La cascade de soins VIH en Afrique subsaharienne: Vers une meilleure liaison entre dépistage et entrée dans les soins.

Le diagnostic du VIH n’est que la première étape du parcours de soin des personnes infectées. Idéalement, un diagnostic doit être suivi rapidement d’une évaluation de l’éligibilité au traitement (principalement une mesure des CD4), puis d’une initiation du traitement ARV ou d’une ré-évaluation régulière de l’éligibilité. Dans les faits, la continuité à cette étape cruciale de la cascade est loin d’être optimale.

Une étude datant de 2012 avait estimé à près de la moitié (45%) la proportion de patients non retenus dans les soins entre le diagnostic du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et l’initiation du traitement ARV1Kranzer K, Govindasamy D, Ford N, Johnston V, Lawn SD. Quantifying and addressing losses along the continuum of care for people living with HIV infection in sub-Saharan Africa: a systematic review. J Int AIDS Soc. 2012;15(2):17383. .

Le problème de continuité entre diagnostic VIH et entrée dans les soins se pose pour tous les types de dépistage. Cependant, l’ampleur de ce phénomène semble dépendre partiellement du contexte dans lequel le dépistage a lieu. Dans une revue de la littérature concernant le dépistage à l’initiative du soignant en milieu hospitalier, la plupart des études commentées documentaient une proportion d’entrée dans les soins de moins de 50%2Roura M, Watson-Jones D, Kahawita TM, Ferguson L, Ross DA. Provider-initiated testing and counselling programmes in sub-Saharan Africa: a systematic review of their operational implementation. AIDS Lond Engl. 2013 Feb 20;27(4):617–26. . En comparaison, dans une méta-analyse  compilant les résultats d’études sur le dépistage hors des structures de santé les auteurs ont calculé à partir de 17 études un pourcentage combiné de 80% des participants recevant les résultats d’une mesure de CD4 suite à un diagnostic VIH, critère retenu de liaison avec les soins3Suthar AB, Ford N, Bachanas PJ, Wong VJ, Rajan JS, Saltzman AK, et al. Towards Universal Voluntary HIV Testing and Counselling: A Systematic Review and Meta-Analysis of Community-Based Approaches. PLoS Med. 2013 août;10(8):e1001496.. À partir de 9 études, la même méta-analyse arrivait à un niveau global de liaison entre diagnostic VIH au cours d’un dépistage communautaire et initiation du traitement ARV de 73%. Ainsi, en plus de présenter de meilleurs taux d’acceptation par rapport au dépistage en milieu médical (cf article 1/3), le dépistage communautaire permettrait également une meilleure liaison entre diagnostic et soins. Ces résultats soulignent la nécessité d’interventions pour améliorer cette liaison, en particulier en ce qui concerne le dépistage en milieu hospitalier pour lequel la proportion de patients diagnostiqués tardivement (et donc en besoin de traitement) est plus importante4Suthar AB, Ford N, Bachanas PJ, Wong VJ, Rajan JS, Saltzman AK, et al. Towards Universal Voluntary HIV Testing and Counselling: A Systematic Review and Meta-Analysis of Community-Based Approaches. PLoS Med. 2013 août;10(8):e1001496..

Peu d’interventions innovantes permettant d’augmenter la liaison entre diagnostic VIH et entrée dans les soins ont fait l’objet d’évaluation5Kranzer K, Govindasamy D, Ford N, Johnston V, Lawn SD. Quantifying and addressing losses along the continuum of care for people living with HIV infection in sub-Saharan Africa: a systematic review. J Int AIDS Soc. 2012;15(2):17383.6Bärnighausen T, Tanser F, Dabis F, Newell M-L. Interventions to improve the performance of HIV health systems for treatment-as-prevention in sub-Saharan Africa: the experimental evidence. Curr Opin HIV AIDS. 2012 Mar;7(2):140–50.. Parmi celles qui favorisent cette liaison, un essai randomisé conduit en Afrique du Sud a montré que la mesure des CD4 le jour même du diagnostic VIH permettait de doubler la probabilité pour un patient de rester dans les soins ; mais même chez les patients ayant reçu l’intervention, le taux de maintien dans les soins demeurait faible (environ 50%)7Faal M, Naidoo N, Glencross DK, Venter WDF, Osih R. Providing immediate CD4 count results at HIV testing improves ART initiation. JAIDS J Acquir Immune Defic Syndr. 2011 Nov 1;58(3):e54–9.. Des résultats très prometteurs ont récemment été présentés, ils concernaient une intervention testée au Malawi et reposant sur un auto-test et une évaluation de l’éligibilité au traitement ARV effectuée à domicile, le traitement étant initié le jour même pour les personnes éligibles8MacPherson P, Lalloo DG, Webb EL, Maheswaran H, Choko AT, Makombe SD, et al. Effect of optional home initiation of HIV care following HIV self-testing on antiretroviral therapy initiation among adults in Malawi: a randomized clinical trial. JAMA J Am Med Assoc. 2014 Jul 23;312(4):372–9. . Pour cette intervention évaluée en essai contrôlé randomisé en population, le taux d’initiation du traitement dans le bras intervention était presque trois fois plus important que celui observé dans le bras contrôle (évaluation d’éligibilité et initiation du traitement en milieu hospitalier). Cette étude permet d’illustrer les résultats intéressants qui peuvent découler d’idées novatrices consistant à amener les soins au plus près des patients.

