Cet article a été publié dans Transcriptases n°149 Spécial Washington 2012, réalisé en partenariat avec l’ANRS.
Durant la Conférence de Washington, il y a eu deux sessions orales et un satellite spécifiquement dédiés à la question de la rétention dans le circuit de soins –définissons la rétention comme la capacité d’un individu soigné à rester dans le système soignant. La rétention des patients est un enjeu majeur de la lutte contre le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ; or, les barrières sont nombreuses et variées : relation soignant-patient, circuit du patient, perception de la maladie, contraintes économiques et sociales, stigmatisation, effets secondaires… Les interventions possibles visant à lever ces barrières sont donc, elles aussi nombreuses, et il n’est pas toujours facile pour le responsable d’un centre de soins de décider lesquelles doivent être mises en place. Aussi l’Iapac (International Association of Physicians in Aids Care, Etats-Unis) a-t-elle le mérite de proposer des guidelines1Thompson et al., “Guidelines for Improving Entry Into and Retention in Care and Antiretroviral Adherence for Persons With HIV: Evidence-Based Recommendations From an International Association of Physicians in AIDS Care Panel”, 2012, Ann Intern Med. June 2012;156:817-833 réalisées à partir d’une méthodologie éprouvée (revue de toute la littérature, classification de la force de la preuve, classification de la force des recommandations). Les 37 recommandations d’intervention pour l’amélioration de la rétention et de l’observance sont claires et synthétiques et il y a un focus sur les populations spécifiques.
En particulier on peut y noter :
«Recommendation 1 : Systematic monitoring of successful entry into HIV care is recommended for all individuals diagnosed with HIV (II A)» et «Recommendation 2 : Systematic monitoring of retention in HIV care is recommended for all patients (II A)».
Monitorer l’observance et la rétention sont en eux-mêmes des facteurs d’amélioration de l’observance et de la rétention. La mise en place de systèmes d’informations dans les centres de soins (un outil de monitoring cité parmi d’autres) améliore donc la prise en charge.
«Recommendation 14 : Reminder devices and use of communication technologies (SMS or oral messages) with an interactive component are recommended (I B)».
L’efficacité de l’usage du téléphone portable comme outil de renforcement de l’observance et de la rétention est désormais démontrée par plusieurs études récentes (y compris des essais randomisés contrôlés), en particulier en Afrique subsaharienne. Comme c’est aussi un outil pas cher et facile à mettre en place, donc pérenne, il serait souhaitable de voir son utilisation s’étendre dans les années à venir.
«Recommendation 9 : Pill counts performed by staff or patients are NOT routinely recommended (III C)».
Non seulement il n’est pas prouvé que pour renforcer l’observance le comptage des pilules par les soignants fonctionne mieux que le comptage par le patient lui-même, mais en plus, c’est consommateur de temps pour le staff médical, cela peut induire que les patients jettent leur médicament, et le transport des médicaments peut constituer une barrière au déplacement du patient. Aussi ces guidelines recommandent de ne pas appliquer cette méthode, qui est pourtant présente dans beaucoup de guidelines nationaux de prise en charge.
Les deux autres sessions étaient consacrées à :
1. Session «Starting and Staying on Course : HIV Linkage and Retention in Care»2“Starting and Staying on Course: HIV Linkage and Retention in Care”, WEAE02. Cette session a inclus la présentation «Improving retention at all points in the HIV care cascade: the who perspective» qui donne un survol général du problème de la rétention. La plus grande partie des «perdus de vue» survenant avant la mise sous traitement, la rétention des patients après le dépistage est un enjeu majeur, mais fait pourtant l’objet de moins d’interventions que la rétention des patients sous traitement. La discussion a porté sur l’idée selon laquelle la rétention globale serait peut-être meilleure si on appliquait une stratégie de Test and Treat (puisque la majorité des ruptures de soins arrive avant la mise sous traitement) ; cependant, le fait que la rétention soit plus faible lorsque le patient est asymptomatique peut aussi laisser craindre que ce ne soit pas le cas.
Par ailleurs, une équipe de MSF au Nigeria a montré comment une intervention pour réduire le temps d’attente des patients pour les tests CD4 et pour recevoir les résultats a été associé à une réduction du taux de perdus de vue3Nwuba C.O. et al., “A laboratory-based approach to reduce loss to follow-up of HIV-positive clients”, WEAE0202, IAS 2012.
2. Session «Access to and Retention of Antiretroviral Treatment»4“Access to and Retention of Antiretroviral Treatment”, MOAC03.
Une revue de la littérature par une équipe australo-américaine a conclu qu’appeler les patients au téléphone, leur rendre visite à domicile ou une combinaison de ces deux interventions, a des effets positifs sur leur devenir et permet de mieux connaître ce devenir5Koole O. et al., “Retention and risk factors for attrition among adults in antiretroviral treatment (ART) programs in Tanzania, Uganda and Zambia” MOAC0305.
En Tanzanie, en Ouganda et en Zambie, la distribution d’antirétroviraux (ARV) dans les communautés plutôt qu’au centre de soins a permis de réduire le taux de perdus de vue6McMahon J. et al., “Effects of patient tracing on estimates of lost to follow-up, mortality and retention in antiretroviral therapy programs in low – and middle – income countries: a systematic review”, MOAC0302, IAS 2012.
Par ailleurs, même si les résultats ont été atteints dans le cadre de programmes d’ONG et pas en routine dans des systèmes publics, il faut remarquer que les dispositifs de Community art groups mis en place entre autres par MSF pour des populations généralement difficiles à atteindre (migrants, zone rurales reculées) obtiennent des résultats spectaculaires : «A Musina, Afrique du Sud, la rétention dans le circuit de soins était de 93% à six mois et 90% à douze mois. A six et douze mois, la suppression virologique était atteinte chez 90% et 92% des patients» ; «Dans la province de Tete, Mozambique : les dernières données montrent un taux de rétention de 97% parmi les 5229 membres (enfants inclus)»7Decroo T. et al., “Distribution of Antiretroviral Treatment Through Self-Forming Groups of Patients in Tete Province, Mozambique”, 2011. J Acquir Immune DeficSyndr Volume 56, Number 2, February 1, 2011. Le «groupe communautaire ARV» consiste en un groupe autoformé de patients sous ARV qui mutualisent la collecte d’ARV, mais aussi le recueil des résultats biologiques et la communication au centre de soins de l’autodéclaration par les patients de leurs symptômes et de leur observanceObservance L’observance thérapeutique correspond au strict respect des prescriptions et des recommandations formulées par le médecin prescripteur tout au long d’un traitement, essentiel dans le cas du traitement anti-vih. (On parle aussi d'adhésion ou d'adhérence.) (comptage des pilules).
Enfin, plusieurs orateurs ont rappelé que la qualité de la relation soignant-soigné est un facteur-clé de rétention et d’observance, mais qu’elle fait difficilement l’objet d’études contrôlées et randomisées, et reste donc le plus souvent dans l’angle mort des sessions orales des grandes conférences internationales.