Don du sang : faute de discriminer de façon fiable les cas guéris, la syphilis entraîne toujours l’exclusion

Une étude récente publiée dans le journal Eurosurveillance montre une hausse des cas de syphilis chez les donneurs de sang en France en 2022, après plus d’une décennie de stabilité relative. L’utilisation du test non tréponémique (NTT) pour distinguer parmi les dons sérologiquement positifs pour la syphilis les infections de moins d’un an des plus anciennes ne s’est pas avérée suffisamment fiable pour permettre de ne pas exclure les donneurs ayant eu une syphilis ancienne.

Cette étude, menée par une équipe dirigée par Syria Laperche de l’Établissement français du sang (EFS), en collaboration avec Santé publique France, le CNR des Infections sexuellement transmissibles et l’Inserm, éclaire l’évolution de la syphilis parmi les donneurs de sang, reflet  déformé des évolutions en population générale. L’étude porte sur  les données de dépistage de la syphilis sur 45 875 939 dons de sang effectués entre 2007 et 2022 dont une majorité (39 180 092) de dons de donneurs réguliers. La syphilis  est systématiquement recherchée et reste un critère de retrait des tests positifs. Rappelons que jusqu’en 2016 pour assurer la sécurité des dons vis à vis du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. les relations sexuelles entre hommes étaient un un critère d’exclusion du don de sang. Cette exclusion était considérée comme discriminatoire compte tenu des tests qui permettent de longue date d’écarter de façon fiable les dons positifs au VIH. En 2017 l’étude Complidon, avait compté que seuls 0,73%(IC95%: [0,63-0,83]) des donneurs masculins n’avaient pas déclaré avoir eu des rapports entre hommes dans les 12 derniers mois lors de l’entretien prédon1Sauvage C, Spinardi R, Pelat C, Pouget T, Danic B, Woimant G, et al. Noncompliance with blood donor selection criteria – Complidon 2017, France. Transfusion. 2020;60(1):73-83..

Les résultats basés sur le test sérologique montrent une augmentation significative de la syphilis en 2022: le taux de positivité qui était resté relativement stable entre 2007 et 2021, avec une moyenne de 1,18 cas pour 10000 dons atteint 1,74 cas pour 10 000 dons en 2022. Les taux sont beaucoup plus élevés pour les premiers dons que chez les donneurs réguliers. L’augmentation entre 2020 et 2022 est observée chez les uns  (de 4,94 pour 10000 en 2020 à 7,85 en 2022)  comme chez les autres (de 0,54 à 0,82). Sur l’ensemble de la période étudiée, la prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. était 2,2 fois plus élevée chez les hommes que chez les femmes, elle augmente. Cette disparité s’est accentuée en 2022, avec une prévalence 4,1 fois plus élevée chez les donneurs masculins. Et parmi ceux-ci, la proportion d’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) parmi les donneurs séropositifs à la syphilis a logiquement augmenté, passant de 16,7% en 2007 à 64,9% en 2022.  L’incidence mesurée parmi les donneurs répétés montre une tendance différente de la prévalence parmi l’ensemble des donneurs: elle passe de 4,66 pour 100 000 personnes-années en 2012-2014 et 5,61 en 2014-2016, à 4,67 en 2017-2019 et 3,96 en 2020–2022.  Il faut cependant rappeler que cette population de donneurs réguliers est particulièrement sélectionnée.

Figure : Prévalence des anticorps anti-syphilis pour 10 000 dons chez les primo-donneurs de sang, France, 2007-2022 (n=3 649).
Source: Eurosurveillance.

En population générale, les tendances publiées en octobre 2024 par Santé publique France basés sur les informations  des patients vus en CeGIDDCeGIDD Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) des infections par les virus de l'immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles. Ces centres remplacent les Centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) depuis le 1er janvier 2016. d’une part, des cas identifiés dans le SNDS d’autre part, sont concordantes avec  l’augmentation observée dans les dons de sang, avec une augmentation dans le SNDS de 20% en 2023, plus marquée encore chez  les femmes (27%) que chez les hommes. Toutefois, l’écart de prévalence entre hommes et femmes reste très large: 16 pour 100 000 chez les hommes et  2 pour 100 000 chez les femmes.

