Cet article a été publié dans le Transcriptases n°148, consacré à la 16e ICASA 2011.
Lorsque l’on s’intéresse à l’épidémiologie de l’infection à VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. chez les enfants de moins de 15 ans telle que décrite dans le rapport global de l’OMS 20111WHO (2011) Global HIV/AIDS response: Epidemic update and health sector progress towards universal access., on est frappé par deux éléments:
– Malgré une diminution constante depuis plusieurs années L’incidence du VIH chez les enfants reste élevée : 390 000 enfants nouvellement infectés en 2010, dont 90 % par transmission verticale.
– Alors que les enfants représentent 14 % de la population séropositive ayant besoin d’ARV, ils ne constituent que 7 % des personnes recevant effectivement les médicaments. La couverture antirétrovirale pédiatrique est faible (23 %) et n’atteint même pas la moitié de celle des adultes (51 %).
Ces résultats s’expliquent essentiellement par les facteurs suivants:
– Une importante perte de vue lors du suivi des enfants exposés car nés de mères séropositives : l’effet de perte de vue « en cascade », avec un accès réduit pour les patients à chaque étape, est désormais bien connu. Il a encore été illustré dans plusieurs posters à l’ICASA, notamment au Burkina Faso : les chiffres nationaux de PTME en 2010 montrent que malgré un large accès aux soins anténataux (72,8 % des 77 855 femmes enceintes attendues dans l’année sont vues en consultation prénatale) et un taux de dépistage élevé (80 %) de ces femmes, seuls environ 8 % des enfants de moins de deux ans séropositifs attendus bénéficient d’un traitement ARV2Coulibaly M. et al. (2011) Early Care Management of Paediatric HIV-infected Children (0-2 years) in Ouagadougou, Burkina Faso : Situational Analysis in 2010 16ème ICASA, Addis Abeba Ethiopia TUPE044. Dans une revue de plus de 1 000 dossiers PTME au Togo entre 2004 et 2008, le taux de perdus de vue des enfants dans les 12 mois suivant leur naissance était de 52,2%3Pitche P. et al. (2011) Fate of Children Born to HIV Positive Mothers Followed in the Context of Preventing Motherto- Child Transmission of HIV in Togo. Study of 1042 Infants 16ème ICASA, Addis Abeba Ethiopia TUPE052.
– Un dépistage insuffisant et trop tardif des enfants séropositifs, alors que l’histoire naturelle de la maladie peut évoluer plus vite que chez les adultes.
– Une initiation trop tardive du traitement antirétroviral pour les enfants identifiés et éligibles : plusieurs posters (CESAC au Mali4Konaté, T.B. et al. (2011) Causes des Deces des Enfants Infectes par le VIH/SIDA au Cesac de Bamako (Site ARCAD/SIDA Mali) 16ème ICASA, Addis Abeba Ethiopia TUPE015 et Hôpital National du Cameroun5Abumbi B.L. et al. (2011) Predictors of Mortality in HIV-1 Infected Children on Antiretroviral Therapy in Cameroon : A Prospective Cohort 16ème ICASA, Addis Abeba Ethiopia TUPE016…) ont montré que le taux important de mortalité chez les enfants séropositifs étaient dû au stade avancé de la maladie au moment du dépistage et/ou de l’initiation au traitement ARV.
– Des ressources humaines insuffisantes et peu formées à la prise en charge du VIH pédiatrique.
– Des médicaments adaptés peu accessibles et insuffisamment prescrits (et pourtant disponibles désormais).
Cette insuffisance de prise en charge médicale entraîne une surmortalité d’environ 50 % de la population pédiatrique vivant avec le VIH comparée à celle de la population adulte6WHO (2011) Global HIV/AIDS response: Epidemic update and health sector progress towards universal access..
L’infection à VIH pédiatrique est une entité spécifique, notamment dans ses composantes de prévention et de prise en charge globale (clinique, biologique, thérapeutique, psychologique et sociale), nécessitant une expertise rarement disponible dans les pays à ressources faibles et modérées.
La survie des enfants infectés dépend de la précocité du dépistage et du délai d’initiation de la prise en charge et de sa qualité, d’où l’importance de rendre plus accessibles et fonctionnels pour les enfants les services de dépistage et de prise en charge. Une des solutions pour améliorer cette accessibilité consiste à procéder à une délégation des tâches du personnel médical spécialisé vers d’autres prestataires, notamment en zone rurale.