L’acceptation du traitement précoce

Dans un contexte où les recommandations internationales préconisent un traitement initié de plus en plus précocement9WHO. Consolidated guidelines on the use of antiretroviral drugs for treating and preventing HIV infection. Recommandations for a Public Health approach. Geneva, Switzerland; 2013., il est hasardeux de prévoir le niveau d’acceptation, chez des personnes ne présentant pas ou peu de symptômes d’un traitement, généralement perçu comme lourd. Une étude conduite en 2009 à Soweto (Afrique du Sud) a ainsi montré qu’un patient sur cinq éligible au traitement ARV selon les recommandations du moment (CD4<200/mm3 ou stade OMS clinique 4) refusait d’initier un traitement ARV. La raison la plus souvent évoquée par ces patients étaient qu’ils se percevaient en bonne santé10Katz IT, Essien T, Marinda ET, Gray GE, Bangsberg DR, Martinson NA, et al. Antiretroviral therapy refusal among newly diagnosed HIV-infected adults. AIDS Lond Engl. 2011 Nov 13;25(17):2177–81.. Des résultats plus récents obtenus au Kenya ont montré que, parmi des couples sérodifférents (un partenaire séropositifSéropositif Se dit d’un sujet dont le sérum contient des anticorps spécifiques dirigés contre un agent infectieux (toxo-plasme, rubéole, CMV, VIH, VHB, VHC). Terme employé, en langage courant, pour désigner une personne vivant avec le VIH. l’autre séronégatif), 40% des partenaires infectés ne se disaient pas intéressés par une initiation précoce du traitement ARV (proposé à titre hypothétique) dans le but de protéger leur partenaire11Heffron R, Ngure K, Mugo N, Celum C, Kurth A, Curran K, et al. Willingness of Kenyan HIV-1 serodiscordant couples to use antiretroviral based HIV-1 prevention strategies. JAIDS J Acquir Immune Defic Syndr. 2012 May 16;61(1):116–9. . Des données qualitatives collectées parmi les mêmes couples ont ensuite permis d’éclairer ces réserves quant à un traitement ARV précoce : elles ont montré que le traitement ARV était encore souvent associé dans les esprits au stade SIDASida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. et plus généralement à une dernière étape avant une mort prochaine12Curran K, Ngure K, Shell-Duncan B, Vusha S, Mugo NR, Heffron R, et al. ‘If I am given antiretrovirals I will think I am nearing the grave’: Kenyan HIV serodiscordant couples’ attitudes regarding early initiation of antiretroviral therapy. AIDS. 2013 Aug;1.. Si cette perception négative du traitement ARV était fréquente parmi ces couples sérodifférents, la même étude montrait néanmoins que la quasi-totalité des partenaires non-infectés étaient en faveur d’une initiation précoce du traitement par leur partenaire. Encore plus récemment, une étude qualitative conduite au Botswana chez des personnes diagnostiquées précocement (>350CD4/mm3 a montré que les connaissances de base concernant l’effet préventif du traitement ARV étaient très limitées, mais qu’une fois qu’une information et sensibilisation au concept était proposé, les personnes interrogées estimaient que la prévention de la transmission du VIH à leur partenaire pouvait les motiver à commencer un traitement précoce13Logan A, Plank R, Bogart L, Moloi K, Maotonyane K, Bussmann H, et al. Acceptability of early initiation of antiretrovirals for treatment as prevention among HIV-infected persons in Mochudi, Botswana. Kuala Lumpur, Malaysia; 2013..

Ces différents résultats mettent en lumière des barrières potentielles à un recours de plus en plus précoce au traitement ARV. Ils soulignent également la nécessité de campagnes de promotion du traitement, visant à modifier l’image qui lui est associée, en mettant en avant autant les bénéfices sur la santé de la personne infectée que ses bénéfices préventifs. La mobilisation des partenaires séronégatifs pourrait en outre améliorer l’impact de telles campagnes.

Reste que l’initiation du traitement ARV n’est que la première étape dans le parcours thérapeutique d’une personne infectée par le VIH. En effet, les bénéfices du traitement ne perdurent sur le long terme que si la prise du traitement est régulière, ce qui implique à la fois une bonne observanceObservance L’observance thérapeutique correspond au strict respect des prescriptions et des recommandations formulées par le médecin prescripteur tout au long d’un traitement, essentiel dans le cas du traitement anti-vih. (On parle aussi d'adhésion ou d'adhérence.) du patient traité, elle-même dépendante du maintien du patient dans les soins et d’une organisation robuste du système de santé.