Cet entretien a été publié dans le Swaps n°71 qui propose un compte-rendu des 3èmes Journées nationales de la Fédération Addiction qui se sont tenues les 13 et 14 juin 2013 à Besançon.
Où exercez-vous, quelle est votre cible et dans quel cadre ?
Andrew Tatarsky. En 2011, j’ai créé le Center for Optimal Living à New York, un centre de traitement et de formation fondé sur l’Integrative Harm Reduction Psychotherapy (IHRP), intégration de la réduction des risques (RdR) au sein de la psychothérapie. Ce centre offre des services thérapeutiques complets pour un large éventail de personnes ayant des problèmes de toxicomanie et d’autres comportements addictifs à risque, comme les troubles du comportement alimentaire, l’addiction au sexe, le cutting (se taillader les poignets), les achats compulsifs ou l’addiction aux jeux.
Le traitement est-il fondé uniquement sur l’intégration de la RdR au sein de la psychothérapie ? L’abstinence exclusive est-elle toujours d’actualité ?
L’efficacité du traitement classique visant à l’abstinence a montré ses limites pour attirer, retenir et promouvoir des changements positifs pour la grande majorité des usagers.
Avec l’IHRP, je souhaite développer une thérapie attrayante et pertinente qui faciliterait la progression vers la guérison ou vers un changement positif. La thérapie est encadrée par des principes de RdR avec un engagement radical des patients, actifs, donc associés au thérapeute (« commencer là où en sont les patients »). Toutes les mesures de RdR sont associées à l’usage de substances pour déterminer les objectifs idéaux et une approche thérapeutique pour chaque patient en vue de mesures positives de succès.
Nous ne prétendons pas connaître d’emblée la nature du problème, les objectifs ou ce qui sera utile pour le patient, de sorte qu’un espace peut être créé, dans lequel le patient est pris en charge pour découvrir ce qui est vrai pour lui.
Ainsi, un usage plus sûr, réduit, modéré comme l’abstinence tombent sous l’égide de la RdR. Cliniquement, ce cadre se traduit en mettant surtout l’accent sur le développement d’une alliance thérapeutique collaborative, dans laquelle le clinicien et le patient négocient la forme et l’orientation de la thérapie. Des stratégies, tirées du relationnel, psychanalytiques, cognitivo-comportementales, centrées sur l’attention, sur le corps et les traditions expérientielles, sont sélectionnées et associées pour répondre aux besoins et aux objectifs spécifiques de chaque patient.
Cette approche englobe l’abstinence comme un objectif idéal pour les personnes prêtes, capables et désireuses d’y arriver. Il s’oppose à la perspective de l’abstinence exclusive, qui voudrait que l’engagement à l’abstinence soit une condition préalable et nécessaire pour entrer et rester dans la thérapie et qu’elle soit la seule mesure de la réussite. L’IHRP encourage les personnes à découvrir, à travers leur propre expérience, leur relation idéale à l’usage de produits et aux autres comportements à risque, et leur trajectoire idéale vers un changement positif.
Au mieux, les approches fondées sur l’abstinence ne sont efficaces que pour les patients qui l’adoptent, en fait une minorité d’usagers. Au pire, elles provoquent le conformisme, la soumission, la rébellion réactive et les luttes de pouvoir en tentant d’imposer sa vision à la personne, elle contraint le changement par la peur et l’intimidation. Cette approche thérapeutique normative peut faire resurgir des relations traumatisantes précoces et provoquer une intensification des symptômes post-traumatiques sous-jacents à la dépendance. Cela peut conduire à une escalade de comportements addictifs, où les aspects traumatisés, dissociés du soi s’expriment, créant ainsi la rechute.
L’attitude collaborative de l’IHRP, sans préjugés sur le patient, cherche à créer une expérience relationnelle qui prend en charge le patient. C’est, pour nous, l’antidote à la dépendance et notre définition du rétablissement.
En quoi la psychothérapie intégrative que vous mettez au point est-elle révolutionnaire ?
L’IHRP est une alternative collaborative à l’approche autoritaire, prescriptive de « l’abstinence ou rien », qui domine aujourd’hui les approches thérapeutiques dans le monde.
L’IHRP situe une grande partie des échecs des traitements de l’addiction aux limites du cadre thérapeutique plutôt qu’au patient lui-même. En s’éloignant de l’abstinence en tant que point de départ vers « un changement positif », l’IHRP peut impliquer les usagers de manière active tout au long du continuum de sévérité, du processus de changement et des questions personnelles et sociales étroitement liés au mésusage. L’IHRP reconnaît aussi que différentes écoles de thérapie, qui ont toujours été mises en opposition, ont chacune une valeur et se complètent lorsqu’elles sont utilisées ensemble de manière intégrée.