Les antipsychotiques atypiques sous surveillance

Les neuroleptiques ne sont pas considérés, a priori, comme des substances susceptibles d’être détournées dans le cadre d’une addiction. Mais les antipsychotiques atypiques (APA) permettraient, chez certains patients, d’augmenter l’effet d’autres substances ou de contrôler les effets indésirables de certaines drogues.

Les neuroleptiques ne sont pas considérés, a priori, comme des substances susceptibles d’être détournées dans le cadre d’une addiction. Certes, la pratique clinique amène à prendre en charge, de façon non fréquente, des consommateurs abusifs de Tercian®, mais l’usage des antipsychotiques atypiques semblait non concerné. Quelques cas rencontrés dans certaines structures éveillent notre attention: le Risperdal®, par exemple, prend une place pour certains patients au-delà (nombre de comprimés, heures de prise) du strict cadre thérapeutique. Dans notre expérience, un patient utilisait l’association Risperdal®-alcool pour modifier son comportement et se sentir capable d’aller acheter et de consommer du crackCrack Le crack est inscrit sur la liste des stupéfiants et est la dénomination que l'on donne à la forme base libre de la cocaïne. Par ailleurs, ce dernier terme est en fait trompeur, car le mot cocaïne désigne en réalité le chlorhydrate de cocaïne. L'origine du mot 'crack' provient du craquement sonore qu'il produit en chauffant.  

Récemment, un travail présenté au 24e congrès annuel de The American Academy of Addiction Psychiatry (AAAP) apporte un constat et des éléments d’analyse complémentaire. Ces antipsychotiques atypiques (APA) permettraient, chez certains patients, d’augmenter l’effet d’autres substances ou de contrôler les effets indésirables de certaines drogues.

Un «screening» attentif nécessaire

Au vu de l’importance des comorbidités psychiatriques dans la population des patients dépendants, la fréquence de «contact» avec un APA est réelle. Ces produits sont disponibles et volontiers prescrits. Les auteurs du travail incitent les praticiens à réaliser un «screening» attentif avant de prescrire un APA, que ce soit pour l’addiction elle-même ou pour une psychose, interrogeant soit la réalité de l’indication, soit l’observance, chez des patients connus comme «mésuseurs» des médicaments. L’étude de Haller1Haller, Bogunovic, Miller American Academy of Addiction Psychiatry (AAAP) 24th Annual Meeting & Symposium: Abstract 16, presented December 7, 2013 – Medscape Medical News. donne une place particulière à la quiétapine. Sur 429 patients suivis dans des centres spécialisés d’addictologie à New York, 73 (17%) reportaient un usage non médical des APA en association avec d’autres substances. Dans 85% des cas, c’est la quiétapine qui était utilisée, suivie par le Risperdal® (25%). Il faut interroger le potentiel addictogène de cette substance, mais noter que sa disponibilité et son utilisation aux états-Unis sont sans commune mesure avec la nôtre. Cette molécule2Yargic I, Caferov C. Quetiapine dependence and withdrawal: a case report. Subst Abus 2011;32(3):168-9. est en effet très présente sur le marché américain et est davantage susceptible d’être détournée (effet masse/effet seuil : communication personnelle). Il faut noter aussi que la majorité de ces neuroleptiques provenaient des pharmacies familiales, mais qu’il existait aussi un marché de rue (produit tarifé). Les raisons les plus souvent évoquées pour leur usage étaient d’éviter les effets indésirables de drogues ou d’alcool, d’augmenter leur effet, ou avec un désir d’expérimentation «juste se sentir différent».

Aux états-Unis comme en France, il est noté que les indications des APA s’élargissent bien au-delà des psychoses. Les troubles de l’humeur sont concernés, mais aussi pour les troubles du sommeil, les troubles anxieux et dépressifs, augmentant potentiellement leur présence sur le marché.

Être vigilants sur l’indication et le suivi des prescriptions

Une recherche sur Medline («quietapine addiction») apporte quelques éléments contributifs: un cas de dépendance et de sevrage à la quiétapine a été observé chez un homme de 37 ans. Un article en turc (abstract seul disponible) propose en 2010 une revue de la littérature sur ce point3Erdogan S. Quetiapine in substance use disorders, abuse and dependence possibility: a review. Turk Psikiyatri Derg 2010;21(2):167-75., signalant l’usage en prison et le mode de prise, intranasal et intraveineux. Le premier cas probable de sniff de quiétapine est signalé en 20044Pierre JM, et al. Intranasal quetiapine abuse. Am J Psychiatry 2004;161(9):1718. No abstract available.. La recherche «rispéridone addiction» ne donne aucun résultat : est-ce une nouvelle spécificité française?

Ces données nous amènent à être vigilants sur l’indication et le suivi des prescriptions, et à savoir établir une alerte d’addictovigilance sur ces molécules passant souvent inaperçues dans nos anamnèses.