Mémoire journalistique — Cholestérol et Statines : nouvelle poussée de négationnisme médical?

Après l’affaire du Mediator et des anorexigènes, de la pilule de troisième génération, c’est maintenant autour des statines et du «bon/mauvais cholestérol» que s’est déplacé l’épicentre de la polémique publique sur la «juste prescription», le tout dans le sillage d’un coup d’édition. De quoi déboussoler nombre de malades.

Impossible d’y avoir échappé, ne serait-ce qu’avec la Une du Nouvel Obs et la tête du Pr Philippe Even tout goguenard, retraité de la Pneumologie française et ancien puissant doyen de la Faculté Necker Enfant Malades, devenu auteur à grands tirages (avec Bernard Debré puis en solo) et à grandes polémiques sur le ton «la vérité concernant les médicaments». Petit rappel pour ceux qui se tiennent éloignés des vagues médiatiques: dans La Vérité sur le cholestérol, qui vient de paraître aux éditions du Cherche-Midi, Philippe Even dénonce purement et simplement le lien communément admis entre cholestérol et maladies cardiovasculaires d’où l’inutilité supposée du traitement par les médicaments de la famille des statines. Une classe thérapeutique parmi les plus prescrites en France: Cinq millions de personnes traitées en France.

Surfant sur le succès de son précédent ouvrage, Le Guide des 4000 médicaments co-écrit avec Bernard Debré,  dans lequel il affirmait déjà que «la prescription de statines était inutile dans 9 cas sur 10» , Philippe Even réfute purement et simplement «l’existence d’un mauvais cholestérol», déclarant qu’il s’agit d’une «farce inventée par l’industrie pharmaceutique» (sic). Le débat est faussé dès le départ puisque sont mis dans le même sac l’utilisation des statines non pas chez les personnes ayant déjà fait un accident cardiovasculaire, un AVC ou un infarctus du myocarde —donc en prévention «secondaire»— qui est indiscuté et indiscutable et la prescription chez les personnes n’ayant pas d’autre anomalie qu’un taux élevé de la fraction du cholestérol associée à l’athérosclérose (LDL), donc en «prévention primaire».

Questions et doutes en consultations VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi.

En consultation VIH, c’est une vague déferlante de questions et de doutes : N’y aurait-il que du «bon cholestérol» d’un côté et de l’autre de mauvaises études «achetées» par l’industrie pharmaceutique? Surtout dans une population, les patients VIH+, lourdement chargée en facteurs de co-morbidité, et où la maladie VIH, l’inflammation chronique, certains traitements antirétroviraux viennent s’ajouter aux facteurs de risques cardio-vasculaires classiques (tabac, âge, antécédents familiaux, sexe, obésité, sédentarité, HTA, etc.). Le pire, c’est que la réplique des spécialistes et des autorités sanitaires s’est fait attendre et que Philippe Even s’était déjà refait une santé médiatique post «Cyclosporine comme traitement du sida» (voir infra) avec le Médiator où on l’a vu expertiser les plateaux télés.

Dans un communiqué qu’elle a publié le 14 février, la Haute Autorité de santé (HAS) rappelle qu’à la suite de l’analyse critique menée en 2010, elle considère que les «statines ont une place dans la prise en charge de certains patients, car elles sont associées à une baisse de la mortalité totale d’environ 10% et du risque de survenue d’un accident cardiovasculaire (infarctus du myocarde notamment». Pour la HAS, «l’intérêt des statines est indiscutable» en prévention secondaire. En prévention primaire, elles «sont à réserver aux personnes qui sont à haut risque, c’est-à-dire qui cumulent plusieurs facteurs de risque tels qu’un diabète, une hypertension artérielle, un tabagisme…» L’institution poursuit: «Par contre, dans le cas d’une hypercholestérolémie non familiale isolée, il n’a pas été démontré que la prescription de statines était efficace. Le traitement par statine n’est alors pas justifié.» C’est aussi simple que cela.

