AIDS 2018 — Session plénière: Briser les barrières et construire des ponts entre nos réponses vers la santé universelle

La session plénière du jeudi 26 juillet souligne une fois de plus que l’épidémie est loin d’être contenue. Des territoires, des populations entières sont surexposées au VIH, entretenant des micro-épidémies, et le besoin d’engagement est plus fort que jamais. 

Comprendre les interactions syndémiques entre maladies transmissibles et non-transmissibles

E.Hyle, Harvard University, United States

Le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. est en lui-même un problème de santé majeur. Quand on y associe la tuberculose, ce qui est d’une fréquence extrême dans les pays d’Afrique subsaharienne, on se retrouve avec une « synergie » de problèmes, mais si on y rajoute le diabète, l’insécurité alimentaire et l’instabilité économique, on ne sait plus trop où donner de la tête en terme d’interventions cohérentes de santé publique… Il existe un cadre «syndémique», défini par l’interaction entre les déterminants de santé et un environnement social défavorisé, qui interagissent de façon synergique (NDR : si sous souhaitez vraiment comprendre le concept, car le concept est difficile à expliquer en une phrase (!), lire cela : Singer et al. Lancet 2017). Cette approche permet d’intégrer les déterminants sociaux au sein des déterminants de santé aboutissant à une multimorbidité, en incluant approche sociale, comportementale et biologiques.

De nombreux défis restent à relever dans le domaine de la lutte contre le VIH, est considérer qu’aujourd’hui 940.000 morts et 1,8 millions de nouvelles infections annuels est un succès peut paraître péremptoire… Certes la couverture antirétrovirale atteint 60% des personnes VIH+ dans le monde (contre +/- zéro en 2000), mais le contrôle virologique, dernière marche de la cascade des 90/90/90 n’est atteint que dans moins de 50% des cas. La différence d’espérance de vie entre personnes VIH+ et VIH- a fondu en Afrique du Sud au cours des dernières années, mais reste de -1,2 années pour les hommes et 5,3 ans pour les femmes. Les personnes infectées par le VIH ont beaucoup de comorbidités, (Wong et al. CID 2018) et ceci augmente au fil des années, en parallèle au vieillissement de la cohorte des personnes séropositives. Dans le domaine de la tuberculose ou des hépatites, les indicateurs ne sont pas au vert, avec au mieux une stabilité des décès (TB) et au pire une franche augmentation (hépatites) au cours des dernières années. Mais les causes principales de mortalité à travers le mode restent les accidents cardiaques ischémiques et les AVC (16 millions de mort/an à eux deux en 2016), 

Trop de morts dues au tabac

BPCO et maladies respiratoires suivent (6 millions à elle deux) etc… La première maladie infectieuses sur le podium de la mortalité arrive largement en arrière (TB avec 1,8 millions de décès en 2016). En dehors des pays à très faibles revenus, où infections respiratoires et diarrhées occupent les premières places,  accidents cardiaques et cérébraux restent les premières causes de décès dès que le niveau de vie augmente un peu. Le tabac et la pollution sont des causes majeures de mortalité, avec un impact également majeur sur l’espérance de vie des séropositifs. Les cancers progressent rapidement, le diabète progresse de façon encore plus rapide et sa cascade de prise en charge n’est pas reluisant; et si l’on connaît bien la « cascade » de prise en charge du VIH dans la plupart des pays du monde, celles du diabète, de l’hypertension ou des maladies mentales sont bien moins connues en dehors des pays à haut niveau de revenus. Le diagnostic des comorbidités est souvent mal fait : au Malawi, la moitié des personnes suivies pour leur VIH n’ont jamais eu aucune prise tensionnelle, alors que la maladie est fortement prévalente dans la région. Aux USA, dans une étude publiée en 2012, seulement 6% des personnes ayant une maladie mentale sont pris en charge et stabilisés pour celle-ci (Pence et al. 2012).

Outre les diagnostics qui sont peu réalisés pour les comorbidités, il faut également qu’une fois diagnostiquées, les maladies puissent être traitées… or les traitements aussi simples et peu chers que ceux de l’hypertension sont inabordable en monothérapie pour 17% des foyers des pays à ressources limitées (Attei et al. Lancet 2017)… et s’il est nécessaire d’envisager une tri ou quadrithérapie des problèmes cardiovasculaires, l’inaccessibilité atteint 80% de la population.

En pratique, un exemple d’approche syndémique peut être celui des « cash transfers » qui proposent une rémunération du patient afin d’améliorer ces déterminants de santé. En jouant sur le facteur économique, on va agir non seulement sur le VIH, mais également sur les comorbidités.

En conclusion, le VIH n’est qu’un problème de santé parmi d’autres problèmes qu’ils soient de santé ou socio-économiques. L’approche syndémique permet d’agir sur des déterminants globaux, avec l’espoir d’un impact sur la santé globale.

