Hépatite — VHC : Le SPRINT de la trithérapie

L’essai SPRINT-1 livre des résultats prometteurs concernant l’efficacité et la tolérance de la trithérapie interféron pégylé, ribavirine et boceprevir en première ligne de traitement de l’hépatite C.

Le traitement de référence actuel, au cours de l’hépatite C chronique est l’association par interféron-alpha pégylé et ribavirine pendant 24 à 48 semaines. Il ne permet globalement d’obtenir «que» 55% de réponse virologique prolongée: de 80% chez les patients infectés par un génotype bon répondeur 2 ou 3 à 50% chez ceux infectés par un génotype 11Fried MW, Shiffman ML, Reedy KR et al. Peginterferon alfa 2a plus ribavirin for chronic infection. N Engl J Med 2002; 347: 975-82.. De nombreuses molécules efficaces contre le VHC sont actuellement en cours de développement, en particulier les inhibiteurs de protéase et de polymérase qui agissent directement sur les mécanismes de réplication virale et non sur le système immunitaire2Malcom BA, Liu R, Lahser F, et al. SCH 503034, a mechanism-based inhibitor of hepatitis C virus NS3 protease, suppresses polyprotein maturation and enhances the antiviral activity of alpha interferon in replicon cells. Antimicrob Agents Chemother 2006; 50: 1013-20.. Le Boceprevir est un de ces inhibiteurs de protéase du VHC (NS3) tant attendu, efficace sur des modèles in vitro et chez des patients non répondeurs à l’interféron et à la ribavirine3Malcom BA, Liu R, Lahser F, et al. SCH 503034, a mechanism-based inhibitor of hepatitis C virus NS3 protease, suppresses polyprotein maturation and enhances the antiviral activity of alpha interferon in replicon cells. Antimicrob Agents Chemother 2006; 50: 1013-20. / Sarrazin C, Rouzier R, Wagner F, et al. SCH 503034, a novel hepatitis C virus protease inhibitor, plus pegylated interferon alpha-2b for genotype 1 non responders. Gastroenterology 2007 ; 132 : 1270-78..

L’étude SPRINT-1 (Serine Protease Inhibitor Therapy-1) avait pour objectif d’analyser la tolérance et l’efficacité de la trithérapie par interféron-alpha pégylé, ribavirine et boceprevir dans une étude ouverte randomisée multicentrique internationale (phase 2), chez des patients naïfs de tout traitement VIC et porteur du génotype 1.

Cette étude comprenait deux parties. Son objectif principal était le taux de réponse virologique prolongée, synonyme d’éradication du VHC, définie par une PCRPCR "Polymerase Chain Reaction" en anglais ou réaction en chaîne par polymérase en français. Il s'agit d'une méthode de biologie moléculaire d'amplification d'ADN in vitro (concentration et amplification génique par réaction de polymérisation en chaîne), utilisée dans les tests de dépistage. inférieure à 15 UI/ml, 24 semaines après l’arrêt du traitement;

Les objectifs secondaires comprenaient :

– La comparaison des traitements courts de 24 semaines et longs de 48 semaines; 
– La comparaison des bras avec et sans « lead-in-phase », une phase initiale d’interféron et de ribavirine seuls pendant 4 semaines dont l’objectif est de diminuer au maximum la virémie avant de débuter le boceprevir et donc ainsi l’incidence des mutations);
– La comparaison de posologies de ribavirine recommandée par l’AMM et des doses plus faibles de ribavirine (400 à 1000 mg/j), afin de diminuer la survenue d’une anémie.

Les posologies utilisées étaient les suivantes :

– bocéprévir : 800 mg, 3 fois par jour;
– interféron pégylé alpha-2b, 1,5 microg/kg/semaine;
– ribavirine 800 à 1400 mg/j, dans la 1° partie de l’étude, en fonction du poids (les seuils étaient 65 kg, 80 kg et 105 kg).

Dans la 1° partie, 520 patients étaient répartis dans les 5 bras suivants (1 :1 :1 :1 :1) :

1) bithérapie pendant 48 semaines (PR48);
2) 4 semaines de bithérapie classique («lead-in-phase») suivie de 24 semaines de bithérapie associée au bocéprevir (PR4PRB24);
3) 4 semaines de bithérapie classique («lead-in-phase») suivie de 44 semaines de bithérapie associée au bocéprevir (PR4PRB44);
4) 28 semaines de bithérapie associée au boceprevir (PRB28);
5) 48 semaines de bithérapie associée au boceprevir (PRB48).

Dans la 2° partie de l’étude, 75 patients étaient répartis dans les 2 bras suivants de traitement de 48 semaines:

– trithérapie avec des doses de ribavirine de 800 à 1400 mg/j (n = 16) (PRB48);
– trithérapie avec des doses de ribavirine de 400 à 1000 mg/j (n = 59).

Les patients étaient exclus s’ils avaient une cirrhose décompensée, une co-infection par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. un antécédent de greffe d’organe, d’autres co-morbidités hépatiques et/ou des contre-indications habituelles à l’interféron et à la ribavirine.

Tous étaient infectés par un génotype 1 (environ 40% 1b, 50% 1a et 9% non typés) ; 60% étaient des hommes, d’un âge moyen de 47 ans, 80% caucasiens, avec une virémie supérieure à 600000 UI/ml dans presque 90% des cas et une cirrhose dans 8 % des cas.

