Catherine Paulet est également présidente de l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, qui réunit les professionnels de santé mentale exerçant en milieu pénitentiaire.
Cet entretien a été publié dans le n°63 de la revue Swaps.
Quel est votre point de vue sur le nouveau plan sur la santé des personnes détenues en matière de réduction des risques liés à l’usage de drogues?
La réduction des risques liés à l’usage de drogues est évidement un enjeu majeur de santé individuelle et publique en milieu pénitentiaire, particulièrement concernant le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et le VHC. Ainsi, la prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. du VIH en prison est de 2% quand elle est de 0,4% en population générale. La prévalence du VHC est de 4,8% en prison quand elle est de 0,84% en population générale. Et les femmes incarcérées sont plus touchées que les hommes. Dans certaines régions, comme en PACA par exemple, la prévalence VHC serait de l’ordre de 10%.
L’incidence des séroconversions en prison est inconnue, ce qui est en soi un problème puisqu’une telle information permettrait de mieux cerner l’incidence des pratiques à risques in situ que sont les relations sexuelles non protégées, le partage de matériel de rasage, de tatouage, de sniff, d’injection. Des soins pour abcès potentiellement liés à des pratiques d’injection sont évoqués par les unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), de même que des soins pour tatouages, piercings, saignements de nez en lien avec une pratique de sniff.
Le Plan d’actions stratégiques 2010-2014 pour la prise en charge sanitaire des personnes détenues s’adosse aux Plans nationaux de santé publique en population générale, ce qui est des plus pertinents. Il souligne les difficultés d’application de la politique de RdR en milieu pénitentiaire et propose une évaluation de ces difficultés en trois temps. Tout d’abord avec un état des lieux grâce à l’enquête Prevacar 2008-2011, portant sur la prévalence du VIH, du VHC et des TSO, et à l’enquête Pri2de 2009-2010, portant sur la disponibilité et l’accessibilité des mesures de réduction des risques infectieux : les premiers résultats des deux enquêtes viennent d’être présentés. Ensuite sont prévus une analyse des résultats et singulièrement des disparités et freins en matière de RdR puis une actualisation des recommandations et la création des conditions favorables à leur mise en œuvre.
De plus, le Plan instaure le principe d’une prise en charge addictologique coordonnée dans chaque établissement pénitentiaire pour assurer une prise en charge adaptée. Son objectif prioritaire est d’harmoniser les pratiques en matière de repérage des consommations et des conduites à risques, de TSO, de prévention et d’éducation pour la santé.
L’état des lieux et l’analyse des résultats sont deux étapes assez simples à appréhender. Quant à lever les freins à la mise en œuvre des mesures de RdR, il y a fort à faire. La loi de 1994 dispose que les soins délivrés aux personnes détenues doivent être équivalents à ceux dispensés en milieu libre. Certes, mais équivalent ne veut pas dire à l’identique ; la prison n’est pas assimilable au milieu libre et suppose un travail partenarial d’amont de prise en compte des spécificités et des contraintes.
Que vous inspirent les résultats de l’enquête Pri2de?
L’étude Pri2de des mesures de réduction des risques infectieux en prison montre bien les progrès à accomplir. Les constats concernant l’eau de javel et les préservatifs, mesures de RdR on ne peut plus basiques, sont à l’évidence alarmants et montrent d’une part la méconnaissance par les acteurs de santé eux-mêmes et d’autre part les réticences de l’administration pénitentiaire.
L’idée qui prévaut concernant le dosage de javel à 12° est qu’il fait encourir un risque majeur en cas d’ingestion, ce qui est inexact ; mais l’habitude demeure. Quant à l’information sur la stérilisation du matériel notamment d’injection, seuls 22% des responsables d’UCSA l’estiment accessible et intelligible. Si les préservatifs masculins sont accessibles dans les UCSA à 95%, les préservatifs féminins ne le sont que dans 21% des cas. Et ils ne sont accessibles dans un autre lieu (type parloirs) que dans 20% des cas.
Nous voyons là l’importance et la nécessité d’une action forte et répétée de formation des personnels de santé mais aussi des personnels pénitentiaires et autres intervenants en milieu pénitentiaire. Formations « dédramatisantes » portant sur l’acquisition de connaissances scientifiques mais aussi sur les freins idéologiques et culturels (parler de sexualité ou d’usage de drogue « intra-muros » est toujours source de malaise et de tension critique).
Quelles évolutions des consommations et des pratiques d’usage de drogues avez-vous pu noter aux Baumettes?
Les usagers de drogues que nous rencontrons en prison ont évidemment des singularités en ce sens que leur incarcération dépend pour partie des politiques pénales conduites. Actuellement, un usager sur deux rencontré par le Csapa des Baumettes a un usage abusif ou une dépendance à l’alcool. Nombre d’usagers consomment plus de deux produits, et l’usage de cannabis est très prégnant ; la consommation de cocaïne est en augmentation ; les médicaments les plus fréquemment détournés de leur usage sont la BHD et les benzodiazépines. Et la rencontre initiale avec la drogue en prison n’est pas rare.
