Faut-il dépister systématiquement N. gonorrhoeae?

Environ 10 % des cas de Neisseria gonorrhoeae sont asymptomatiques selon la littérature, mais l’équipe du CHU d’Orléans estime qu’avec des charges bactériennes élevées, ces cas peuvent entraîner des transmissions. Alors, dépister et traiter ?

L’équipe de Thierry Prazuck du CHU d’Orléans a exploré la corrélation entre la charge bactérienne de Neisseria gonorrhoeae au cours d’urétrite gonococcique et la présence ou l’absence de symptômes, à partir des valeurs de cycle threshold (Ct) obtenues par PCR L’urétrite à N. gonorrhoeae se manifeste classiquement par un écoulement purulent, mais environ 10 % des cas sont asymptomatiques selon la littérature. Cette recherche, menée à l’hôpital universitaire d’Orléans entre 2019 et 2024, a inclus 301 hommes testés positifs par PCR sur urine, répartis en trois groupes : symptomatiques avec écoulement, symptomatiques sans écoulement, et asymptomatiques.

Charge virale des patients asymptomatiques, Béraud et al. ESCMID 2025


Les résultats montrent que les valeurs de Ct, inversement proportionnelles à la charge bactérienne, sont significativement plus basses (donc avec une charge bactérienne plus élevée) chez les patients symptomatiques, qu’ils présentent un écoulement ou non, comparés aux asymptomatiques. Cette différence est observée avec deux types de test PCR (Roche et Seegene), bien que les valeurs absolues diffèrent selon la technique utilisée, d’où la nécessité d’éviter la comparaison entre les techniques. Parmi les participants, 21,6 % étaient asymptomatiques, un taux plus élevé que les estimations habituelles de la littérature, ce qui remet en question l’idée que la gonorrhée urétrale est presque toujours symptomatique

Charge bactérienne

L’étude révèle que les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) sont plus souvent symptomatiques, notamment avec écoulement, mais l’analyse multivariée montre que la charge bactérienne (valeurs Ct) dépend uniquement de la présence de symptômes et de la technique PCR, sans influence significative de l’âge, de l’orientation sexuelle, du nombre de partenaires ou des antécédents d’infection.

Ces résultats confirment les observations de deux études antérieures (Priest D et al, Sex Transm Infect 2017, Ratnappuli A et al Sex Transm Infect 2022), qui avaient un échantillon très limité, en démontrant que la charge bactérienne est plus élevée chez les symptomatiques. Cependant, la charge bactérienne chez les asymptomatiques, bien que plus faible, reste à un taux non négligeable, compatible avec une transmission potentielle. Cela n’élimine pas la possibilité que les infections asymptomatiques puissent contribuer à la propagation de la maladie, soulignant l’importance du dépistage systématique, notamment dans les populations à risque.

Limites et conclusion

Une limite majeure de l’étude est l’utilisation des valeurs Ct comme proxy indirect de la charge bactérienne, sans quantification absolue par qPCR standardisée ni prélèvements endo-urétraux, plus invasifs, mais plus précis. Néanmoins, le recours à la PCR sur urine reflète la pratique clinique courante. Des recherches futures combinant différentes méthodes d’échantillonnage et quantification pourraient affiner la compréhension de la relation entre charge bactérienne, symptômes et transmissibilité.

Par ailleurs, la littérature montre que la charge bactérienne varie selon le site d’infection, avec des charges plus élevées dans l’urètre que dans la gorge ou le rectum. L’étude s’inscrit dans ce cadre, confirmant que les patients symptomatiques ont des charges plus élevées que les asymptomatiques, ce qui pourrait influencer la probabilité d’infection et la dynamique de transmission.

Enfin, la différence observée entre les deux techniques PCR souligne la nécessité d’une standardisation des méthodes pour une meilleure comparabilité des résultats. Malgré des charges bactériennes plus faibles chez les asymptomatiques, celles-ci restent suffisantes pour envisager une infectiosité, justifiant ainsi le dépistage et le traitement précoce pour limiter la transmission.

En conclusion, cette étude met en lumière une association claire entre charge bactérienne et symptomatologie dans la gonorrhée urétrale masculine. Elle révèle un taux élevé d’infections asymptomatiques avec une charge bactérienne non négligeable, ce qui a des implications importantes pour la prévention et le contrôle de la maladie. Le dépistage élargi, notamment chez les populations à risque, et le traitement rapide des cas détectés sont essentiels pour réduire la transmission. Des recherches complémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les seuils de charge bactérienne associés à la transmissibilité et pour optimiser les stratégies diagnostiques et thérapeutiques.