Traitement comme prévention — HPTN 052 : retour sur les résultats que tout le monde attendait

Suite aux résultats de l’essai HPTN 052, a été organisée au dernier moment une session spéciale autour de la prévention biomédicale pendant la conférence de Rome 2011. Avec une transmission réduite de 96 %, le Tasp (treatment as prevention) ne peut plus être ignoré.

Cet article fait partie du Transcriptases n°147.

Lundi 18 juillet, jour d’une session phare, celle qui cumulait les résultats complets de l’HPTN 052 et les deux essais de PrepPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. (prophylaxie préexposition) hétérosexuelles. Dans l’immense Room n°1, où s’était translatée, pour cause d’affluence, la session HPTN 052/Prep, il y avait un sentiment d’être là ou il fallait être. De fait, même si l’on avait déjà vu les communiqués de presse, il y avait de quoi remplir quatre communications orales et la salle plénière. Tout pour enfoncer le clou de l’efficacité de l’utilisation des antirétroviraux dans un but préventif. Et de quoi rassurer ceux qui craignent que le TaspTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France). ne soit qu’un nouveau moyen de contrôle social sur les séropos, sorte de substitut de la capote faisant peser sur leurs seules épaules le poids de la prévention… avec des résultats de Prep, un outil dont les séronégatifs seront les acteurs.

C’est Myron Cohen, de l’Université de Caroline du Nord, l’investigateur principal d’HPTN 052, qui en a présenté les résultats : 10 838 individus screenés, 1 763 couples stables sérodifférents – un partenaire séropositif et l’autre séroné­gatif – retenus (ça fait 3 526 personnes). Les chercheurs ont comparé l’impact d’une mise sous traitement antirétroviral immédiate et d’un traitement commencé lorsque le partenaire séronégatif avait moins de 250 CD4/ mm3, sur le nombre de contaminations au sein des couples. Au total, 886 couples dans le bras « immédiat » et 877 couples dans le bras « moins de 250 CD4 » ; dans le détail, 278 aux Etats-Unis, 954 en Afrique et 531 en Asie (Thaïlande, Inde). L’Afrique était donc la plus représentée avec le Malawi, le Kenya, le Zimbabwe, l’Afrique du Sud… Environ 50 % de femmes, peu de rapports non protégés reconnus (entre 6 et 8 %) et des CD4 du cas index à baseline entre 428 et 442. Le comité indépendant surveillant l’étude a été on ne peut plus clair dans sa décision d’arrêter l’essai 18 mois plus tôt que prévu : « Nous recommandons que les résultats de l’essai soient annoncés le plus rapidement possible et que toutes les personnes séropositives aient accès au traitement ARV. »

Quatre-vingt seize pour cent ?

Quels sont ces résultats ? En termes statistique, l’essai HPTN 052 démontre que le traitement ARV réduit de 96 % la transmission du VIH ! Les investigateurs ont comptabilisé 39 contaminations, 4 dans le bras de traitement immédiat et 35 dans le bras différé. Quant on s’intéresse au 28 contaminations linked, c’est-à-dire intervenus avec certitude au sein du couple, ce qui a été vérifié par des analyses phylogénétiques du virus, la différence est encore plus significative. Elle confirme que le traitement ARV protège de la contamination VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. chez ces couples sérodifférents stables hétérosexuels en Afrique et dans les conditions spécifiques d’un essai.

Infection à la mise sous traitement

La grosse nouvelle, c’est que les analyses ont montré que la seule infection à partir d’une personne séropositive traitée s’est produite au moment de l’introduction du traitement, juste avant ou juste après. Comme l’explique Myron Cohen, « les antirétroviraux n’avaient pas encore réduit la charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. de son partenaire, c’est-à-dire la quantité de virus dans le sang ». Une situation tout à fait similaire à celle de l’étude de cohorte prospective1Cohen M et al., « Antiretroviral treatment to prevent the sexual transmission of HIV-1: results from the HPTN 052 multinational randomized controlled trial », MOAX0102, IAS 2011 sur 3 300 couples rendue publique à la CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. 2010, où on avait déjà observé une seule contamination dans le groupe prenant le traitement (efficacité de 92 %, quand celle observée avec le préservatif était de 85 %). Là encore, cette transmission avait eu lieu au moment de la mise sous traitement (soit juste avant, soit juste après). En tout cas, bien avant le délai de sécurité proposé par les suisses de six mois de charge virale indétectable. De quoi rassurer les personnes – et les acteurs de prévention – sur le niveau de risque résiduel du Tasp. Et de quoi faire dire à l’association Warning – et bien d’autres ! – que ce n’est ni 92 ni 96 %, mais 100 % de réduction ! Et de fait, force est de reconnaitre que l’on n’a à ce jour pas observé de transmission dès lors que la CV était indétectable, ainsi que le notait le rapport d’experts Yeni 2010.

7 contaminations en dehors du couple

Autre information de taille, qui semble être passée totalement inaperçue en France, tant sont nombreux ceux qui se focalisent sur le risque résiduel de transmission. Au moins 8 partenaires séronégatifs se sont contaminés… en dehors du couple ! Trois dernières contaminations sont en cours d’analyse pour voir si elles sont liées au partenaire stable ; elles ont eu lieu dans le bras non traité, donc les résultats ne pourront que s’améliorer. C’est « au moins 96 % » souligne Myron Cohen. Et de préciser : « Pas moins de 39 personnes au total se sont contaminées au cours de l’essai, alors qu’elles déclarent 90 % d’utilisation du préservatif. »

Il est à noter que 82 % des contaminations sont survenues en Afrique sub-saharienne, 64 % de la femme à l’homme (aucune explication n’est fournie pour expliquer cette particularité) et 64 % également avec plus de 350 CD4. Mina Housseinipour s’est appliquée à en identifier les raisons.