Comme en population générale, les drogues sont l’objet d’échanges, sources de litiges, de rackets, de violences, surtout à l’égard des plus vulnérables. D’autant plus prisées (sources d’évasion) que le quotidien est difficilement supportable : promiscuité, défaut d’hygiène, ennui, absence de perspectives à la sortie de prison…
Dans la prison circulent diverses substances : cannabis, médicaments détournés de leur usage, plus rarement alcool et cocaïne. Il est très difficile de quantifier ces pratiques, surtout en ce qui concerne le sniff et plus encore les injections. Les patients l’évoquent parfois ou bien leurs lésions – abcès au point d’injection, saignements répétés de nez – en témoignent ; exceptionnellement, une seringue est retrouvée.
Justement, quel est votre point de vue sur l’établis- sement de programmes d’échange de seringues en prison, mesure que l’OMS estime nécessaire et qui a été mise en place dans certaines prisons à l’étranger?
Selon l’OMS ainsi que le Conseil national du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. les mesures de RdR en milieu pénitentiaire, pour être considérées comme pleinement efficaces, devraient inclure un programme d’échange de seringues, à distinguer bien sûr des programmes d’héroïne médicalisée qui sont une autre démarche. Si le principe s’entend, comment le mettre en pratique? Pour quels effets attendus? Quel public? Quels risques pris? Quel accompagnement à mettre en place?
Quand on constate le chemin à parcourir encore dans les mentalités et les pratiques pour mettre en place à large échelle des mesures aussi évidentes que la mise à disposition de javel correctement dosée avec une information écrite et orale d’utilisation, de préservatifs et de gel lubrifiant, de kit de sniff ; la mise en place systématique de techniques non contaminantes de coiffage, de piercing et de tatouage ; la mise à disposition d’une boite personnelle fermable pour y entreposer sa brosse à dents, son rasoir, ses médicaments ou autre ; l’information (oralement et par écrit en plusieurs langues) des personnes détenues sur les pratiques à risque et sur les traitements post-exposition – dans un établissement sur deux, les détenus ne sont pas informés de la possibilité d’avoir recours à un TPE ; quand on constate également les conditions d’hygiène et de surpopulation chronique qui existent dans 2/3 des établissements pénitentiaires… Alors, il ne m’apparaît pas possible de considérer le PES comme une mesure prioritaire. Il y a en revanche urgence à déployer largement les mesures décrites.
Ce qui ne veut pas dire qu’il faut abandonner à leur sort les usagers injecteurs, au contraire. Et à cet égard, les TSO pour les personnes dépendantes aux opiacés sont une approche très efficiente, pour autant que la posologie soit adéquate et l’accompagnement de longue haleine.
D’autres mesures liées au risque VIH et VHC sont-elles possibles?
L’expérience de l’UCSA des Baumettes, en articulation forte avec le CDAG, est à cet égard intéressante. Les sérologies/pathologies fréquemment associées sont systématiquement recherchées. Le dépistage VIH VHB VHC ISTIST Infections sexuellement transmissibles. et tuberculose est systématiquement proposé à l’entrée en détention et en tant que de besoin. La vaccination hépatite B est systématiquement proposée aux personnes non protégées. Ce sont des mesures simples, de même que l’information sur le TPETPE Traitement (ou prophylaxie) post-exposition. Consiste à prescrire à une personne exposée à l'infection par le VIH, lors d’un accident d’exposition professionnel ou sexuel, une multithérapie d'antirétroviraux, de préférence dans les 4h qui suivent l'accident. Les actions répétées d’éducation pour la santé et l’éducation thérapeutique (TSO, trithérapie, interféron…) sont des axes forts à développer. Last but not least, un progrès considérable serait l’accès pour tous à une boite personnelle fermable.
En matière de TSO, y a-t-il toujours des réticences du corps médical?
9% des personnes détenues ont un TSO, dont 31% ont été initiés en détention. C’est relativement peu, bien que beaucoup plus qu’il y a quelques années. L’interruption du TSO à l’entrée en prison ne concernerait que deux établissements selon l’enquête Pri2de ; 19% des UCSA pileraient ou dilueraient la BHD pour mieux « contrôler » la prise ; 22% n’initient pas de TSO. Bien que marginales, ces pratiques démontrent à l’évidence un défaut d’accessibilité du soin lié à des pratiques soit idéologiques soit solitaires.
C’est la clinique qui enseigne. Le savoir est du côté du patient et je dirais, sous forme de boutade, que c’est pour cela que les psychanalystes se taisent. Je fais partie des psychiatres qui étaient dubitatifs sur la mise en place des TSO. Je remercie mes collègues médecins généralistes d’avoir pris la main à l’époque et je remercie les patients d’avoir continué à me consulter. Beaucoup de patients ont eu accès aux soins grâce aux TSO, ont réussi à s’apaiser, à se restaurer physiquement et ont pu commencer à parler d’eux et non du produit.
Autrement dit, pour soigner, il faut se dégager des positions moralisatrices ou normatives, accepter de ne pas tout maîtriser – dont les mésusages – et pour autant, ne pas lâcher prise. C’est une leçon d’humilité et de patience. De plus, il ne faut pas être seul mais faire partie d’une équipe et pouvoir échanger sur les pratiques.
La mise en place, en articulation avec le volet somatique et le volet psychiatrique, d’un volet addictologique dans le projet médical de l’unité sanitaire, la coordination de la prise en charge addictologique avec l’implication d’équipes addictologiques (Csapa ou ELSA) devraient contribuer à améliorer la situation.