Les résultats de l’étude iPrEx publiés dans le New England Journal of Medicine du 23 novembre indiquent que l’utilisation d’antirétroviraux chez des personnes non-infectées réduit le risque d’infection de 44%. Une stratégie qui avait déjà donné des résultats encourageant avec l’étude Caprisa 004 rapportée dans Science, lors de la Conférence de Vienne en juillet 2010.
Cette stratégie est appelée Prophylaxie pré-exposition ou PrePPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. Ces résultats de recherche sont une nouvelle preuve du concept que les antirétroviraux par voie orale peuvent, à travers plusieurs stratégies (TasP, PreP, etc.), avoir un rôle préventif dans la transmission du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. par voie sexuelle, notamment chez des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH).
Cette réduction significative n’est pas aussi élevée que ce qui avait été envisagé par les auteurs lors de la préparation de cet essai et un seul essai ne peut suffire à recommander dès à présent d’ajouter la PreP à l’arsenal préventif. Néanmoins, on imagine que ces résultats sont suffisamment solides et innovantes pour que l’AFSSAPS et le groupe d’experts des recommandations «Yéni »s’en saisissent.
Pour Jean-François Delfraissy, directeur de l’ANRS où ont été présentés ces résultats à la presse à Paris, ces chiffres sont «une confirmation de l’effet préventif des ARV». France Lert, directeur de recherche à l’Inserm et responsable du groupe Dépistage de l’ANRS voit dans la PreP « un moyen de prévention détaché de l’acte sexuel et une innovation, en particulier chez les hommes, moins familiers aux traitements prophylactiques ».
Reste que de nombreuses questions restent sans réponse: quelle est l’efficacité à long terme de ces stratégies? Quelle sera l’adhérence au-delà de la fin de l’étude? Peut-il y avoir apparition de résistances du virus aux antiviraux? Quel impact cette stratégie pourrait-elle avoir sur les comportements sexuels dans la «vraie vie»? Quel impact sur les autres infections sexuellement transmissibles? Quel est le rapport coût-efficacité de ces stratégies?
L’essai iPrEx
L’essai iPrEx concerne des hommes — et des transgenres MtF — ayant des relations sexuelles avec des hommes. Cet essai randomisé a été mené sous l’égide des NIH, avec le financement de la Fondation Gates. Il s’est déroulé à partir de 2004 au Pérou, au Brésil, en Equateur, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud et en Thaïlande. 2.499 personnes ont accepté d’y participer et ont pris chaque jour un traitement oral : Truvada® (Gilead) ou placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.) Les personnes ont été suivies en moyenne 1,2 ans.
Il démontre donc que le risque d’infection est réduit de 44% (dans un intervalle de confiance de 15 à 63%) chez les hommes ayant pris le Truvada®. Ce niveau de réduction du risque VIH est très proche de la protection observée dans l’essai Caprisa 004.
Les études pharmacologiques dosant la présence ou l’absence du Truvada® dans le sang chez ceux qui ont sont censés le prendre, montrent que cette efficacité est directement liée à l’efficacité des molécules anti-VIH : Quand le médicament (comprenant deux composés actifs, le tenofovir et l’emtricitabine) est détectable dans le sang, la réduction du risque est de 92% (IC : 40-99%), suggérant le rôle fondamental de l’adhérence au traitement. La tolérance au traitement a été globalement satisfaisante et il n’a pas été observé de sélection de résistance parmi les sujets contaminés au cours de l’essai alors qu’ils recevaient le Truvada®.
Un point essentiel : la prise de médicaments n’a pas modifié les comportements dans le sens d’une exposition accrue au risque. La question de la désinhibition est un argument qui fait parfois figure d’épouvantail mais qui reste une question scientifique pertinente.
Au contraire, les hommes de cet essai ont réduit leur exposition au risque sexuel par rapport à la période précédant leur entrée dans l’étude.
Malgré cela, l’incidence reste très élevée, autour de 3,3% de contaminations/an.
PTME et microbicides
La stratégie PreP repose sur des données scientifiques et médicales établies : les antirétroviraux sont utilisés avec succès pour réduire le risque de transmission du virus de la mère à l’enfant depuis 1994. Aujourd’hui, ce risque est inférieur à 1% en France. Ils sont également employés pour réduire le risque d’être infecté en cas d’exposition accidentelle au virus (traitement d’urgence post-exposition).
Par ailleurs, en ce qui concerne l’exposition sexuelle, des études expérimentales récentes chez le singe ont montré une bonne efficacité de ces traitements préventifs après inoculation du virus par voie sexuelle. Plus récemment, l’étude Caprisa 004, menée chez des femmes en Afrique du Sud, a été la première à démontrer une efficacité significative d’un gel microbicide à base de tenofovir appliqué au niveau du vagin au moment des relations sexuelles.
Réactions
Ces résultats provoquent évidemment un certain nombre de réactions. Le collectif TRT-5 a réagit à l’annonce de ces résultats en rappelant qu’ils ne permettaient pas «de recommander l’utilisation de la combinaison tenofovir-emtricitabine (Truvada®3) en prévention», avant de demander que les recherches se poursuivent «pour, si l’efficacité de combinaisons antirétrovirales est démontrée, espérer un bénéfice de stratégies de PrEP, tant à l’échelle individuelle que collective».
Aides se félicite de l’espoir soulevé par iPrEx, mais «appelle à la prudence concernant l’utilisation « sauvage » d’ARV par des séronégatifs pour se protéger du VIH», une pratique minoritaire mais à l’oeuvre dans le milieu festif gay.
Une préoccupation partagée par Act-Up Paris qui déconseille «l’usage sauvage d’antirétroviraux en prophylaxie» car, «à ce jour, on ne sait pas quel est le produit le plus efficace et on ne sait pas comment l’utiliser au mieux». L’association salue néanmoins «un résultat très encourageant pour les chercheurs».
Enfin, Philippe Adam, chercheur au National Centre in HIV Social Research de Sydney, considère sur Minorités.org que «l’espoir autour de la prévention biomédicale semble bien avoir capoté. Les résultats de l’essai sont très en-deçà de ce qui était espéré», se demandant «qui s’occupera de rectifier les faux espoirs que la PrEP a créé parmi les gays».