Prévention — Leçons des expériences communautaires dans des contextes d’épidémie concentrée

[Nous reproduisons ici une version légèrement raccourcie et revue par son auteur de la présentation faite par Bruno Spire vendredi 8 août en séance plénière de la conférence de Mexico.]

Cet article a été publié dans Transcriptases n°138.

Malgré les progrès thérapeutiques, les stratégies de prévention efficaces sont peu nombreuses. La réduction des risques est efficace parmi les usagers de drogue. L’utilisation des préservatifs réduit la transmission du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Toutefois, une conception étroite de la stratégie ABCABC Acronyme anglophone pour «Abstinence, Be faithful, Condom», startégie de prévention développé par le programme américain Pepfar en Afrique sous le président Bush, à très forte connotation idéologique et à très faible niveau d’efficacit. 1« Abstinence, Be faithful, use a Condom », ou « abstinence, fidélité, préservatif ». a des limites. Les interventions prônant l’abstinence exclusive sont inefficaces. Celles qui incitent à limiter le nombre de partenaires sont peu efficaces. L’utilisation à vie du préservatif est difficilement envisageable pour tous.

Combattre le « relâchement de la prévention »

Du tout ou rien à la réduction des risques
Le relâchement de la prévention a été évoqué chez les gays dans les pays industrialisés. En France, les études transversales répétées Presse gay montrent que la prévalence des rapports anaux non protégés a augmenté de 20 % dans les années 1990 à 33 % en 2007. Cependant, les résultats de l’enquête sur la sexualité des Français montrent que le préservatif reste plus utilisé parmi les gays comparativement à la population générale.

Il est nécessaire de comprendre les conditions des prises de risque et les perceptions des personnes face au risque dans une société qui juge négativement les prises de risque. Il existe de nombreuses situations où se protéger n’est tout simplement pas possible. La question devient : comment gérer les prises de risque et en minimiser les conséquences ? C’est pourquoi nous devons adopter une approche de réduction des risques sexuels sans jugement. En dehors de quelques cas exceptionnels, les personnes séronégatives n’ont pas envie de s’infecter, et les personnes séropositives n’ont pas envie de transmettre le VIH2Spire B et al., « Concealment of HIV and unsafe sex with steady partner is extremely infrequent », AIDS, 2005, 19, 1431-3.

La plus grande préoccupation des personnes vivant avec le VIH (PvVIH) est la crainte de la transmission. Cette préoccupation est également forte parmi les personnes qui prennent des risques. Plusieurs stratégies ont été observées : des femmes utilisent les diaphragmes, qui sont plus discrets. Les PvVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH ont parfois recours à des adaptations de leurs pratiques sexuelles ou au séro-choix. Si l’efficacité de ces méthodes est discutable, cela démontre que les personnes qui ont des difficultés avec le préservatif ne sont pas irresponsables et essaient de trouver des stratégies alternatives pour ne pas s’infecter ou ne pas transmettre le virus. Au lieu de regretter la mobilisation des années noires, il serait plus constructif de proposer des solutions pragmatiques pour ceux qui n’arrivent pas à se protéger systématiquement en allant au-delà d’un discours du « tout ou rien ».

Le contrôle de la virémie
Le contrôle de la charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. est l’exemple d’une stratégie de réduction des risques sexuels. L’étude Rakaï a montré la relation entre le niveau de charge virale plasmatique et le taux de contamination chez des partenaires hétérosexuels de PvVIH non traités3Quinn TC et al., « Viral load and heterosexual transmission of HIV-1. Rakai Project Study Group », N Engl J Med, 2000, 342, 921-9. Dans une cohorte espagnole, la transmission est réduite de 80 % depuis l’introduction des multithérapies4Castilla J et al., « Effectiveness of highly active antiretroviral therapy in reducing heterosexual transmission of HIV », J Acquir Immune Defic Syndr, 2005, 40, 96-101.

