Cet article a été publié dans le Transcriptases n°148, consacré à la 16e ICASA 2011.
L’équipe de Patrice Kiuvu et coll.1Patrice Kiuvu et coll. Viral Load Testing, Rate of Viral Failure among Patients with Immunological or Clinical Failure and Positive Predictive Value of a Clinical Score – Experience from Rural Lesotho. Présentation ICASA 2011. a appliqué aux patients d’une région rurale du Lesotho un score prédictif d’échec thérapeutique basé sur des critères cliniques et immunologiques identifiés par L. Lynen sur une cohorte Cambodgienne2Lynen L, An S, Koole O, Thai S, Ros S, De Munter P, Sculier D, Arnould L, Fransen K, Menten J, Boelaert M, Van den Ende J, Colebunders R. An algorithm to optimize viral load testing in HIV-positive patients with suspected first-line antiretroviral therapy failure in Cambodia. J Acquir Immune Defic Syndr 2009, 52 :40-48.. A ces différents critères, lorsqu’ils existent, sont associées des valeurs de 1 à 3 avec un score maximum de 10 (figure n° 1). D’après Lynen, les patients ayant un score < 2 ont une très faible probabilité d’être en échec thérapeutique et ne doivent pas être systématiquement switchés ; ceux qui ont un score ≥5 sont fortement suspectés d’échec thérapeutique et doivent être switchés pour diminuer le risque de réplication sous traitement. Enfin, les patients présentant un score intermédiaire doivent bénéficier d’une mesure de charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. pour décider de la conduite à tenir. Afin d’évaluer la pertinence de ce score, l’équipe de Kiuvu l’a appliqué aux patients en situation d’échec et les a prélevé pour une mesure de charge virale.
Méthodologie
1 131 patients traités à M6 ont été inclus dans cette étude. Parmi eux, 134 patients en situation d’échec clinique ou immunologique selon les définitions OMS (soit 11,8 % des patients suivis), étaient éligibles pour bénéficier de la charge virale et de l’application du score de Lynen. Cependant 13 patients sont décédés, 10 perdus de vue, et 7 ne sont pas revenus aboutissant à 104 patients prélevés, parmi lesquels 9 prélèvements ont été perdus et 2 hémolysés témoignant des difficultés inhérentes à l’acheminement des prélèvements. Au total, ce sont donc 93 résultats de charge virale qui ont été finalement obtenus (représentant 89 % des patients en échec clinique et immunologique). Pour ces 93 patients, les résultats de charge virale ont alors été croisés avec le score prédictif d’échec thérapeutique basés sur les critères clinique et immunologique de Lynen.
Résultats
En tout, 66 des patients en situation d’échec clinique ou immunologique selon les définitions de l’OMS avaient une charge virale détectable (définie par un seuil ≥ à 40 cp/ml). Celle-ci était comprise entre 40-339 copies/ml pour 13 d’entre eux, entre 400-4 999 copies/ml pour 5, et ≥ 5 000 copies/ml pour 48. A contrario, 27 de ces patients avaient donc une charge virale indétectable.
Parmi les 48 patients ayant une CV > 5 000 copies, 8 (17 %) sont décédés dans les quatres semaines suivant le switch en 2ème ligne (OR 4.3 [0.97 -19.11]).
En ce qui concerne le croisement du score prédictif d’échec thérapeutique avec les résultats de la charge virale (figure n°2), un score ≥ 5 (20 patients sur 93) était prédictif d’une charge virale supérieure à 40 copies/ml dans 100 % des cas ; alors qu’un score ≥ 6 avait une valeur prédictive positive à 100 % d’un résultat de charge virale ≥ 5 000, correspondant au seuil de passage en deuxième ligne recommandé par l’OMS.
Redoubler d’efforts
La charge virale constitue l’examen biologique de référence de l’échec virologique et le plus à même de guider le clinicien pour le changement d’un traitement ARV.
Lorsque la charge virale n’est pas accessible, particulièrement dans le contexte des pays à ressources limitées, l’aide d’un score prédictif d’échec thérapeutique basé sur des critères cliniques et immunologiques, sous réserve d’études supplémentaires avec un échantillon plus important, peut être un outil de gestion des échecs thérapeutiques. Dans l’étude présentée par Kiuvu and al., un score ≥5 est prédictif à 100 % d’échec virologique (seuil ≥ à 40 cp/ml). L’application de ce score aurait permis d’éviter la réalisation d’une charge virale pour 20 patients en situation d’échec immuno-clinique (21.5 % des cas). Mais une telle étude, où la charge virale n’a d’ailleurs pas été contrôlée par un deuxième prélèvement conformément aux recommandations OMS, montre surtout que près de 80 % des patients en situation d’échec clinique ou immunologique doivent absolument bénéficier du dosage de la charge virale pour décider du passage en deuxième ligne.
Il est important donc de redoubler les efforts pour rendre l’accès à la charge virale le plus large possible. A terme, cela se concrétisera par la mise au point d’appareils «point of care», par le renforcement des conditions matérielles et financières des laboratoires nationaux et par l’ouverture du marché international de la charge virale à des nouveaux opérateurs.