Cet article a été publié précédemment sur le site Réactup.
De nombreux essais ont démontré que le risque de transmission du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. est considérablement réduit sous l’action des antirétroviraux, en particulier lorsque la charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. devient indétectable. Et la mise sous traitement au plus tôt des personnes diagnostiquées séropositives, en visant à réduire la transmission du virus, représente un levier majeur pour enrayer la dynamique de l’épidémie.
Si tout converge vers ce postulat, l’usage de préservatifs entre personnes au statut VIH différentes lorsque la charge virale est indétectable interroge les intervenants de santé et les personnes concernées. Quels discours tenir sur le préservatif face au risque VIH dans ce type de situation ? Faut-il prendre des protections supplémentaires au traitement pour éviter une infection ? En résumé se pose la question du risque résiduel de transmission lorsque le traitement est efficace lors d’un rapport sexuel sans préservatif?
Pour répondre à cette question, la biostatisticienne Virginie Supervie a calculé la probabilité d’une transmission, lors d’un acte sexuel sans préservatif, entre personnes hétérosexuelles au statut différent. Son approche montre que ce risque de transmission est compris entre zéro, et au maximum, 1 transmission pour 12.500 actes sans préservatif dans cette situation. Cette étude nous aide à comprendre que si tout porte à croire que ce risque tende vers zéro, démontrer un risque nul en statistique est rendu quasi-impossible par l’énorme quantité d’observations qu’il faudrait réaliser.
Méthodologie
Sur près de 6000 publications sélectionnées par mots-clés au sein des principales bases de données scientifiques, 6 études ont été retenues. Elles mesuraient, en plus des transmissions du VIH survenue au sein de couples hétérosexuels, la charge virale du partenaire séropositifSéropositif Se dit d’un sujet dont le sérum contient des anticorps spécifiques dirigés contre un agent infectieux (toxo-plasme, rubéole, CMV, VIH, VHB, VHC). Terme employé, en langage courant, pour désigner une personne vivant avec le VIH. l’activité sexuelle, et la fréquence d’utilisation du préservatif.
A partir de ces données compilées et modélisées selon une approche statistique bayésienne, l’équipe de Supervie a calculé l’efficacité du préservatif, le risque de transmission du VIH par acte sexuel en fonction de la charge virale et le risque cumulé. Dans un second temps, l’ajout des données d’une 7ème étude a permis d’affiner les précédents résultats et d’expliquer quelles sont les limites posées par la démonstration d’un risque-zéro de transmission du VIH lorsque la charge virale est indétectable.
* Chaque transmission du VIH a été génétiquement liée au partenaire séropositif
** Les données sont insuffisantes pour déterminer si la transmission du VIH observée a eu lieu avant ou après que la charge virale devienne indétectable.
La majorité des transmissions ont lieu en l’absence de traitement, mais un risque existe à l’initiation du traitement.
Si il était encore nécessaire de le démontrer, le risque de transmission du VIH est considérablement réduit lorsque le partenaire séropositif est sous traitement antirétroviral puisque 182 infections sur les 186 observées ont eu lieu alors que le partenaire ne suivait pas de thérapie.
Malgré l’accès au traitement, 4 infections sont survenues. 3 ont eu lieu durant les 6 premiers mois de traitement, c’est à dire avant que la charge virale ne soit réduite par l’action des antirétroviraux. La 4ème infection est arrivée durant les 12 premiers mois de traitement, sans que l’étude ne détermine clairement si l’infection a été contractée avant ou après que la charge virale du partenaire ne devienne indétectable.
Lorsqu’il est utilisé, le préservatif protège du VIH efficacement 3 fois sur 4.
A partir des données issues des couples n’ayant pas d’accès au traitement et selon leur déclaration d’usage du préservatif, le modèle statistique utilisé permet de calculer que le préservatif protège du VIH efficacement 3 fois sur 4 en moyenne (entre 63% et 83% de protection).
Pour 1000 actes sexuels sans préservatif lorsque le partenaire séropositif ne suit pas de traitement, entre 1 et 1,8 transmissions surviennent.
Lorsque le partenaire séropositif ne suit pas de traitement, le risque de transmission du VIH par acte sexuel est de 0,0014, c’est à dire qu’1 infection surviendrait tous les 714 actes. En considérant la marge d’erreur de ce résultat, il apparait qu’une transmission arriverait entre 555 actes (borne inferieure du risque) et 1000 actes sexuels (borne supérieure du risque).
