenant et le jeune, mais également à cerner les forces et les valeurs de ce dernier. Les deuxième et troisième rencontres ont pour dimension centrale les attitudes et le sentiment de vulnérabilité par rapport à l’injection. Enfin, les deux dernières rencontres mettent l’accent sur l’acquisition de compétences à résister et à éviter de passer à l’injection, par l’illustration de diverses situations à risque et stratégies à employer.
Phase d’évaluation
Entre 2008 et 2009, la trousse PIJE a été expérimentée à Montréal par des intervenants de divers organismes partenaires. L’expérimentation a concerné 27 jeunes, soit 17 hommes et 10 femmes. La dernière phase du projet de recherche s’en est suivie. L’évaluation a porté à la fois sur le processus de l’expérimentation en milieu naturel et sur les effets perçus du programme d’intervention. Elle a été menée grâce à un devis de recherche à méthodologie mixte reposant sur une variété d’outils de collecte de données (questionnaires, entrevues semi-dirigées, compte-rendu de réunions, journal de bord des intervenants).
Qu’en ont pensé les intervenants ?
Ils ont considéré la trousse PIJE comme un outil très intéressant, favorisant la réflexion des jeunes, notamment en matière de consommation de drogues, mais aussi plus largement dans d’autres sphères de leur vie. Ils estiment que l’utilisation de la trousse fournit les moyens de prendre contact ou de renforcer un lien avec un jeune, dans un cadre organisé et structuré. Toutefois, le programme en cinq rencontres est exigeant en termes de disponibilité, autant de la part de l’intervenant que du jeune. Il faut préserver une régularité de fréquence et de durée des rencontres individuelles.
Et les jeunes ?
Ils ont estimé que le programme a permis une meilleure connaissance de soi et de sa propre consommation de substances. Il a également favorisé ou renforcé l’appréciation des conséquences négatives de l’injection de drogues, tout en permettant d’acquérir de meilleures connaissances générales sur la consommation de substances psycho-actives, en incluant bien entendu le mode de consommation par injection et ses conséquences. Certains se disent mieux outillés pour résister au passage à l’injection de drogues. Toutefois, les impacts positifs pourraient être moindres pour les plus âgés d’entre eux, qui seraient déjà plus compétents à résister.
A la suite de cette double évaluation, des activités de la trousse PIJE ont été ajustées, notamment pour réduire un effet de redondance entre les activités et augmenter le niveau de réalisme. Il en résulte un programme d’intervention amélioré et actuellement diffusé au Québec.