Cet article a été publié dans le n°67 de Swaps (PDF, 1,88Mo).
Le phénomène du «?slam?» désigne des pratiques d’injection de drogues chez les gays en contexte sexuel. Cette pratique peu documentée interroge quant à ses potentielles conséquences sanitaires et interpelle différents acteurs de la santé, associatifs et médicaux. Les discours et les constats au sujet de ces nouveaux comportements sont divers et ambigus, mais certains s’inquiètent de possibles complications infectieuses cardio-vasculaires, d’infections à VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et VHC ou de coinfections dans une communauté qui ne se reconnaît pas comme «?usagère de drogues?» et dont la maîtrise de la réduction des risques associés à l’injection pourrait être limitée.
Depuis quelques mois, un certain nombre d’indicateurs (augmentation du nombre de personnes déclarant la pratique du slam sur les sites de rencontre gays, témoignages d’usagers, accueil de slameurs dans les Csapa et les Caarud) laissent supposer que cette pratique pourrait constituer un phénomène émergent sans que l’on puisse réellement déterminer s’il s’agit d’un effet de mode ou d’une pratique durable.
Face à ces problématiques, l’association AIDES et d’autres structures du champ associatif (Sidaction et l’Association de médecins gais) et de la sphère institutionnelle (Institut de veille sanitaire et Cermes3), ont décidé de mettre en place la première enquête sur le slam en France. L’objectif principal de ce projet consiste, dans un premier temps, à établir une meilleure connaissance du phénomène pour déterminer ensuite une intervention de réduction des risques, si nécessaire. Afin de décrire ces pratiques, d’appréhender les déterminants des prises de risque et d’évaluer le type d’actions de santé publique à envisager, la méthode du «?Rapid Assesment Process?» a été choisie.
Choisir une méthode ethnographique pour comprendre ce qui se joue
Le Rapid Assessment Process a rarement été appliqué en France. Cette méthode ethnographique inductive est particulièrement adaptée à l’étude de phénomènes peu connus et émergents car elle permet, dans un temps court, de réaliser un état des lieux relativement exhaustif de l’objet de recherche. Elle vise à obtenir un panorama multidimensionnel d’un phénomène en réunissant une équipe pluridisciplinaire (anthropologue, sociologue, clinicien) et en intégrant un «?insider?» – c’est-à-dire une personne qui fait partie du groupe concerné (en l’occurrence ici un «?slameur?»). Le projet s’inscrit ainsi dans une démarche de recherche communautaire qui vise à faire participer les «?communautés?» concernées aux différentes étapes de la recherche. Cette équipe travaille collectivement sur l’ensemble du processus de la recherche, de la construction des outils de collecte à la réalisation des entretiens semi-directifs et des focus groups, et à l’analyse des données.
L’équipe de recherche a été composée de telle sorte que les consommations de psychoactifs et les sexualités gaies – deux sujets souvent traités séparément – puissent être analysées et articulées avec pertinence. Un comité de pilotage associant d’autres experts (addiction, psychologie sociale, etc.) a été constitué.
Entre mai et juillet 2012, des entretiens (individuels ou en groupe) ont été menés auprès d’une quinzaine de slameurs et auprès d’informateurs clés (médecins, acteurs associatifs…). Le recrutement des slameurs (ou ex-slameurs) a été effectué via la mobilisation des réseaux communautaires des militants de AIDES, le réseau personnel de l’équipe de recherche et via les sites de rencontre gais.
Alors, qu’est-ce que le slam?
Et qui sont les slameurs?
De multiples dimensions sont explorées lors des entretiens?: la carrière de l’usager dans la consommation de produits psychoactifs, l’accès aux produits, les types de produits et leurs effets, la préparation, la dose, le nombre d’injections, la durée des «?plans slam?», l’initiation, l’apprentissage de l’injection, la sexualité associée à l’usage, les relations avec les partenaires, l’exposition au risque VIH et hépatites…
D’ores et déjà, quelques données préliminaires peuvent être présentées, même si elles nécessitent d’être interprétées avec une extrême prudence puisqu’il s’agit d’une première lecture «?à chaud?» des entretiens.
L’un des premiers enseignements de la recherche est que le slam ne constitue pas une «?légende urbaine?» et qu’il s’agit d’un phénomène émergent, en augmentation d’après les personnes interrogées. Les slameurs rencontrés ne sont pas exclusivement parisiens, certains résident dans des villes de province?; et chacun de ces usagers a été en mesure de décrire son réseau personnel de slameurs.
Concernant les profils des slameurs rencontrés lors de l’enquête, ils sont diversifiés d’un point de vue de leurs caractéristiques sociodémographiques. La plupart sont séropositifs pour le VIH. Cela peut toutefois être un biais lié au recrutement de l’échantillon qui se fait essentiellement par le site BarebackZone, fréquenté majoritairement par des homosexuels séropositifs à la recherche de rapports non protégés.
Les produits consommés dans le cadre du slam sont des produits stimulants. Le plus souvent, les slameurs disent consommer de la méphédrone ou d’autres stimulants achetés sur Internet sous des dénominations qui évoluent constamment. L’ingestion de produits érectiles peut également être effectuée en complément.
Les «?plans slam?» ont lieu dans des cadres privés sur des temps parfois assez longs (pouvant s’étendre sur deux à trois jours) associés à des pratiques sexuelles collectives, à deux, ou seul (pratiques masturbatoires).
Les premières injections sont le plus souvent réalisées par d’autres slameurs plus expérimentés qui sont les initiateurs, ce qui accentue l’exposition au risque de transmission du VIH et des hépatites. Comme cela est décrit dans la littérature, les effets de ce type de produits, l’importance du nombre des injections dans une soirée et le fait qu’il s’agisse de pratiques collectives accentuent l’exposition au risque. Des conséquences de type infectieux (abcès) mais également psychologiques (sentiment de perte de maîtrise, dépression…) ont été décrites dans le cadre des entretiens.
Les slameurs rencontrés ont toutefois décrit différentes stratégies visant à assurer la maîtrise de leur consommation. À cet égard, il semble que les effets ressentis, et notamment la fréquence des injections au cours d’un «?plan slam?», varient considérablement en fonction des produits utilisés, au cours du «?plan?» et en fonction de l’ancienneté dans la pratique. Par ailleurs, à l’instar d’autres types de consommations de psychoactifs associées à la sexualité ou à la fête, les usagers décrivent la survenue de certains événements perturbateurs (dans la vie professionnelle, amoureuse…) susceptibles de favoriser le passage d’une consommation perçue comme maîtrisée à une consommation non maîtrisée, où le sexe devient alors prétexte à l’injection. Des répercussions sur la vie sociale et professionnelle sont également décrites par les usagers.
Une analyse plus complète des données de l’enquête sera disponible fin 2012.