Coronavirus et VIH: quelles implications de l’un sur l’autre ?

Je m’étais juré de m’appuyer sur cette CROI virtuelle pour me laver le cerveau de la «Coronacrise». Mais l’histoire du VIH vient s’inviter dans le débat. A commencer par l’inquiétude sur le terrain des patients séropositifs concernant l’absence de recommandations à ce jour pour les personnes vivant avec le VIH (PVVIH). C’est ainsi que pendant que cette CROI virtuelle tentait de s’imposer —au passage c’est un bon coup pour assurer la collecte des droits d’inscription?— le Ministère de la Santé français, en pleine tourmente, a sollicité différentes sociétés savantes pour établir des listes de personnes présentant des facteurs de risque importants nécessitant des mesures barrières supplémentaires vis-à-vis du risque d’infection par le coronavirus

Parmi les éléments les plus intéressants à disposition de ces sociétés savantes, à la date de parution de cet éditorial, figurent l’enquête récente de l’UNAIDS auprès des PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH en Chine durant l’épidémie de COVID-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. Enquête qui rapporte notamment que le risque majeur ressenti par les PVVIH, compte-tenu du confinement, était la rupture de traitement antirétroviral!

En effet, dans cette enquête, près d’un tiers (32,6 %) des personnes vivant avec le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ont déclaré qu’en raison des fermetures et des restrictions de mouvement dans certains endroits en Chine, elles risquaient d’épuiser leur traitement anti-VIH dans les jours à venir. Parmi celles-ci, près de la moitié (48,6%) ont déclaré qu’elles ne savaient pas où aller chercher leur prochain renouvellement de traitement antirétroviral.

Alors que la grande majorité des personnes interrogées (82%) ont déclaré disposer des informations nécessaires pour évaluer le risque personnel et prendre des mesures préventives contre la COVID-19, près de 90% ont déclaré qu’elles souhaitaient obtenir davantage d’informations sur les mesures de protection spécifiques aux personnes vivant avec le VIH. Comme dans la population générale, de nombreux répondants (plus de 60%) ont déclaré qu’ils ne disposaient pas de suffisamment d’équipements de protection tels que des masques, du savon, des solutions hydroalcooliques ou des gants. Près d’un tiers ont déclaré être anxieux et avoir besoin d’un soutien psychosocial pendant l’épidémie de COVID-19. L’ONUSIDA s’est engagée à faire don d’équipements de protection individuelle aux organisations de la société civile au service des personnes vivant avec le VIH, aux hôpitaux et autres, afin de contribuer à améliorer la qualité des soins dispensés aux personnes dans les établissements de santé et de prévenir la co-infection des personnes vivant avec le VIH avec la COVID-19.

Reste la réalité des pays les plus touchés, dont la France : une activité ambulatoire VIH dégagée des services les plus impactées pour faire place au Covid-19, des hôpitaux de jours désertés ou masqués, la recherche clinique VIH en stand by au point que plusieurs essais industriels sont en gel d’inclusions, les laboratoires de virologie totalement saturés par le coronavirus et des techniciens d’études cliniques ANRS logiquement détournés vers les essais qui démarrent tant sur les malades, les sujets contacts que les approches thérapeutiques COVID-19. Plus grave encore, on redoute en Chine, en Italie ou en France, une perte de chance pour les patients VIH+ se présentant, par exemple, pour un tableau respiratoire dans des services d’urgence saturés, des réanimations débordant de Syndromes de Détresse Respiratoire Aiguë (SDRA) liés au COVID-19 comme c’est le cas aujourd’hui à Milan et bientôt dans certaines réanimations françaises.  

Sinon, d’autres éléments de science sont disponibles sur les webcast ou la CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. en direct et autre récupérations d’abstracts. Un concept intéressant qui fait son chemin, c’est l’administration orale hebdomadaire d’Islatravir dans un schéma de prophylaxie post exposition (PEP). Mais il s’agit pour l’heure que du macaque dans le modèle SIVmac251 avec des résultats plus que saisissants puisqu’avec deux doses orales par semaine d’Islatravir donné 24h après le challenge SIVmac251 on observe une protection totale contre le VIH chez le macaque rhésus. 

Et puis, on a eu des nouvelles du patient de Londres qui court dans les traces du patient de Berlin. Ravindra Gupta (University College London), a présenté les dernières données concernant ce cas publiées dans The Lancet. Lors de son dernier test réalisé 30 mois après l’arrêt des antirétroviraux le 4 mars 2020, la charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. plasmatique d’Adam Castillejol  —il a désormais un nom lui aussi et sans doute un agent/avocat— était toujours indétectable. Depuis qu’il a arrêté le traitement il y a 2 ans et demi, le patient de Londres est donc en guérison fonctionnelle (sang, sperme,  ganglions et LCR). Les biopsies intestinales n’ont montré aucun ADN du VIH dans les échantillons rectaux, dans le côlon sigmoïde ou dans l’intestin grêle. En utilisant un modèle mathématique, les auteurs estiment que la possibilité qu’il s’agisse d’une «rémission à vie» est de 99% si au moins 90% des CD4 conservent la mutation CCR5Δ32 du donneur. Lors du dernier test d’Adam Castillejol, le chimérisme était maintenu dans 99 % des cellules concernées. Adam Castillejol est en passe de rejoindre Timothy Brown (13 ans de rémission). On est vraiment contents pour eux deux.

Cet article a été publié dans la Lettre de l’infectiologue consacrée à la CROI 2020. Nous le reproduisons avec leur aimable autorisation.