Bien que le virus Ébola ait été découvert il y a plus de 40 ans, à la suite d’une épidémie de fièvres hémorragiques touchant des patients et des soignants d’un hôpital missionnaire à Yambuku, à côté de la rivière Ébola en République démocratique du Congo en 1976, ce n’est qu’à partir de 2014, à la suite d’épidémies sans précédent, que nos connaissances sur ce virus ont réellement progressé, connaissances sur ses conséquences, ses moyens de prise en charge et de prévention mais aussi sur l’origine des épidémies.
Après 1977, des épidémies successives se sont déroulées de façon espacée principalement en Afrique centrale. D’ampleur limitée et localisées à des zones rurales, ces épidémies n’inquiétaient pas les spécialistes de cette infection, qui estimaient qu’elle ne serait jamais un problème de santé publique… Sauf que, comme souvent dans les infections émergentes, le virus Ébola a été à l’origine d’une épidémie dramatique en Afrique de l’ouest entre 2014 et 2016 en survenant à un endroit où on ne l’attendait pas, en Guinée forestière et en touchant des zones urbaines. Au total, plus de 28000 cas furent déclarés en Guinée, Sierra Leone et Liberia faisant plus de 11000 morts.
En 2014, après 28 épisodes épidémiques, le constat de nos connaissances sur le virus Ébola était simple et illustrait une impréparation totale. Il n’y avait pas de diagnostic standardisé, pas de traitement ni même de recommandations pour la prise en charge symptomatique des patients, pas de vaccin et notre connaissance de la maladie se limitait à une infection considérée comme avant tout mortelle. Sur l’origine des épidémies il était admis que chaque épisode était la conséquence d’un « spill over » à partir d’un réservoir animal, probablement la chauve-souris qui peut contaminer l’homme, soit directement, soit indirectement par un animal intermédiaire. Mais il faut constater que le virus Ébola n’a jamais été isolé d’une chauve-souris et qu’une seule fois des séquences génétiques très partielles ont été obtenues à partir de matériel génétique de chauves-souris.
Le projet PostEbogui
En 2014, en raison de l’importance de l’épidémie et de la crainte d’une diffusion mondiale, des moyens sans précédent ont été mobilisés.
Un des domaines où nous avons énormément progressé concerne les conséquences cliniques et biologiques d’une infection par le virus Ébola avec la mise en évidence d’un réservoir humain de ce virus.
Si la mortalité due au virus Ébola reste très importante, on peut survivre à l’infection. Cette survie est d’autant plus importante que les traitements symptomatiques ont été mis en place et optimisés. En Afrique de l’ouest, les services de santé ont été confrontés à la prise en charge des survivants pour lesquels rien n’avait été prévu. C’est dans ce contexte, avec le soutien de la Task Force Ebola que nous avons mis en place le projet PostEbogui en Guinée dont l’objectif était de prendre en charge les survivants et d’évaluer les conséquences de l’infection, inconnues. En partenariat avec les médecins et chercheurs du CERFIG (Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée), nous avons ont pris en charge 800 survivants sur les 1 270 recensés dans ce pays.
Ces survivants ont été suivis de façon pluridisciplinaire pendant plus de 4 ans.
La fréquence des séquelles de l’infection 4 mois après la sortie des centres de traitement était majeure, touchant plus de 3 personnes sur 41Multidisciplinary assessment of post-Ebola sequelae in Guinea (Postebogui):an observational cohort study. Jf Etard, M Sow, S Leroy et al Lancet Inf Dis 2017 17:545:52.
Les problèmes de santé retrouvés pouvaient s’expliquer de 3 façons.
- Des séquelles liées aux conséquences directes de l’infection aiguë sur certains organes telles qu’une insuffisance rénale
- Des séquelles liées aux conséquences post traumatiques de l’infection associant dépression-fatigue-douleurs
- Des séquelles liées à la persistance du virus au niveau des sites dits de privilèges immuns : manifestations articulaires (douleurs, raideurs), troubles neurosensoriels (céphalées, vertiges, troubles de l’audition), et au niveau de l’œil, uvéites et cataractes inflammatoires pouvant conduire à la cécité. Ce dernier type de séquelles était parmi les plus fréquentes observées.
Avec le temps la fréquence de ces séquelles diminue mais après 4 ans, près d’un tiers des patients présentaient toujours des manifestations cliniques permettant de parler d’un «Ébola Long»2Understanding long-term evolution and predictors of sequelae of Ebola virus disease survivors in Guinea: a 48 months prospective,longitudinal cohort study( Postebogui) M Diallo, A Toure, MSow et al Clin Infect Dis. 2021 Dec 16;73(12):2166-2174.
La recherche de virus au niveau des différents fluides corporels a montré la présence du virus dans le sperme chez près de 90% des survivants après la phase aiguë, avec ensuite une décroissance rapide mais chez de rares personnes jusqu’à 500 jours après la sortie d’hospitalisation, l’ARN viral était encore présent. Enfin le virus a également été retrouvé au niveau du lait maternel et du placenta3A 40-months follow-up of Ebola virus disease survivors in Guinea (Poasteboogui)reveals logn-term detection of Ebola virla ribonucleic acid insemen and breast milk A Keita, N Vidal, A Toure et al Open Forum Infect Dis. 2019 Nov 8;6(12):ofz482.