Lorsque la charge virale est indétectable, le risque de transmission du VIH par acte sexuel est proche de zéro.
(Face à l’impossibilité de savoir si la contamination a eu lieu avant que la charge virale soit indétectable, deux hypothèses ont été formulées : la première considérant que cette infection est survenue malgré une charge virale indétectable, la seconde hypothèse excluant cette infection [c’est à dire considérant qu’elle est survenue avant que la charge virale ne soit indétectable])
Lorsque le partenaire séropositif est sous traitement depuis plus de 6 mois et que sa charge virale est indétectable, le risque de transmission par acte sexuel est de l’ordre de zéro.
En se plaçant dans l’hypothèse où une transmission aurait été observée, la borne supérieure du risque est de 0,00013. Pour le dire autrement, au regard des 6 études citées, la probabilité qu’une transmission survienne est comprise entre zéro, et au maximum, 1 chance sur 7.700. Cela veut également dire qu’à partir de 7.700 actes sexuels la probabilité qu’une transmission arrive devient envisageable, sans pour autant qu’elle ne soit certaine.
Après 200 actes sexuels, le risque cumulé resterait de l’ordre de zéro, jusqu’à, dans le cas le plus extrême, une probabilité d’infection de l’ordre de 1%.
Comment réduire la borne maximale du risque ?
En statistique, la marge d’erreur d’un résultat (la borne supérieure du risque de transmission par acte dans notre étude), est directement corrélée au nombre d’observations réalisées. Plus le nombre de rapports sexuels analysé sera élevé sans que l’on observe de nouvelles transmissions, plus la borne supérieure du risque de transmission se rapprochera de zéro.
(Face à l’impossibilité de savoir si la contamination a eu lieu avant que la charge virale soit indétectable, deux hypothèses ont été formulées : la première considérant que cette infection est survenue malgré une charge virale indétectable, la seconde hypothèse excluant cette infection [c’est à dire considérant qu’elle est survenue avant que la charge virale ne soit indétectable])
En compilant les données (préliminaires) de l’étude Partner (qui montrent qu’aucune transmission n’a eu lieu après plus de 25.000 actes sexuels sans préservatif chez des couples hétérosexuels dont le partenaire était en charge virale indétectable), la marge d’erreur du risque de transmission par acte sexuel se réduit. Il devient alors possible d’affirmer que lors d’un acte sexuel sans préservatif avec un partenaire hétérosexuel qui a une charge virale indétectable depuis plus de 6 mois, le risque de transmission se situe entre zéro (valeur la plus probable) et, au maximum, 1 pour 12.600 actes sexuels.
Comment démontrer le risque zéro?
Comme l’explique Supervie, les statistiques ne permettent pas de démontrer un risque zéro. En effet, le fait de ne pas observer de transmissions en conditions d’étude ne signifie pas que celles-ci ne peuvent survenir par ailleurs.
Il est en revanche possible de fixer un seuil à partir duquel l’on considère que ce risque est tellement infime qu’il n’existe plus réellement. Si l’on décide que le risque n’existe plus lorsque la borne supérieure est de l’ordre de 1 pour 100.000 actes sexuels, il devient nécessaire d’analyser 250.000 actes sexuels dans les conditions décrites, ce qui semble difficilement réalisable au regard de la durée de suivi à mettre en place autour des personnes et des couts engendrés par une telle étude.
Et si l’on démontrait que tout porte à croire que le risque de transmission est nul avec une fourchette haute d’un risque théorique de l’ordre de 1 pour 100.000 actes, est-ce que cela répondrait à la question que se pose les personnes concernées ? Dans le fond, ne doit-on pas accepter que le risque zéro n’existe pas et prendre conscience que tout acte sexuel présente, selon les situations, une probabilité plus ou moins réduite qu’une transmission survienne ?
Qu’en est-il du risque de transmission chez les gays?
Aucune infection n’a été observée dans deux essais (en cours) qui étudient la transmission chez des couples sérodifférents d’hommes dont l’un des partenaires est sous traitement. Ces données préliminaires portent à croire que les résultats présentés chez les hétérosexuels sont concordants dans le cas de couples d’hommes.
Publication existante sur le sujet
Virginie Supervie, Jean-Paul Viard, Dominique Costagliola, and Romulus Breban : « Heterosexual Risk of HIV Transmission per Sexual Act Under Combined Antiretroviral Therapy : Systematic Review and Bayesian Modeling » ; Clinical Infectious Diseases Advance Access published May 20, 2014