En pleine page du journal Le Monde daté du 19 Février figure un communiqué sous le titre Cholestérol: Attention danger (PDF), signé de plusieurs sociétés savantes telles que le Collège National des Cardiologues français et le Collège des Cardiologues des Hôpitaux, la Société française de cardiologie, la Fédération française de cardiologie, la Société française du diabète et plusieurs associations de patients, comme l’Alliance du coeur, France AVC et l’Association française des diabétiques… Le communiqué souligne que les maladies cardiovasculaires représentent la 2e cause de mortalité en France et la première chez les femmes, et que les patients qui prennent des statines ne doivent pas les interrompre «sans consulter leur médecin traitant pour obtenir les informations et les éclaircissements qu’ils souhaitent». Et que «il n’y a pas un seul médicament en médecine préventive qui ait un niveau de preuves d’efficacité aussi élevé que les statines», et que «nier le bénéfice des statines et leur impact sur l’espérance de vie, c’est à la fois malhonnête (en niant les faits scientifiques) et dangereux (pour les patients qui de bonne foi arrêteront leur traitement)».

Le 31 janvier, des experts membres de la Collaboration Cochrane ont décortiqué dix-huit essais de bonne qualité méthodologique. Fiona Taylor et ses collègues constatent que ce traitement entraîne une réduction de la mortalité totale et des événements cardiovasculaires mortels ou non. «Si mille personnes sont traitées avec une statine pendant cinq ans, dix-huit éviteront un événement cardiovasculaire majeur, ce qui est bien comparé aux autres traitements utilisés dans la prévention des maladies cardiovasculaires.» Comme pour d’autres médicaments mis sur la sellette, le problème ne viendrait-il pas d’abord de prescriptions à grande échelle non justifiées?

Qui est Philippe Even

Pour savoir qui est vraiment Philippe Even dans le paysage médiatico-sanitaire, il faut remonter à un certain 29 Octobre 1985, 16 heures, début de «l’Affaire Cyclosporine» ou «la main de la politique dans la culotte de la Science» selon l’expression de Jacques Leibowitch1récit paru dans Sida 2.0 aux Editions Fleuve Noir avec Didier Lestrade, Janvier 2012. Conférence de Presse dans un amphithéâtre de l’hôpital Laennec bondé de caméras et de prises de son du monde entier devant tous les médias des Pr Jean-Marie Andrieu et du Pr Philippe Even sous la bienveillance politicienne de Georgina Dufoix alors Ministre des Affaires Sociales. Ces derniers annoncent que la Cycloporine A, un médicament découvert en 1969 et utilisé dans les greffes, administrée 5 jours sur un malade du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. avait «permis une amélioration spectaculaire de son état de santé». C’est la Ministre elle-même, Georgina Dufoix, qui avait tenu à annoncer par un communiqué de presse d’anthologie, suite au rendez vous fixé avec les médecins de l’hôpital Laennec de Paris, les Pr Jean-Marie Adrieu, Philippe Even, la nouvelle d’«une méthode de traitement du sida originale et, à certains égards, opposés aux traitements jusque là essayés qui n’ont donné hélas que des résultats mineurs».

La Cycloporine à la Une de France Soir une première fois, le 30/10/1985 avec la photo des sus-cités devant une multitude de micros : «Nouveau succès français» dans le traitement du Sida sur… 2 patients!. Une deuxième Une, le Samedi 9 Novembre 1985 : «Sida: le malade traité à Laennec va beaucoup mieux. Il a pu rentrer chez lui pour quelques jours.» En fait le malade en question, dont le Pr Andrieu nous déclarait alors en guise de bulletin de santé intermédiaire «qu’il n’allait ni bien ni mal mais qu’il existait!» est décédé le 16 heures ce même 9 Novembre. Puis le lundi, annonce rétrospective d’un second décès. Puis un peu plus tard cette autre Une de France-Soir, avec des lettres de 2 cm de haut à ce nouveau titre : «SIDA : « la mort de mon malade ne m’arrêtera pas », déclare le Professeur Even qui annonce que sa thérapeutique va s’étendre à d’autres centre français.»

Philippe Even nous écrivit, à Libération, Eric Conan et moi-même, suite à l’enquête publiée dans le quotidien le 8 novembre 1985 (voir l’analyse de Eric Conan sur le sujet des statines) sur 3 pages qui crucifiaient la conférence de presse et son cheminement: «Bien que cette conférence se soit déroulée dans des circonstances dont je n’étais pas entièrement maitre, j’assume toute la responsabilité de la conférence de presse prématurée et de toute façon malencontreuse du mois d’octobre dernier.» C’est au moins là le courage que l’on peut reconnaitre à Philippe Even: assumer ses propres erreurs et ses errances. En sera-t-il de même au sujet des Statines «inutiles» contre le cholestérol comme de la Cyclosporine?