Drogues et usages — La prévention des pratiques à risques chez les gays

La prévention chez les gays/HSH est une priorité absolue du plan national de lutte contre le sida et les IST 2010-2014. Un récent numéro spécial du Lancet (juillet 2012) et une session entière de la dernière conférence internationale, à Washington, ont mis l’accent sur les hauts niveaux de prévalence du VIH chez les gays, sur le déficit d’efficacité de la prévention et sur les « nouvelles prises de risques » liées notamment aux usages de drogues dans un contexte de pratiques sexuelles elles-mêmes à risques.

Cet article a été publié dans le n°67 de Swaps (PDF, 1,88Mo).

Il est admis que tous les moyens utiles sont à favoriser pour augmenter le niveau de prévention et que ceux-ci doivent être intégrés dans une approche combinée?:

– Promotion du préservatif toujours et encore
– Traitement comme outil de prévention (TasP)
– PEP et PrePPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®.
– Dépistage du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. répété en fonction des pratiques
– Dépistage des coïnfections?: VHC et ISTIST Infections sexuellement transmissibles. 
– Actions visant à réduire le nombre de pénétrations anales non protégées
– Lutte contre la consommation de drogues dans un but de réduction des risques liés à ses pratiques

Paradoxalement, c’est ce champ de la réduction des risques liés à l’usage de drogue, et sa dynamique, qui semblent être le moins étudiés, bien que différents projets émergent, notamment dans le cadre de l’InVS et dans celui des groupes «?addictions?» ou «?recherche communautaire?» de l’ANRS. D’où l’importance, faute de données pour l’heure, de faire remonter les expériences de terrain.

Des études cantonnées aux pays anglo-saxons

Le lien entre usage de drogues et homosexualité est ­rarement étudié, que ce soit sous l’angle de l’usage de drogues chez les gays ou sous celui de la sexualité des usagers de drogues. Sauf en Australie, au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, où les recherches épi­démiologiques sur les caractéristiques des pratiques d’usage de drogues chez les gays ont été plus répandues, mettant généralement en avant l’importance de la consommation de produits psychoactifs (drogues illicites, médicaments détournés et alcool).

En France, on dispose des données comme celles de l’enquête Presse Gay 2004, mais qui ne permettent pas de quantifier les «?nouvelles pratiques?» dont il est question dans ce dossier.

La première enquête menée en France

La première enquête qualitative sur les consommations de substances psychoactives en contextes festifs gays a été réalisée à Paris et à Toulouse en 2007 à l’initiative de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)1Fournier S., Escots S. (eds.), Homosexualité masculine et usages de substances psychoactives en contextes festifs gais. Enquête ethnographique à Paris et Toulouse en 2007, Saint-Denis, OFDT, 2010. Cette étude est accessible dans son intégralité sur demande auprès de l’OFDT.. Elle prenait en compte et analysait les contextes, l’usage de psychoactifs, ainsi que les pratiques et les prises de risques sexuels.

Cette enquête a inclus des observations en contextes festifs gays privés et publics et a été conduite en réalisant des entretiens ouverts et semi-directifs avec 50 informateurs (35 usagers et 15 professionnels ou bénévoles œuvrant sur le terrain de la prévention VIH et toxicomanie) au cours de l’année 2007. Le lien entre consommation de drogues et prise de risque y est clairement établi. L’alcool et les poppers sont les premiers produits associés aux prises de risques sexuels.

Par ailleurs, si la consommation de produits psychoactifs favorise le passage à des pratiques sexuelles «?hard?», on observe que son usage est instrumentalisé dans ce but. En revanche, les usagers de psychoactifs déclarant se protéger systématiquement maintiennent leurs pratiques préventives sous l’effet des produits ou tendent à développer de nouvelles stratégies d’évitement du risque.

Des croisements d’informations sont en cours avec le programme ERLI (voir Swaps no?64), les structures de RDR liés aux usages de drogues et les structures de prévention et d’accompagnement VIH communautaires en Ile de France notamment mais aussi à Marseille, notablement Le Centre 190 à Paris qui possède une consultation spécialisée pour l’usage de drogues chez les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  (lire page 7) ou Le Kiosque du groupe SOS. Il est important de quantifier ce phénomène. Les remontées de terrain montrent que ces pratiques ne restent pas que localisées à des gays séropositifs pratiquant le bareback. Il est surtout nécessaire de créer des passerelles vers les structures de RdR liés aux usages de drogues pour apporter une réponse adaptée, rapide et pragmatique.

