L’analyse du génome du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. du steward québécois Gaétan Dugas à partir d’un échantillon de sang montre qu’il correspond à la souche de virus présente aux États-Unis à l’époque et qu’il n’était pas le patient originel à partir duquel le virus se serait diversifié en Amérique du Nord. Pour les co-auteurs de l’étude, le Québecois était simplement l’une des milliers de personnes qui ont été infectées avant que le VIH et le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. ne soient identifiés.
«Martèlement d’ARN»
Pour arriver à ce résultat, ces chercheurs des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Belgique ont développé une nouvelle technique pour comprendre l’histoire du groupe B du VIH-1, le sous-type le plus répandu en occident. Grâce à ce qu’ils décrivent comme du «RNA jackhammering», du «martèlement d’ARN», les scientifiques ont pu copier de petits fragments d’ARN du virus et les assembler. L’ARN se décompose généralement rapidement, ce qui rend normalement difficile l’extraction et le morcellement. Les auteurs ont utilisé des échantillons de sérum sanguin qui avaient été recueillis en 1978 et 1979 chez des hommes de New York et San Francisco ayant déclaré des rapports sexuels avec d’autres hommes.
Ainsi, ils ont pu reconstituer le génome complet du VIH de l’époque à partir de huit des échantillons les plus anciens et le situer sur l’arbre phylogénétique du virus. Ce nombre de génomes, bien qu’extrêmement restreint, a toutefois permis d’évaluer la diversité génétique du virus en Amérique du Nord à la fin des années 70, et de retracer sa dispersion. Grâce à ces données, les chercheurs estiment que le VIH était déjà présent aux États-Unis depuis une décennie quand on a donné en 1981 un nom, le sida, au syndrome dont il est responsable. Au moment où Gaétan Dugas a été infecté le VIH, il y avait déjà beaucoup de personnes vivant avec le VIH aux États-Unis, peut-être même des milliers. Selon les auteurs, à la fin des années 70, près de 7% des hommes gais de la ville de New York étaient infectés par le VIH et près de 4% à San Francisco.
Histoire naturelle de l’épidémie
Toujours selon l’étude publiée dans Nature, après être passée des primates non-humains aux humains en Afrique, le VIH se serait propagé aux Caraïbes vers 1967, avant que le sous-type B du VIH-1 n’arrive à New York en 1971 et à San Francisco en 1976. Des conclusions étayées par le calendrier de propagation ultérieur de l’épidémie.
La ville de New York aurait été un centre important de l’épidémie, à partir duquel le virus s’est ensuite diffusé vers la côte ouest, puis vers l’Europe occidentale, l’Australie, le Japon et l’Amérique du Sud.
Ces résultats confirment des travaux antérieurs de Michael Worobey et d’autres chercheurs, qui étudient depuis des années, avec des techniques variées, l’évolution de l’épidémie de VIH/sida. Pour le chercheur, l’idée de de chercher une culpabilité personnelle est déplacée. «Personne ne devrait être accablé pour la propagation d’un virus que personne ne connaissait même», déclare-t-il dans The Guardian. «La façon dont le virus s’est déplacé des Caraïbes vers les États-Unis et la ville de New York dans les années 1970 reste à déterminer. Il peut s’agir de quelqu’un de n’importe quelle nationalité, ça peut d’ailleurs tout aussi bien être des produits sanguins.»
Patient O, pas Patient 0
Comment en est-on venu alors à parler de «Patient Zéro» ? L’origine de cette étiquette est à chercher dans une étude de William Darrow datée de 1984 sur les gays atteints par le sida. Au début des années 80, les hommes gais mourraient à Los Angeles d’une maladie non identifiée. Ce jeune scientifique au Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) a alors commencé à interviewer ces hommes au sujet de leur vie sexuelle.
Jusqu’alors, certains scientifiques pensaient que ces morts étaient peut-être causées par les «poppers», ces drogues récréatives à base de nitrite utilisée en contexte sexuel. D’autres pensaient que la surexposition au sperme de nombreux partenaires pouvaient peut-être avoir un effet immunosuppresseur. En 1981, trois hommes qui ne se connaissaient pas ont tous nommé le même amant, Gaétan Dugas. Huit premiers cas de sida ont ainsi été reliés au steward, un homme décrit comme très sympathique et très séduisant. Avec ces résultats, William Darrow a mis en lumière la transmission sexuelle du virus d’une personne à l’autre.
Dans l’étude publiée au CDC, William Darrow n’a pas utilisé les noms des personnes qu’il avait identifiés, et a préféré utilisé un sytème de codes, basé sur la ville d’origine. Ainsi, pour ceux de Los Angeles, il y avait LA1, LA2, etc. Gaétan Dugas, lui, a été désigné comme «Patient 57» et comme le «Patient O», comme «Out of California», hors de la Californie. Et non pas comme «Patient 0» ou «Patient Zéro», un terme aujourd’hui largement utilisé pour désigner le premier cas d’une épidémie.
Cette erreur de typage a probablement pour origine la mauvaise interprétation d’un journaliste. Mort des suites du sida en 1984, le personnage de Gaétan Dugas est réapparu en 1987 dans And the Band Played On, le livre de Randy Shilts, journaliste de San Francisco, sur les débuts de l’épidémie en Californie. En se basant sur l’étude de William Darrow, Randy Shilts écrit qu’il ne fait aucun doute que le patient 57 de l’étude a joué un rôle clé dans la propagation de ce nouveau virus aux États-Unis. Le journaliste, qui n’hésitait pas à insister sur la promiscuité de Dugas, préfère retenir «0», zéro, plutôt que «O», donnant ainsi naissance au médiatique «Patient Zéro».
L’aide de Gaétan Dugas
Pourtant, et paradoxalement, si les chercheurs au début de l’épidémie ont autant mis l’accent sur le rôle de Gaétan Dugas, c’est probablement grâce à l’aide qu’il leur a fournie. Le jeune Québécois n’a pas hésité à se déplacer jusqu’au CDC d’Atlanta pour offrir des échantillons sanguins. Il a également communiqué aux chercheurs les noms de 72 personnes susceptibles d’être infectées par le VIH avec lesquelles il avait eu une relation sexuelle —Gaétan Dugas avait déclaré avoir connu quelques 750 partenaires au cours des trois dernières années—. C’est ainsi qu’ayant partagé le plus grand nombre de noms, le Québécois s’est retrouvé placé dans l’étude de 1984 au centre d’un cluster de transmission, le condamnant à être désigné par Randy Shilts et bien d’autres comme la source l’origine de l’épidémie aux Etats-Unis par simple biais d’observation.
Le cas de Gaétan Dugas souligne les limites de la recherche d’un «patient zéro». L’identification de la première personne à être infectée par une épidémie ne doit pas faire oublier les autres facteurs importants qui peuvent contribuer à sa propagation, comme la pauvreté, les inégalités, les obstacles à l’accès aux soins et à l’éducation, et, bien sûr, les discriminations.
Bibliographie
1970s and ‘Patient 0’ HIV-1 genomes illuminate early HIV/AIDS history in North America
Michael Worobey, Thomas D. Watts, Richard A. McKay, Marc A. Suchard, Timothy Granade, Dirk E. Teuwen, Beryl A. Koblin, Walid Heneine, Philippe Lemey & Harold W. Jaffe
Nature (2016) doi:10.1038/nature19827