La délégation des tâches est un principe acquis internationalement et qui a fait l’objet d’un document de recommandations de l’OMS en 20087OMS (2008) : Treat, train and retain – Task shifting – Global recommendations and guidelines. Particulièrement, les recommandations 16 à 22, contenues dans le chapitre « organisation des services de soins », mettent l’accent sur la flexibilité de l’application concrète de la délégation des tâches, en s’adaptant au contexte spécifique de chaque pays. Elles insistent également sur la délégation des tâches non seulement au personnel médical non spécialisé, mais également au personnel paramédical, aux cadres de santé (pharmaciens, techniciens de laboratoire et tout personnel intervenant dans les soins liés au VIH) et aux agents communautaires, y compris les personnes vivant avec le VIH.
La délégation des tâches appliquée au dépistage
et à la prise en charge des enfants infectés par le VIH
La délégation des tâches appliquée à la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant et à la prise en charge pédiatrique est un principe réaffirmé dans les documents internationaux stratégiques plus récents, notamment le plan global pour l’élimination des nouvelles infections à VIH chez les enfants de moins de 15 ans (2010)8ONUSIDA (2011) Global plan towards the elimination of new HIV infections among children by 2015 and keeping their mothers alive 2011-2015 et le kit d’outils pédiatriques de plaidoyer pour améliorer le diagnostic, le traitement et les soins des enfants infectés par le VIH dans les pays à forte prévalence (2011)9Paediatric care and treatment working group, Interagency task team on the prevention and treatment of HIV infection in pregnant women, mothers and children (2011) Paediatric advocacy tool kit for improved paediatric HIV diagnosis, care and treatment in high prevalence countries and regions. Geneva, WHO.
Lors de la conférence, plusieurs présentations orales et écrites ont montré comment la délégation des tâches, appliquées à différents niveaux de prestataires, en zone décentralisée ou non, concernant le dépistage ou/et la prise en charge, pouvaient être une opportunité pour une amélioration de la prise en charge des enfants exposés et infectés au VIH:
La délégation des tâches pour dépister plus d’enfants
Déléguer l’information sur le dépistage et les soins pédiatriques du VIH aux PvVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH 10Margery Alex et al. (2011) Evidence-Based Interventions Work Better with the Involvement of PLHIV : Pediatric ARV Treatment Access in Mwanza Region Tanzania 16ème ICASA, Addis Abeba Ethiopia WEPE142.
Une étude qualitative menée auprès de 100 personnes séropositives ou de statut inconnu a été réalisée par la TANEPHA (réseau national de PvVIH en Tanzanie) en collaboration avec l’Université d’Amsterdam en 2008 afin de comprendre les raisons de la faible couverture thérapeutique des enfants infectés par le VIH en Tanzanie (8 %) malgré la gratuité des ARV depuis 2005. Les résultats de cette étude ont montré, notamment, que les adultes ne connaissaient pas le statut de leurs enfants, ni l’existence de services de dépistage et de soins VIH dédiés aux enfants. D’autre part, ils avaient peur de dévoiler leur statut à leurs enfants et peur de la discrimination. Pour améliorer l’accès au dépistage et aux soins des enfants, la TANEPHA a réalisé un programme de sensibilisation via des représentations théâtrales. En six mois, le nombre d’enfants se présentant pour un dépistage aux différentes structures de santé de la zone étudiée a doublé, 160 enfants ont été dépistés séropositifs et plus de la moitié ont été mis sous ARV.
Déléguer le dépistage à d’autres services. Les enfants doivent non seulement être dépistés dans les services réalisant la PTME et les services de pédiatrie, mais également dans les lieux regroupant les enfants susceptibles d’être particulièrement affectés par l’infection : centres de renutrition intensif et ambulatoire, orphelinat, centre de traitement de la tuberculose, service VIH adultes (via le dépistage intrafamilial).
Une étude rétrospective réalisée dans les services de pédiatrie du CHU de Brazzaville de 2006 à 2010 et présentée en poster à l’ICASA a montré que sur 214 enfants de 18 mois à 15 ans (moyenne d’âge de 9,3 ans), la sérologie VIH montrait un taux de positivité de 34,1%11Mapapa Miakassissa, C. et al. (2011) Taux Élevé de Séropositivité au VIH chez les Enfants Hospitalisés pour Tuberculose au CHU de Brazzaville 16ème ICASA, Addis Abeba Ethiopia MOPE071.
La délégation des tâches pour dépister plus précocement les enfants
Sachant le diagnostic précoce essentiel à la survie des enfants infectés et important pour le suivi des enfants exposés, certaines structures publiques et/ou privées des zones décentralisées ont mis en place une forme de délégation des tâches au laboratoire : la PCRPCR "Polymerase Chain Reaction" en anglais ou réaction en chaîne par polymérase en français. Il s'agit d'une méthode de biologie moléculaire d'amplification d'ADN in vitro (concentration et amplification génique par réaction de polymérisation en chaîne), utilisée dans les tests de dépistage. est toujours réalisée en capitale mais les prélèvements se font au laboratoire de province dont les techniciens sont formés à la technique du buvard (Dried Blood Spot, DBS) et un système d’acheminement engageant souvent les responsables des district ou région sanitaire.