Les volumes de délivrances d’extencilline —dont l’indication principale est la syphilis— peuvent être vus comme un indicateur complémentaire, même si les ruptures d’approvisionnement peuvent en altérer la validité. Contacté à ce sujet, Dominique MARTIN, médecin conseil national de la CNAM, rapporte aussi de son côté une croissance régulière et de 4% des patients sous extencilline entre 2022 et 2023. Cette croissance est de 22,6% entre 2021 et 2022.

Mahmoud Zureik, directeur du GIS EPI-PHARE, partage de son côté les données suivantes, basées sur le nombre de délivrances d’extencilline remboursées par l’assurance maladie. 

Nombre d’utilisateurs d’extencilline, de 2016 à 2023. Source: EPI-PHARE, CNAM.

L’augmentation de la syphilis est observée dans d’autres pays européens et aux Etats-Unis, rendant la surveillance particulièrement nécessaire de façon générale et dans les dons de sang.  

L’échec d’une stratégie basée sur le NTT pour distinguer les syphilis récentes des syphilis anciennes

Bien qu’il n’y ait pas eu de syphilis transmise par transfusion depuis des années, l’OMS recommande toujours la recherche de syphilis dans les dons de sang.  Par ailleurs une directive européenne (2002/98/EC) demande seulement un ajournement du don d’un an  après que l’infection ait été guérie . Dans ce contexte et avec l’augmentation des cas de syphilis en population, il serait particulièrement intéressant et utile d’identifier les syphilis récentes, afin de de permettre à des personnes ayant  eu une syphilis ancienne de donner leur sang. C’est dans ce but que les auteurs ont évalué une stratégie de dépistage incluant un NTT comme option possible pour identifier une infection syphilitique récente. 

Dons positifs à la syphilis collectés en 2022, selon la date présumée d’infection basée sur l’entretien post-don et le titre d’anticorps cardiolipidiques, France, 2007-2022 (n = 429)

Historique de la syphilis Titre NTTa : ≥ 8 Titre NTTa : 1-4 NTTa : 0 Négatif Total
n %
≤ 1 an 1 3 3 0 7 1.6
>1 an – 3 ans 29 18 44 0 91 21.2
> 3 ans 0 23 92 1 116 27
Non conscient d’une infection 27 13 33 1 74 17.2
Pas d’information 22 51 68 0 141 32.9

NTT : test non tréponémique.

a Launch Diagnostics ASI RPR Card Test (Arlington Scientific) sur l’analyseur automatisé Gold Standard Diagnostics AIX 1000 RPR.

Source : https://www.eurosurveillance.org/content/10.2807/1560-7917.ES.2024.29.32.2400036 

Parmi les 474 donneurs séropositifs en 2022, 429 ont subi des examens complémentaires avec un NTT. Sur la base de ces résultats, 79 donneurs (18%) ont été classés comme ayant été infectés dans l’année précédente. L’historique de la syphilis dans les entretiens post don n’était disponible que pour 30 sur 79. Mais seulement 30 % des donneurs avec une syphilis acquise dans les 3 ans avaient un NTT au titre > 8 compatible avec une infection active. Qui plus est avec un algorithme basé sur l’utilisation de TT et NTT, la  détection par un test ultrasensible de recherche des anticorps tréponémiques, automatisée par technique de chemiluminescence (CLIA)  mais négative en NTT peut correspondre soit à une syphilis précoce, une syphilis traitée, une syphilis latente de durée inconnue ou même un faux positif comme on en voit notamment chez la femme enceinte   Les auteurs concluent qu’ils n’ont pas réussi à identifier une stratégie de diagnostic biologique capable de distinguer les infections anciennes des infections récentes.  

Ainsi, étant donné la difficulté à certifier la guérison; une exclusion permanente des donneurs confirmés positifs à la syphilis reste appliquée en France. Elle affectera de façon disproportionnée les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  en raison d’une exposition plus importante à la syphilis.

Bibliographie