La généralisation de ces résultats reste en suspens. En 2007, la déclaration de la Commission fédérale suisse pour les problèmes liés au sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. (CFPS) (lire aussi p. 15) a suscité beaucoup d’interrogations5Vernazza P et al., « Les personnes séropositives ne souffrant d’aucune autre MST et suivant un traitement antirétroviral efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle », Bulletin des médecins suisses, 2008, 89, 165-9. Elle concluait à la non-nécessité des préservatifs pour les couples hétérosexuels stables, sans infection sexuellement transmissible, si la personne infectée traitée a une charge virale contrôlée depuis plus six mois. Cependant, la charge virale dans le sang ne corrèle pas toujours avec celle des sécrétions génitales6Kalichman et al., « HIV viral load in blood plasma and semen : review and implications of empirical findings », Sex Transm Dis, 2008, 35, 55-60 et ces résultats sont limités à certains couples hétérosexuels. Mais ils suscitent beaucoup d’espoir pour les couples hétérosexuels sérodifférents7Dunkle KL et al., « New heterosexually transmitted HIV infections in married or cohabiting couples in urban Zambia and Rwanda : an analysis of survey and clinical data », Lancet, 2008, 371, 2183-91. Le traitement doit donc être au moins considéré comme une stratégie de réduction des risques, et de futures études devront établir le rôle relatif du traitement au sein de combinaisons de mesures préventives. La controverse suisse pose la question du moment auquel initier le traitement. Une modélisation récente suggère que l’élévation du seuil de 200 CD4, universellement admis pour initier le traitement, pourrait faire baisser l’incidence de l’épidémie, même en tenant compte d’une possible augmentation des comportements à risque[fnLima VD et al., « Expanded access to highly active antiretroviral therapy : a potentially powerful strategy to curb the growth of the HIV epidemic », J Infect Dis, 2008, 198, 59-67[/fn].

De plus, dans deux études de l’ANRS, une en Côte d’Ivoire, l’autre au Cameroun, les traitements sont associés à une plus grande utilisation du préservatif, vraisemblablement grâce aux soins et au soutien apporté par le suivi médical8Dia A, « Unsafe sexual behaviors with steady partner among men and women living with HIV/AIDS in Cameroon : results from the national survey EVAL (ANRS 12-116) », TUPE08439Moatti JP et al., « Access to antiretroviral treatment and sexual behaviours of HIV-infected patients aware of their serostatus in Cote d’Ivoire », AIDS, 2003, 17 Suppl 3, S69-77.

Vers une prévention positive globale
Dans la plupart des pays, les PvVIH non traités intéressent peu les soignants ; ils ne bénéficient pas du soutien psychosocial habituel associé à l’observance. Ces programmes ont montré leur efficacité ; des approches similaires de counseling visant la prévention des personnes non encore traitées pourraient être introduites. Pour les PvVIH traités, ce qui favorise le succès virologique est susceptible de diminuer le risque de transmission. Les effets secondaires perçus influencent à la fois la non-observance, la non-utilisation systématique du préservatif et la qualité de vie. Une approche globale de la prévention, incluant un soutien centré sur la personne et allant au-delà du seul risque de transmission, est donc nécessaire.

Diversifier les stratégies de dépistage
Connaître son statut sérologique est intéressant pour l’individu et pour la santé publique. Les PvVIH qui connaissent leur infection se protègent davantage : la prévalence des rapports non protégés diminue de 53 % chez les personnes infectées qui connaissent leur statut par rapport à celles qui ne le connaissent pas10Marks G et al., « Meta-analysis of high-risk sexual behavior in persons aware and unaware they are infected with HIV in the United States : implications for HIV prevention programs », J Acquir Immune Defic Syndr, 2005, 39, 446-53.

Afin de permettre à un plus grand nombre de personnes d’accéder au dépistage et au traitement, il est nécessaire de diversifier les stratégies de dépistage. Le dépistage systématiquement proposé lors d’un recours aux soins permet de dépister plus de cas d’infection dans des pays à forte prévalence. La stigmatisation, la peur du résultat et des ruptures de confidentialité, les difficultés d’accès aux sites de dépistage sont les principaux obstacles au dépistage volontaire. Cependant, d’autres modèles comme les unités mobiles de dépistage peuvent augmenter l’accès au test.

La valeur ajoutée en termes de santé publique du dépistage communautaire reste à démontrer. Les interventions communautaires pourraient permettre de mieux cibler les populations les plus marginalisées. De plus, la combinaison des tests rapides et d’un counseling par les pairs pourrait représenter une option intéressante pour favoriser le dépistage répété chez les personnes les plus exposées, souvent découragées par le test médicalisé. L’histoire naturelle de l’infection démontre que la séro-ignorance des premiers mois de l’infection contribue à la dynamique de l’épidémie et qu’il faut favoriser la répétition des tests de dépistage chez les personnes qui ne se protègent pas systématiquement.