Mettre en place un système de diagnostic précoce de l’infection à VIH chez les enfants nés de mères séropositives dans les départements reculés du Bénin12Soliou B. et al. (2011) Mise en Place d’un Système de Diagnostic Précoce de l’Infection à HIV chez les Enfants Nés de Mères Séropositives : Expérience des Départements du Nord Bénin 16ème ICASA, Addis Abeba Ethiopia MOPE178.
Tenant compte de l’éloignement des départements du Nord Béninet de l’absence de grandes infrastructures sanitaires dans cette zone, un système de dépistage précoce a été mis en place afin d’améliorer la survie des enfants nés de mères séropositives dans ces départements. Il repose sur quatre piliers : le renforcement des capacités des acteurs départementaux et du niveau opérationnel, la mise à disposition d’équipements pour la réalisation des PCR, l’initiation d’un système d’acheminement des prélèvements et de transmission des résultats et l’alimentation d’une base de données de suivi. En 14 mois, 239 enfants nés de mère séropositives ont ainsi pu bénéficié d’un dépistage précoce, autour d’une moyenne d’âge de 5 mois, réduisant considérablement l’âge de dépistage chez ces enfants exposés.
Déléguer le dépistage des enfants à un centre de conseil et dépistage à domicile pour une prise en charge plus précoce au Kenya13Karonge, J.W. (2011) Inclusion of Children in HIV Testing and Counseling Programs : Experiences from Liverpool VCT, Care and Treatment 16ème ICASA, Addis Abeba Ethiopia TUPE105.
Le Liverpool Voluntary counselling and testing, care and treatment (LVCT) a développé une initiative de dépistage du VHI chez les enfants en offrant un conseil et dépistage à domicile. Cette démarche permet les échanges avec toute la famille et l’accompagnement vers la prise en charge. le LVCT a ainsi dépisté 2 752 enfants de moins de 15 ans, dont 1 % se sont révélés séropositifs. Ils ont tous été pris en charge par les structures de soins. La détection active des enfants séropositifs permet ainsi une prise en charge plus précoce de ces enfants, réduisant leur morbidité et leur mortalité.
La délégation des tâches pour une prise en charge plus précoce et plus globale des enfants infectés au VIH
Dans le cadre de la décentralisation, la délégation de tâches à des paramédicaux formés selon les normes est une solution viable permettant de faire face à la pandémie quand le nombre de soignants est restreint.
Des expériences de délégation de la prise en charge pédiatrique aux paramédicaux ont été conduites avec succès notamment au Lesotho et en Ethiopie, permettant d’améliorer l’accessibilité des soins, ainsi que la rétention des patients sous traitement ARV.
La formation des infirmières accroît l’initiation précoce des ARV et réduit la mortalité des enfants infectés en zone rurale au Lesotho14Ahimbisibwe A. et al. (2011) Scaling up Access to Comprehensive HIV/AIDS Services in Lesotho : A Summary of Early Experiences in Project Implementation 16ème ICASA, Addis Abeba Ethiopia WEPE187.
Le Lesotho présente la 3ème prévalence du VIH la plus élevée au monde. En 2010, selon l’OMS, 21 000 enfants infectés avaient besoin d’ARV, mais seuls 22 % étaient sous traitement contre 57 % de couverture chez les adultes. Au Lesotho, comme dans les autres pays d’Afrique subsaharienne, le traitement pédiatrique de l’infection à VIH est un vrai défi, du fait des délais dans le diagnostic de certitude (12 semaines en moyenne pour l’obtention des résultats) et dans l’initiation du traitement.
En effet, très peu de formations sanitaires offrent un dépistage, des soins et des traitements adaptés aux enfants infectés par le VIH, essentiellement par manque de formation du personnel. Bien que les infirmières soient autorisées à prescrire les ARV aux adultes au Lesotho, elles n’ont que rarement été formées pour les prescrire aux enfants éligibles et préfèrent référer aux deux cliniques pédiatriques du pays.
Afin de réduire la mortalité et la morbidité pédiatrique due à ces insuffisances, EGPAF a soutenu deux actions:
– la formation d’une semaine de plus de 50 infirmières au VIH pédiatrique en utilisant les modules de l’ANECCA associée à un suivi post-formation à long-terme ;
– la mise à disposition d’ordinateurs et de clés 3G dans les différents districts permettant de recevoir les résultats de PCR par internet, réduisant ainsi à 4 semaines le délai d’obtention des résultats.