Les observations d’un clinicien

Le Dr Régis Missonnier est sollicité régulièrement, à son cabinet, principalement en début de semaine, après le week-end donc, par un certain nombre de patients, quel que soit leur âge, pour un état de fatigue intense et excessive associée à des états de «?déprime?». Il questionne durant ces consultations leur mode de vie du week-end, et donc leur consommation de substances… dites «?récréatives?». Pour lui, les drogues «?usuelles?» se répartissent globalement en quatre groupes?: les «?perturbateurs?», les «?hallucinogènes?», les «?stimulants?» et les «?dépresseurs?».

Parmi les pratiques qu’il observe de plus en plus souvent, on peut citer le recours à la cocaïne avant ou lors de rapports sexuels, utilisée en snif mais aussi en application locale au niveau des organes génitaux ou de la région anale, et, phénomène récent, de plus en plus en injection pré ou per coïtal (pratique dite du «?slam?»), individuelle ou mutuelle entre les partenaires sexuels. L’effet principal recherché est une sensation de toute puissance sexuelle, avec désinhibition physico-psychique. Les consommateurs rapportent comme effets secondaires une logorrhée, une irritabilité, une agitation et un sentiment d’épuisement psychique engendrant le besoin de re-consommer (craving).
Autre pratique de plus en plus rapportée en consultation, le recours à la méphédrone ou à ses dérivés au gré des interdictions successives. Initialement on le trouvait sur internet comme engrais pour plantes (bonzaïs notamment), avant son interdiction. Dernièrement, un des dérivés de la méphédrone a été retrouvé dans la composition des sels de bains aux États-Unis… Ses effets sont proches de ceux de l’ectasy-MDMA et d’une durée d’une à cinq heures. Actuellement, la consommation de ses dérivés serait de plus en plus répandue en injection (slam) lors des rapports sexuels avec partenaires («?chemical triage?» sur les sites de rencontre en fonction des consommations et des pratiques sexuelles), avec le risque de manifestations rémanentes, imprévues et incontrôlables dans la semaine qui suit la consommation.
D’utilisation plus ancienne, le GHB (acide gamma-hydroxybutyrique) est un dérivé du GBL (gamma-butyrolactone). Connu comme drogue dite «?du viol?» lors de sa consommation avec de l’alcool, il entraîne intensification des perceptions, euphorie et détente sur un terrain désinhibé, avec totale amnésie des événements survenus sous l’effet du produit. Un surdosage involontaire entraîne troubles digestifs, céphalées et une perte des repères pouvant atteindre un état d’inconscience prolongée (dit «?G hole?» ou «?black out?»), que l’on peut confondre avec un sommeil profond ou un coma, ou des manifestations proches de l’épilepsie, avec chute.

Ainsi, les effets recherchés à court terme avec ces «?drogues récréatives?» sont communs?: stimulation physique, désinhibition, sensation de puissance, modifications auditive et sensitive, et perte de la notion du temps. À long terme, ces effets d’hyperactivité sont suivis d’irritabilité, de troubles du sommeil avec insomnie, de troubles de la mémoire et de la concentration, et de démotivation. Un syndrome anxio-dépressif, voire paranoïaque, est constant, nécessitant un suivi psychiatrique axé principalement sur les troubles du comportement. Toutes ces substances ont aussi en commun des effets secondaires cardio-vasculaires non négligeables.

Questionner les pratiques

Reste à savoir quelle est l’importance quantitative du phénomène. La place du médecin, en ville ou à l’hôpital, dans le suivi du VIH, du VHC, dans un suivi communautaire, est de questionner les pratiques et les consommations de ces produits dans certaines conditions?: devant une recontamination par le VHC après une éradication sous traitement, face à la preuve virologique d’une surcontamination VIH, devant des troubles neurocognitifs ou un défaut de compliance (par exemple le week-end) non expliqués par les causes classiques. Il en va de même face à des signes stomatologiques inexpliqués ou des répercussions esthétiques (lipoatrophie du visage) induites ou favorisées par ses produits. La question doit être posée au même titre que l’alcool et tabac, sans jugement.