Mieux combattre la stigmatisation et les discriminations

La stigmatisation nourrit l’épidémie
Dans le monde, la peur d’être stigmatisé est un frein au dépistage et à la révélation du statut au partenaire. Dans l’enquête ANRS Vespa, il existe une relation significative entre les antécédents de discrimination par l’entourage et des conduites à risque comme la non-observance ou la non-utilisation systématique du préservatif 11Peretti-Watel P et al., « Discrimination against HIV-infected people and the spread of HIV : some evidence from France », PLoS ONE, 2007, 2, e41112Peretti-Watel P et al., « Management of HIV-related stigma and adherence to HAART : evidence from a large representative sample of outpatients attending French hospitals (ANRS-EN12-VESPA 2003) », AIDS Care, 2006, 18, 254-61.

Plusieurs groupes sont déjà stigmatisés, indépendamment du VIH. C’est le cas des usagers de drogue, des professionnel(le)s du sexe, des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Cette double stigmatisation explique la prévalence élevée du VIH car elle freine l’accès aux soins et à la prévention. Des données épidémiologiques récentes montrent que la prévalence du VIH des HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  est plus élevée que celle de la population générale dans différents pays en développement13Baral S et al., « Elevated risk for HIV infection among men who have sex with men in low-and middle-income countries 2000-2006 : a systematic review », PLoS Med, 2007, 4, e339.

Une « trithérapie active » contre la stigmatisation et les discriminations

Pour lutter contre la stigmatisation, il faut agir simultanément sur trois leviers :

Favoriser une meilleure acceptation des PvVIH dans la société
Elle permettra aux PvVIH de sortir du silence et de révéler leur statut sans crainte. A Aides et chez nos partenaires africains, le renforcement des positions sociales des PvVIH améliore la capacité collective à parler du VIH. La parole n’est possible que si la société est prête à entendre. Les campagnes de sensibilisation du public sont utiles, comme la campagne « Si j’étais séropositif » menée conjointement par Aides et l’IAS pendant la conférence de Mexico.

Améliorer les lois et les politiques de santé
Au lieu de combattre les usagers de drogue, les HSH, les professionnel(le)s du sexe ou les migrants, les lois devraient protéger tous les groupes les plus vulnérables au VIH. Dans le monde, plusieurs facteurs sociétaux contribuent à la diffusion de l’épidémie. Heureusement, plusieurs pays d’Amérique latine ont initié une politique visant à réduire la stigmatisation comme l’homophobie. Ce type d’action politique devrait être appliqué en Afrique, où le travail de prévention communautaire peut être très risqué. De même, la répression des usagers de drogue dans plusieurs pays va à l’encontre de l’intérêt de santé publique. Les changements seront possibles si les financeurs internationaux mettent la pression maximale sur les gouvernements pour garantir une approche de santé publique qui respecte les droits humains fondamentaux.

Faire avec les personnes, plutôt que pour les personnes
La mobilisation communautaire des PvVIH a amélioré l’accès au traitement ; c’est une mobilisation similaire qui améliorera la prévention. L’implication réelle des personnes séro-concernées (PvVIH et personnes les plus exposées) est nécessaire, car les seules réponses professionnelles ne sont pas suffisantes. Au cours des 25 dernières années, la prévention a été possible grâce à la mobilisation communautaire, fondée sur une expertise profane basée sur le vécu de l’infection ou du risque. Les mobilisations ont été fortes parmi les gays, les usagers de drogue, les professionnel(e)s du sexe et les femmes migrantes.

L’événement important de cette conférence est la mobilisation des gays en Afrique. La mobilisation d’Africagay démontre que les gays africains ne sont ni rares ni invisibles ; ils veulent participer à la santé de leur communauté, malgré les contextes homophobes14Cutler F, « Evidence of the mobilization of the “men having sex with men” (MSM) community in Africa », WEPDE203.

Conclusion

La prévention peut être efficace quand elle correspond aux besoins des personnes. Dans les contextes d’épidémie généralisée, il reste à identifier comment mobiliser les personnes les plus à risque, mais le faire avec les personnes séro-concernées reste un défi mondial.