IAS Kigali : une histoire de “Long Acting ARV & Short Funding Cuts” ou “We Will Not Go Back!”

D’abord, l’IAS 2025 a été une conférence très africaine, qui a replacé le continent à la hauteur des enjeux auxquels il fait face. Le rôle central des équipes scientifiques africaines dans la compréhension et l’élaboration de la riposte mondiale au VIH a été (pour la première fois) réellement mis en valeur. Une recherche africaine très dynamique, largement emmenée par l’Afrique du Sud, mais pas seulement. Avec un renouvellement de génération tout aussi sensible que salutaire.

Beaucoup de choses à retenir de la conférence de l’IAS 2025 à Kigali.

Le niveau scientifique de l’IAS 2025 a ainsi été remarquable.

La parfaite organisation et l’accueil au Rwanda de cette grande conférence (3 500 participants environ, sans compter les nombreuses inscriptions on-line) est une démonstration de plus du remarquable soft power rwandais. Mais rend également justice aux performances du pays dans la réponse à l’épidémie de VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. (atteinte des objectifs 95-95-95), comme dans la maitrise rapide de l’épidémie de virus de Marburg ou encore le développement impressionnant de la santé digitale et de l’intégration de l’intelligence artificielle dans le management de la santé.

Le bémol est néanmoins sur la relative faible présence des francophones et en particulier du continent africain, aussi bien dans la participation à la conférence que dans les résultats scientifiques présentés.

We Will Not Go Back!

On retiendra le puissant talk de Linda-Gail Bekker (Desmond Tutu Foundation) à la cérémonie d’ouverture, rythmé par le slogan “We Will Not Go Back”.

Le premier sujet qui a dominé la conférence est en effet sans conteste les conséquences pratiques des interruptions brutales des financements américains sur les programmes de prévention et de prise en charge dans les pays lourdement dépendants des financements du PEPFAR. Le retrait brutal du financement américain début 2025 a eu des conséquences aussi graves qu’immédiates dans de nombreux pays africains, particulièrement ceux de la région australe (- 59% d’initiation de PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. et – 42% de circoncisions en Zambie entre Q4-2024 et Q1-2025 ; – 25% d’initiations de traitement antirétroviral au Mozambique ; – 30% de tests, de diagnostics de nouvelles infections et d’initiations de nouveaux traitements ARV à Johannesburg, en comparaison de l’année 2024). Dans la région d’Amérique Latine et des Caraïbes, plus de 80 % des ONG engagées dans la prévention et l’offre de services aux populations vulnérables ont également perdu leurs financements.

Gravement impactée par ces coupes budgétaires américaines  (60 % de son personnel va devoir quitter l’organisation dans les prochains mois) et dramatiquement absente de la conférence, l’ONUSIDA a publié récemment des estimations très inquiétantes sur les décès liés au VIH qui pourraient survenir dans les 5 prochaines années, à cause de ces réductions de financements multi et bilatéraux (4,5 millions de décès dans 55 pays d’ici 2030).

Des efforts importants pour une transition de financement sont donc urgents à très court terme, mais la dette reste un fardeau écrasant pour de nombreux pays africains. « On ne peut pas mettre fin à la pandémie de sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. tant que les pays africains doivent choisir entre rembourser leurs créanciers et sauver des vies », a ainsi déclaré Zackie Achmat (Treatment Action Campaign, Afrique du Sud) à l’IAS 2025.

On peut tout de même saluer les mesures prises par le Sénat américain pour protéger le PEPFAR durant la semaine de la conférence.

LEN ou la révolution en marche des « Long-Acting ARVs »

Le deuxième sujet majeur de l’IAS 2025 a été centré sur l’utilisation des antirétroviraux à longue durée d’action (Long-acting ARVs) dans la prévention (PrEP et PMTCT) et le traitement du VIH. Une révolution en marche, avec des résultats probants sur l’efficacité et la faisabilité.

La vedette a été largement ravie par le lénacapvir (LEN), un nouvelle molécule utilisable pour la PrEP, à raison de deux injections sous-cutanée par an. À la suite de l’autorisation de mise sur le marché délivrée récemment par la FDA, Gilead et le Fonds mondial ont annoncé un accord d’accès visant à fournir gratuitement jusqu’à 2 millions de doses (le coût annuel du LEN n’a pas été révélé). Dans ses nouvelles directives présentées lors de la conférence, l’OMS recommande désormais le LEN pour la prévention du VIH, car les données issues des essais (dont plusieurs conduits en Afrique) montrent une excellente efficacité et une forte préférence pour le LEN parmi diverses populations, notamment les adolescent-e-s et les femmes enceintes.