Le suivi immunologique des survivants a montré au plan humoral, d’une part, que les trois quarts d’entre eux avaient encore des anticorps à 5 ans, mais d’autre part que certains présentaient une augmentation de leur taux au cours du temps, suggérant une re-stimulation virale. Les études d’immunologie cellulaire faites sur un sous échantillon ont montré une activation immunitaire spécifique chronique permettant probablement le contrôle du virus au niveau de sites de privilèges immuns4Long lasting severe immune dysfunction in Ebola virus disease survivors A Wiedemann, E foucat, H Hocini et al Nat Commun. 2020 Jul 24;11(1):3730.
Les conséquences de la persistance du virus après la phase aiguë sont doubles
Pour le survivant, de rares cas de réactivation de l’infection ont été observés lors de l’épidémie en Afrique de l’ouest, mais ceux-ci sont probablement sous évalués: initialement, ils n’ont été observés que chez les rares occidentaux contaminés et suivis dans leur pays d’origine. En particulier, un cas de méningite 9 mois après la phase aiguë a été reporté chez une infirmière irlandaise. Plus récemment, lors de l’épidémie de RDC dans le nord Kivu de 2018-2020, plusieurs cas de réactivation avec méningites ayant entrainé le décès plusieurs mois après la phase aiguë ont été enregistrés. Parmi ces cas, cette réactivation a été à l’origine d’une nouvelle chaine de transmission de près de 100 personnes5Ebola virus transmission initiated by relapse of systemic Ebola virus diseaseNew England J of Med, P Mbala-Kingebeni, Pratt c, Mutafali-Ruffin M et al N Engl J Med. 2021 Apr 1;384(13):1240-1247.!
En dehors de toute réactivation, le portage asymptomatique du virus et la transmission sexuelle peut être à l’origine de nouvelles chaines de transmission comme cela a été décrit une dizaine de fois lors de l’épidémie en Afrique de l’ouest de 2014-2016. Ces cas survenaient au cours de l’épidémie ou très peu de temps après l’annonce de la fin de l’épidémie mais l’épidémie de Guinée de 2020 a été l’occasion d’une observation stupéfiante. La souche virale responsable de cette épidémie était la même que celle de l’épidémie de 2014-2016, c’est-à-dire que près de 5 ans après, un survivant a été à l’origine d’une nouvelle chaine de transmission par réactivation de l’infection ou via transmission sexuelle6Resurgence of Ebola virus in 2021 in Guinea suggests a new paradigm for outbreaks A Keita, Fr Koundouno, M Faye et al Nature. 2021 Sep;597(7877):539-543.
Cette observation représente un nouveau paradigme sur l’origine d’une épidémie. Jusqu’à présent on considérait que chaque épidémie était le résultat d’un passage de l’animal à l’homme alors que là, clairement l’épidémie est venue d’un «réservoir» humain!
Quelle est l’ampleur de ce réservoir humain et quelles conséquences?
Les épidémies d’Afrique de l’ouest et celles de RDC dans le Nord Kivu et l’Ituri ont contaminés plusieurs milliers de personnes avec des milliers de survivants recensés. À côté des formes symptomatiques, l’étude que nous avons faite en Guinée a montré que les contacts des patients avaient fait une infection a- ou pauci symptomatique dans 3 à 17% des cas en fonction du degré d’exposition. Donc, le réservoir humain ne se limite pas aux seuls survivants connus.
Une autre constatation récente concernant le réservoir humain concerne l’impact des traitements spécifiques. Lors de l’épidémie dans l’est de la RDC, une étude randomisée a montré l’efficacité de 2 types de traitement à base d’anticorps monoclonaux. Ces 2 traitements sont maintenant recommandés pour la prise en charge. Ces traitements efficaces pour la phase aiguë pourraient avoir un impact sur le réservoir. Deux études sur le modèle primate ont montré des cas de réactivation mortelle chez des primates traités par anticorps monoclonaux. Tous les cas de réactivation décrits à ce jour l’ont été chez des personnes traitées par anticorps monoclonaux. Dans le cadre du suivi des survivants que nous avons effectué en RDC sur le modèle PostEbogui, la réponse humorale est plus faible et plus labile chez les patients traités par anticorps monoclonaux.
Ces observations montrent que si des progrès spectaculaires ont été accomplis, il faut continuer la recherche pour disposer d’un traitement efficace pour éliminer le réservoir.
D’autre part, dans l’immédiat, le suivi et la vaccination des survivants en particulier s’ils ont été traités par anticorps monoclonaux doit être mis en place pour eux afin de contribuer à contrôler les réactivations virales et pour éviter de nouvelles chaines de transmission. Enfin, à l’échelle des populations, se pose la question de la vaccination des populations, dans les zones où les épidémies se sont déjà produites.