Efficacy versus effectiveness

Ces 96 % placent le Tasp en haut du podium de l’efficacité des outils préventifs : pour l’heure, le vaccin de l’essai thaïlandais RV144 à 31 % au mieux, la Prep topique par gel vaginal de Caprisa à 39 %, la Prep orale plafonne à 42 % chez les gays (Iprex) et à 73 % dans Partners Prep. Le niveau de protection conféré par le traitement dans les « conditions suisses » rejoint les niveaux de protection obtenus avec l’usage systématique du préservatif. Le rapport d’expert 2010 estimant le niveau de risque à moins de 1/10 000 en additionnant le nombre de personnes-années alors cumulées dans les études et essais 2 Rapport d’experts sous la direction du Pr. Patrick Yeni, « Prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH », 2010.

Et rappelons que le préservatif, s’il présente une efficacité quasi-totale lors qu’il est utilisé correctement, voit son efficacité se réduire si l’adhérence n’est pas parfaite. Si l’efficacité théorique (efficacy) du préservatif est de presque 100 %, dans la vraie vie (effectiveness) elle est beaucoup plus faible car l’usage systématique et correct est
très difficile à maintenir sur le long terme. C’est ce que montrent deux analyses publiées en 2001 et 2011. En 2001, les 80 % [IC95 = 35,4 – 94,2] de la méta-analyse Cochrane3Weller S et Davis K, « Condom effectiveness in reducing heterosexual HIV transmission », Cochrane Database Syst Rev 2001 avec une incidence de 1,14 % chez des personnes qui déclaraient utiliser toujours la capote, contre 5,75 % chez ceux qui ne l’utilisaient jamais. Une nouvelle étude publiée à la CROI 20114Hugues J et al., « Determinants of Per-act Infectivity of HIV-1 in the Partners in Prevention Study », CROI 2011, Abstract 135 vient confirmer ce résultat, avec une efficacité de 78 %.

Tasp or Tisp ?

Pour Julio Montaner, ancien président de l’IAS, on peut affirmer que le traitement « est » prévention (Treatment is prevention) : « L’évidence est là : le traitement, c’est de la prévention. Le traitement prévient de façon importante la mortalité et les complications, la transmission du VIH et de la tuberculose [et] la transmission de la mère à l’enfant, la transmission par voie sexuelle et par injection », écrit-il dans la revue médicale The Lancet. « Le challenge est maintenant d’optimiser l’impact de cette intervention. Echouer dans cette mise en œuvre n’est pas une option ! » On ne saurait être trop prudent vis-à-vis de cette notion de Tisp, qui pourrait laisser croire que la prescription du traitement suffit en lui-même à proposer une offre de prévention, alors qu’elle doit s’accompagner pour favoriser la meilleure appropriation possible par les personnes.

A Rome, Susan Kippax, papesse australienne des sciences sociales en matière de VIH, a formalisé ce que (presque) tout le monde à la conférence dit : la prévention biomédicale, c’est aussi du comportemental. En plus des effets du niveau adhérence sur l’efficience de la méthode, il ne faut en aucun cas négliger les facteurs qui facilitent ou freinent l’utilisation des différents outils préventifs : leur disponibilité, leur coût, mais aussi la façon dont les personnes les interprètent et les intègrent à leurs pratiques.

C’est finalement assez peu ressorti à Rome, mais le traitement ne peut être une prévention efficace que si l’on respecte les droits et les besoins des personnes vivant avec le VIH. Or, dans cette conférence très scientifique, on peut déplorer le peu de place ou de visibilité pour les actions des associations, notamment les actions en direction des gays. Taper gay ou MSM (« men who have sex with men ») dans le programme ne renvoie qu’une poignée de résultats ! De fait, si tout le monde convenait que la prévention dite « biomédicale » devait impérativement prendre en compte les dimensions sociales et comportementales, aucun intervenant n’est rentré dans le détail. Et les membres des « communautés » concernées (terme consacré dans ces conférences) ont très peu eu la parole à Rome. Quant à l’importance de lutter contre les discriminations et les stigmatisations que vivent les homosexuels, dans les pays du Sud, mais aussi au Nord, elle a été très peu évoquée.

Questions

Reste un certain nombre de questions. Comment le Tasp peut-il être économiquement viable à l’heure où le round 11 du Fonds mondial est en stand-by ? Comment le Tasp s’applique-t-il à d’autres populations, et notamment les gays? Les recommandations internationales, et particulièrement, celles du groupe français Yeni, seront-elles influencées par ces résultats alors même que le Tasp y est déjà intégré et que les critères de mise sous traitement n’ont plus rien à voir avec ceux de l’HPTN 052 ? L’information du Tasp sera-t-elle intégrée aux campagnes de prévention grand public, afin de réduire la peur qu’on beaucoup de séronégatifs de faire l’amour avec une personne séropositive ? Reconnaîtra-t-on largement l’intérêt individuel du Tasp, comme un levier pour réduire la peur et la stigmatisation et permettre enfin la discussion autour du statut sérologique ? Les associations auront-elles les moyens financiers et la volonté politique d’accompagner l’utilisation de cet outil préventif comme elles l’ont fait avec le préser­vatif ? Reste qu’en France où en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies, on a désormais une preuve essentielle : ce ne sont pas les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le virus mais celles qui ignorent leur statut.