Le cabotégravir injectable (CAB-LA) montre également de bons résultats en matière d’observance chez les adolescentes et jeunes femmes en Zambie et un accord de licence autorise désormais la production générique du CAB-LA pour le traitement du VIH en association avec la rilpivirine (Medicines Patent Pool / ViiV Healthcare).

Enfin, une nouvelle option, sous la forme d’une pilule orale à prendre une fois par mois (MK-8527) doit entrer en phase 3 en Afrique dans les prochaines semaines.

L’intelligence artificielle au service des programmes VIH

Le 3ème sujet qui émerge de l’IAS 2025 est celui du recours croissant aux technologies digitales et de l’intelligence artificielle pour fournir des services de santé accessibles, efficaces et centrés sur les personnes. Plusieurs sessions passionnantes ont permis de découvrir différents exemples mis en œuvre en Afrique et ailleurs : le « Health Intelligence Center » développé par le Ministère de la Santé au Rwanda, qui permet de suivre en temps réel les données de suivi-évaluation du système de santé ; l’IA pour le diagnostic radiologique de la tuberculose au Nigéria ; accès à l’information et soutien à l’observance pour les personnes vivant avec le VIH (chatbot MARVIN au Canada) ; l’AI companion « Aimée » en Afrique du Sud, pour améliorer l’accès à la prévention du VIH, l’engagement des clientes et la prestation de services aux adolescentes et aux jeunes femmes ; les solutions basées sur la blockchain pour la gestion des chaînes d’approvisionnement pharmaceutique au Malawi et au Ghana.

En bref

Parmi les données rapportées et les faits marquants, l’OMS a de surcroit dévoilé à l’IAS 2025 de nouvelles recommandations sur les ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  sur l’annonce de l’infection aux enfants et adolescents, sur la prise en charge des infections à MPox chez les personnes vivant avec le VIH et sur la prise en charge thérapeutique du VIH chez l’adulte et l’enfant (avec l’introduction du CAB-LA).

Concernant les enfants et adolescents vivant avec les VIH, beaucoup de travail reste à faire : dépister et traiter beaucoup plus tôt pour réduire les échecs thérapeutiques à terme (essai ODYSSEY), adapter les posologies correctement au poids corporel (étude UNIVERSAL-2), mettre en place des services de santé mentale intégrés (Zambie) et des interventions visant à améliorer l’observance (dispositifs de surveillance électroniques efficaces et bien acceptés au Zimbabwe). En revanche, la stratégie d’allègement avec interruption des ARV le week-end ne semble pas fonctionner chez les adolescents (essai BREATHER Plus).

Enfin, l’évidence que les acteurs communautaires sont absolument indispensables à la réussite et au centre de la riposte à l’épidémie a été salutairement réaffirmée (Linda-Gail Bekker et Rosemary Mburu de WACI Health, Magda Lopes de ENDA Santé, Nomonde Ngema de HER Voice Fund). Le happening de protestation de militant-e-s activistes à la cérémonie d’ouverture, notamment issues des populations clés africaines, sur le mot d’ordre « we will not be erased » a rappelé à l’assistance combien le combat pour l’accès aux services demeure (plus que jamais) un impératif et une nécessité en 2025. Et que la place des acteurs communautaires, des personnes vivant avec le VIH et affectées, ainsi que des populations vulnérables, doit être garantie à la table des décisions et garantie comme acteurs de mise en œuvre des programmes. Ce qui nécessite de financer leurs contributions complètement et décemment.

On retiendra enfin la présentation puissante et émouvante du Dr Sameer Sah, Directeur des Programmes de Medical Aid for Palestinians (MAP), qui a été à l’avant-garde de la réponse du secteur de la santé à Gaza, en Cisjordanie et au Liban depuis le début du conflit, a été saluée par une standing ovation. Il a rappelé la catastrophe humanitaire actuelle qui sévit à Gaza, montré l’ampleur des destructions des formations sanitaires et le prix indescriptible que payent les professionnels de santé (1580 ont été tués à Gaza et au Liban depuis le début du conflit). L’ampleur de la destruction des systèmes de santé dans ces lieux de guerre, au Proche-Orient, mais aussi au Soudan, en Haïti, en Birmanie, en RDC ou en Ukraine est une honte absolue pour la communauté internationale et ses dirigeants.