En l’espace d’un an, le nombre d’enfants infectés mis sous ARV a été multiplié par un facteur 4. La mortalité dans les trois mois suivants l’initiation des ARV a diminué de 15 % à 4 %, prouvant ainsi que la délégation des tâches après formation adéquate du personnel, associée à l’introduction des nouvelles technologies pour compenser les distances, améliore considérablement la prise en charge du VIH pédiatrique.
Traitement, soins et soutien des enfants infectés par le VIH dans les centres de santé en Ethiopie15Deribessa S.J. et al. (2011) : Pediatric HIV treatment, care and support services at health center levels in Ethiopia 16ème ICASA, Addis Abeba Ethiopia THLB04.
En Ethiopie, où la prévalence du VIH est de 2,2 %, la décentralisation de la prise en charge des adultes a été initiée en 2006 et celle des enfants en 2008.
Afin d’améliorer la couverture thérapeutique des enfants infectés, les autorités éthiopiennes se sont fixées comme objectif d’atteindre une proportion d’enfants de 9 % parmi les PvVIH sous ARV en 2010. En 2008, cette proportion était à 5,6 %. Cela s’expliquait principalement par la faible capacité des centres de santé primaire à réaliser la prise en charge pédiatrique du VIH (alors que les paramédicaux de ces centres prennent en charge les adultes séropositifs) et la résistance des familles à amener l’enfant au centre suite au résultat du diagnostic.
Pour démontrer la faisabilité d’une telle amélioration, Management Sciences for Health et ANECCA ont réalisé une étude de cohorte rétrospective auprès des paramédicaux des centres de santé primaire des 4 régions les plus importantes d’Ethiopie.
L’étude comparait les connaissances et les compétences des paramédicaux et les taux d’inclusion aux ARV chez les enfants VIH+ entre : 1) 79 centres appuyés par une formation et du mentorat des agents de santé et 2) 35 autres centres ne recevant aucune intervention
Les deux groupes présentant des caractéristiques similaires concernant l’éducation, le sexe et l’âge des agents de santé (niveau infirmier ou inférieur).
Les résultats montrent que (figure 1):
– L’évolution des connaissances et compétences des agents de santé formés sont séparées en trois catégories :
1) Très significativement améliorées. Cela concerne tout d’abord le suivi des enfants exposés et celui des enfants infectés sous ARV, mais aussi le remplissage des outils de données. 2) Significativement améliorées. Cela concerne l’examen clinique, le suivi biologique et la prophylaxie au cotrimoxazole. 3) Pas de changement : Seul, l’accompagnement à l’observance ne donne pas de résultat significatif
– Le travail en équipe était effectif dans 75 % des centres soutenus contre 25 % des centres non soutenus
– Le suivi des enfants infectés sans et sous ARV est nettement accru entre décembre 2008 et décembre 2009 :
Malgré une augmentation significative du nombre d’enfants suivis, l’étude n’a pas permis d’atteindre les objectifs nationaux en termes de couverture thérapeutique, mais elle a montré une voie possible au Ministère de la Santé éthiopien sur les moyens d’y parvenir.
La délégation des tâches incite à l’entraide
Les différentes applications de la délégation des tâches présentées à la 16ème ICASA comportent un point commun : la délégation des tâches incite à l’entraide entre catégories professionnelles et contribue à la multidisciplinarité. Ainsi se crée autour des enfants une chaîne solidaire, dont les divers maillons constituent au final la prise en charge globale. En cela, la délégation des tâches est probablement une des stratégies offrant le plus de potentiel tout en étant très flexible et adaptable, pour contribuer à l’élimination des nouvelles infections à VIH dans la génération future et à la survie des enfants infectés. Malheureusement, bien qu’inscrite désormais dans la majorité des documents nationaux de normes et protocoles, son application se heurte encore à de nombreux obstacles : ressources humaines peu nombreuses et déjà assignées à de multiples tâches, formation et mentorat des ressources humaines peu réalisés, organisation des soins n’ayant pas fait l’objet d’adaptations. Les obstacles externes sont aussi nombreux. Ainsi, selon l’état des lieux dans 14 sites de prise en charge du VIH pédiatrique en Afrique en 2011 réalisé par le programme Grandir, même si la PCR est accessible pour 71 % des sites, seuls 3 d’entre eux reçoivent les résultats dans les délais recommandés. Les ARV pédiatriques de 1ère intention, même si de plus en plus disponibles, ne sont pas encore accessibles à tous sous une forme combinée.