Vienne 2010 — Deux Bill à l’assaut de la pandémie

Fin de matinée, hier, dans les couloirs de la conférence internationale de Vienne. Le professeur Michel Kazatchkine, directeur du Fonds mondial de lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. […]

Fin de matinée, hier, dans les couloirs de la conférence internationale de Vienne. Le professeur Michel Kazatchkine, directeur du Fonds mondial de lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. est pressé. Il se rend à un rendez-vous avec Bill Gates.«Depuis cinq ans, la fondation Gates nous donne 100 millions de dollars[77 milliards d’euros] par an et nous allons voir s’il continue», explique-t-il. Un peu plus loin, des militants de la Coalition Plus ont endossé un tee-shirt vert et s’apprêtent à se rendre à l’intervention de Gates en salle plénière :«On veut le pousser à défendre publiquement la taxe Tobin, sur les mouvements financiers.»

Leader

Bill Gates arrive. Comme à son habitude un rien engoncé, mauvais orateur. Mais il tient un discours de leader, et plus seulement de donateur richissime. «Il y a une possibilité historique de changer le cours du sida», dit-il, rappelant au passage les 5 millions de personnes aujourd’hui sous traitement. «Il faut être honnête : nous ne pouvons pas continuer de dépenser les ressources attribuées à la recherche contre le sida comme nous le faisons aujourd’hui. Nous pouvons continuer de rechercher des fonds, mais nous devons également nous assurer que nous utilisons au mieux chaque dollar et que nous mettons bien à profit chaque effort réalisé.». Une posture nouvelle : «Aujourd’hui, il y a un ministre de la Santé mondiale. Ce n’est pas l’OMS [Organisation mondiale de la santé, ndlr], c’est Bill Gates. C’est lui qui est entrain d’orienter les grands choix sanitaires mondiaux»,nous disait récemment le professeur William Dab, ancien directeur général de la santé en France.

Paradoxalement, ce changement de stature intervient à un moment où, à Vienne, les grands leaders politiques sont absents. «C’est encore un signe»,remarque le professeur Peter Piot, pendant plus dix ans dirigeant de l’Onusida. «Le sida n’est plus tout à fait au top de l’agenda des politiques. Ce qui laisse de la place à Bill Gates, qui est de loin le premier financeur privé mondial.»

Aujourd’hui, la fondation Bill & Melinda Gates est une puissance sanitaire privée comme jamais il n’en a existé, finançant une kyrielle de projets grâce aux 33,5 milliards de dollars dont elle dispose : sur le sida, ce sont 2,2 milliards de dollars dépensés depuis sa création, en 1999. «Son rôle est devenu central», reconnaît un responsable de l’OMS, qui précise : «Il ne faut pas oublier non plus que Bill Gates est le deuxième financeur de l’OMS.»Peter Piot ajoute : «La fondation Gates va ouvrir un bureau à Londres pour se rapprocher des grandes décisions de politiques du développement.»Quoiqu’il en dise, Gates serait donc de plus en plus le grand ordonnateur de la santé mondiale. La tendance est nette, même si plusieurs experts tempèrent cette analyse. «Gates a choisi, avec sa femme, de s’investir sur la santé, mais il le fait sur un créneau très particulier : les nouveaux outils de prévention. Il ne s’est pas mis dans une situation de donner des orientations d’ordre général», explique Michel Kazatchkine. Michel Sidibé, actuel directeur de l’Onusida, est du même avis : «Bill Gates nous aide, il complète nos programmes. Mais tout ce qui est de l’ordre de la gouvernance des choix sanitaires, cela reste l’Onusida et l’OMS. Et ce serait un grand dommage de sortir de ce schéma-là.»

Charisme

Hier, en même temps que Gates un autre Bill était présent : Clinton. L’ancien président américain a certes moins d’argent (sa fondation pèse quelques centaines de millions d’euros), mais il a indéniablement plus de charisme. «Comme je ne suis plus président, je peux dire ce que je veux. Tout le monde s’en moque, mais je le fais», ironise-t-il. Avant de tenir un discours identique à celui de Bill Gates. «On ne pourra pas voir la fin de cette épidémie sans une autre façon de dépenser l’argent.» Ou encore : «Nous devons faire notre travail mieux, plus rapidement, et avec moins d’argent. Pour cela, nous avons deux options. Soit manifester et demander plus d’argent, mais le second choix est le meilleur : mieux dépenser.» Les deux Bill, nouveaux croisés de la rigueur dans l’humanitaire ?

>>> Vienne 2010
Toute l’actualité de Vienne 2010 est sur Vih.org. A l’occasion de la conférence, Vih.org s’associe à Libération.fr et Yagg.com. Les photos et l’ambiance de la conférence sont sur Vu, le regard de Vih.org.