Santé globale et réponse à l’épidémie de VIH

P.Piot, London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM), United Kingdom

La réalité d’aujourd’hui est que l’on est loin d’avoir contenu l’épidémie de VIH: l’épidémie est hors de contrôle en Asie centrale et Europe de l’Est. Le phénomène de micro-épidémie est très marqué : en parallèle à un remarquable déclin de l’incidence à San Francisco, on retrouve de l’autre coté de la baie, dans le conté d’Alameda, une incidence qui augmente notablement, essentiellement chez les afro-américains, deux populations qui se côtoient à quelques kilomètres mais dont les déterminants épidémiques sont complétement différents. L’une des difficultés que nous allons rencontrer dans la maitrise de l’épidémie est que la dernière fraction de population non dépistée et/ou non traitée et souvent la plus éloignée du soin et qu’elle constituera toujours un possible moteur épidémique de base : il faut bien avoir à l’esprit que le 90/90/90 est en fait un 90/80/73 , 90% sous traitement des 90% dépistés ne représentent que 80% de la population VIH globale, et que 90% des 80% sous traitement avec une CV indétectable ne représente in fine que 73% du nombre total de personnes VIH+. Hors 27% de la population VIH+ avec une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. détectable suffit à entretenir le moteur épidémique. Finalement, le défi sera de toucher les « 10/10/10 » qui restent à la marge du système et qui vont être le moteur épidémique de demain.

Par ailleurs, l’évolution démographique dans les zones à forte prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. fait que des millions de personnes supplémentaires vont être à risque (donc une forte augmentation de la population à cibler pour les campagnes de prévention) et à traiter une fois infectées. Un essai au Zimbabwe montre qu’il faut aller très loin dans la communauté (Ferrand et al. Lancet 2017) pour améliorer les taux de CV indétectable chez les ado, et malgré cela on reste en dessous de 50% de CV indétectables chez ceux qui participent activement au programme communautaire (contre à peine 30% chez ceux qui n’ont pas de programme de support.

Si la pandémie rebondie, l’impact sera majeur sur l’ensemble des système de santé : il ne faut pas oublier que c’est le VIH qui est à l’origine d’un certains nombre de progrès et d’ouverture dans le domaine de l’accès aux soins; un échec dans ce domaine pourrait avoir des conséquences dramatiques. Les expériences avec le paludisme ont montré qu’une diminution des financements et des efforts dans certaines régions ont entrainé un rebond épidémique difficile à maitrisé par la suite.

Le 5e message est qu’il est nécessaire de faire des efforts important sur la prévention, alors que le pourcentage de fonds alloué à la prévention est minime et à tendance à diminuer avec le temps, alors que nous disposons maintenant d’outils extrêmement précis permettant de cibler des micro-épidémies et d’adapter au mieux les interventions, permettant de concentrer les moyens. Malgré tout, il apparaît assez clair aujourd’hui qu’un vaccin est essentiel si on veut arriver un jour à « éliminer » le VIH et les nouvelles de ce coté ne sont finalement pas si mauvaises, on y arrivera !

En 6e, il ne fait pas négliger les comorbidités, notamment dans le domaine de la tuberculose ou des addictions. Les programmes de substitution et de prise en charge du VIH doivent être conjoints en Europe de l’Est, de même pour la planification familiale en Afrique sub-saharienne (NDR : il me semble que Peter Piot a spécifiquement glissé cette phrase à l’attention des gouvernants américains, qui viennent de rétablir en 2017 la « global gag rule » ou « Mexico City policy », qui interdit tout financement américain à des ONG ayant dans leur programme une information ou des actions favorables à l’avortement, textes qui ont privé de financement de plusieurs dizaines de millions de $ des ONG de planification familiale ou de lutte contre le VIH, voir la tribune du Planning Familial et International Planned Parenthood Federation). Il est évident qu’il faut intégrer les programmes de lutte contre le diabète et l’hypertension qui sont les grands oubliés des programmes…

En 7e et dernier, il est nécessaire que les programmes soient centrés sur les besoins des personnes et non ceux des systèmes, et d’aller vers des programmes d’éducation précoce : dire aux hommes  » ce n’est pas bien de battre votre femme » n’est pas (assez) efficace, il faut pouvoir intervenir précocement pour éviter que cela n’arrive et cela passe essentiellement par l’éducation. Enfin, la discrimination, notamment sur l’orientation sexuelle, reste une difficulté essentielle et l’impression globale est que cela ne va pas en s’améliorant (lire l’article de Larry Kramer dans le New York Times du 11 juillet).

Mettre en oeuvre une cascade de soins et de traitement efficace auprès des populations clés et vulnérables

D.Malebranche, Morehouse School of Medicine, United States

(NDR : L’intervention du Dr Malebranche était très énergique et militante… et donc très difficile à retranscrire…).

La particularité du Dr Malebranche est d’être américain, métis Ukrainien et noir, homosexuel et VIH+, activiste  et s’intéressant particulièrement à a question de la vulnérabilité des HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  noirs américains.

Les HSH noirs américains ont une probabilité de 50% d’être infectés par le VIH au cours de leur vie, bien plus que les HSH d’autres origines (figure). Alors que 16 communautés d’Ouganda et du Kenya sont en voie d’atteindre le 90/90/00, la cascade est catastrophique chez les HSH noirs américains (le dernier 90 était… à 16% en 2014).

Risque de diagnostique VIH chez les HSH américains au cour de la vie par race et éthnicité

Le cercle vicieux stigma/discrimination/silence/ignorance/peur est à l’œuvre, la criminalisation du VIH, particulièrement présente dans le sud-est des USA, est un obstacle supplémentaire à la prévention et la prise en charge et 13 états américains criminalisent encore l’homosexualité. La suprématie blanche a fait des dégâts immenses au cours des derniers siècles, qu’il est difficile de mettre en évidence car finalement peu étudiés… L’accueil dans les centres de prise en charge devrait être mieux étudié, et peut être avons-nous trop peur de nous regarder dans le miroir et de ce que nous trouverions pour que ce soit vraiment scruté, et nous préférons aller dans les hôtels confortables des conférences internationales à boire du bon vin (sic).

Les études américaines montrent que les noirs sont moins observant, plus souvent perdus de vue, plus méfiants vis-à-vis du système… On a tendance à considérer ces populations comme « difficile à atteindre » ou comme « éloignées du soins », et a essayer de caractériser et d’étudier la population concernée… Mais si dans un restaurant 3 ***, 100 clients venaient le premier jour et seulement 40 un mois après, se poserait t-on la question de ce qui ne va pas chez les clients ? ou se demanderait-on si le repas était mauvais, le service exemplaire, la publicité correctement faite, le menu adapté au gout des clients ?
Les programmes communautaires doivent être à la base de la réponse pour améliorer prévention et soins chez les HSH noirs américains : c’est en grande partie l’inadaptation du système qui fait que les résultats sont si mauvais, bien plus mauvais qu’au Kenya où la communauté est autrement engagée. Les populations « difficile à toucher » ne le sont que parce que les systèmes ne sont pas conçus pour les toucher. Dans une conclusion très émouvante, D. Malebranche a envoyé un message d’amour et de tolérance, d’empowerment et de lutte pour les homosexuels noirs américains.

Ne laisser personne sur le bord de la route: un appel à agir !

Y.Panfilova, Teenergizer, Ukraine

Créatrice de Teenergizer à l’âge de 16 ans, un mouvement d’adolescents séropositifs, Yana Panfilova, 20 ans aujourd’hui, infectée à la naissance, a présenté les témoignages d’adolescents et de jeunes concernés par le VIH. Intervention difficile à résumer, mais que d’énergie (et d’humour) !

Une petite vidéo vaut mieux qu’un long rapport…

Pour terminer cette plénière: les liens entre l’IAS et les activistes paraissent un peu tendus actuellement. Il apparaît que pour des raisons de « sécurité » les manifestations des activistes dans l’enceinte du congrès soient interdites, elles se cantonnent au village global (où elles sont finalement un peu à distance du congrès, surtout que cette année la géographie des lieux fait que les salles de conférence et le village des activistes et de la société civile sont largement séparés) et surtout à distance de la zone commerciale où elles genent peu l’industrie, souvent visée…

Peter Reiss, le Co-Chair de cette conférence s’est retrouvé dans une situation un peu ridicule: l’IAS a voulu créer une manifestation symbolique (et assez QQ à vrai dire), une sorte de flamme olympique du VIH, passant de main en main des personnes concernées (chercheurs, patients…) et se terminant tout aussi symboliquement dans les mains de Timothy Brown « le-seul-homme-du-monde-qui-a-guéri-du-VIH… Mais cela s’est transformé en un scénario pas drôle du tout et en foire d’empoigne quand les activistes l’ont intercepté (tout cela retransmis en vidéo dans la salle centrale du congrès) au sujet de la localisation de la prochaine conférence qui fait polémique (à San Francisco, où ne pourront pas obtenir de visa touriste les travailleurs du sexe et les usagers de drogues pour venir assister à la conférence, au son de «No AIDS Conference in Trump’s America»… suite au prochain épisode !)

Le Dr Cédric Arvieux couvre la Conférence d’Amsterdam 2018 sur le site du Corevih-Bretagne. Nous reproduisons ce texte avec son aimable autorisation.