Une efficacité virologique prolongée supérieure

Dans la 1° partie de l’étude, l’efficacité virologique prolongée était supérieure dans tous les bras utilisant la trithérapie par rapport au bras bithérapie: 56, 75, 54, 67%, respectivement, vs 51%. Le taux de rechute était plus faible dans les 2 groupes de trithérapie de 48 semaines que dans le groupe contrôle et dans les groupes traités 28 semaines.

Aucun échappement n’a été observé dans le groupe contrôle. Dans les autres groupes, le taux d’échappement étaient de 4, 5, 7 et 12 %, respectivement dans la 1° partie de l’étude et dans 25 et 27 % dans la 2° partie de l’étude ; une tendance non significative à la diminution de la survenue d’échappement était décrite dans les 2 bras avec lead-in-phase par rapport aux autres : 4 vs 7 % (p = 0.057). Les mutations majoritaires (dans plus de 25 % des échantillons) détectées par le séquençage des populations virologiques étaient les mutations T54A, V55A, R155T, A156S, V158I, V170A et les minoritaires (moins de 5 % des échantillons), V36A, V36L, I170T.

La réponse virologique rapide (PCR négative à la fin de la 4° semaine de traitement) était un facteur prédictif de réponse virologique prolongée dans tous les groupes :

– Cette dernière était observée en cas de réponse virologique rapide chez 82 % du groupe PR4/PRB24, 74 % PRB28, 94 % du groupe PR4/PRB44 et 84 % des PRB48;
– Ces pourcentages étaient, quand la PCR se négativait entre S4 et S12, de 21, 62, 79 et 83 %, respectivement.

L’analyse des résultats dans les bras avec phase initiale de bithérapie («lead-in phase») montrait la relation entre la diminution de la virémie sous interféron et ribavirine seul et l’efficacité ultérieure de la trithérapie comprenant du boceprevir :

– Si la virémie avait diminué d’au moins 1,5 log à la fin de la 4° semaine de bithérapie, le taux de réponse virologique prolongée était comparable dans les bras traités 28 semaines par rapport à celui traité 48 semaines; au contraire, chez les autres, il y avait une supériorité d’efficacité long terme dans le bras 48 semaines par rapport au bras 28 semaines.
– Lorsque la virémie diminuait de moins d’un log à la fin de la 4° semaine, le taux de guérison virologique était plus faible, 55 %.

Les facteurs associé à la réponse virologique prolongée, en analyse multivariée, étaient :

– L’origine afro-américaine, prédictive de mauvaise réponse : 13 % (2/16) versus 53 % (8/15) dans les bras de trithérapie de 48 semaines;
– La présence d’une cirrhose diminuait la réponse virologique prolongée de 39 à 25 % (2/8) dans le bras contrôle de bithérapie et de 71 à 67 % (10/15) dans les bras de trithérapie (à noter cependant que les effectifs étaient faibles);
– L’apparition d’une anémie (taux d’hémoglobine inférieur à 10 g/l), facteur de risque de réponse quel que soit le groupe; l’influence de l’utilisation de l’érythropoïétine n’est pas analysable.

Concernant la tolérance, les effets secondaires les plus nombreux étaient, dans tous les groupes, la fatigue, les nausées, l’anémie, les céphalées; seuls la dysgueusie4Trouble du goût (20-44%) et l’anémie étaient plus fréquentes dans les groupes traités par trithérapie que dans les groupes traités par bithérapie. Le nadirNadir Chiffre indiquant la valeur minimale enregistrée de la charge virale ou des CD4. de l’hémoglobinémie se situait entre 8,5 et 10 g/l dans les groupes traités par trithérapie. La modification des posologies de ribavirine étaient observée dans un pourcentage comparable que les patients soient traités avec ou sans boceprevir et les modifications de posologies de boceprevir étaient rares. Cependant, l’arrêt prématuré du traitement était plus fréquent dans les bras comprenant du boceprevir que dans le bras contrôle : 9 à 19 % des arrêts étaient attribuables aux effets secondaires dans les bras traités en trithérapie versus 8 % dans le bras contrôle, mais seuls 2 patients ont arrêté leur traitement en raison d’une anémie dans les bras traités par trithérapie. Le pourcentage d’effets secondaires cutanés et sous-cutanés était comparable en bi- ou en tri-thérapie.

Supériorité de la trithérapie sur la bithérapie

Cette étude montre clairement une supériorité de la trithérapie par interféron-alpha pégylé/ribavirine/boceprevir par rapport à la bithérapie classique par interféron alpha pégylé et ribavirine. En particulier, le taux de réponse virologique prolongé atteignait, dans le bras optimal (PR4PRB44), presque le double de celle du bras contrôle. Cette supériorité était globale mais aussi dans les populations habituellement difficiles à traiter (patients cirrhotiques et afro-américains)5Conjeevaram HS, Fried MW, Jeffers LJ, et al. Peginterferon and ribavirin treatment in African American and Caucasian American patients with hepatitis C genotype 1. Gastroenterology 2006; 131: 470-77.; cependant, les pourcentages de guérison virologique nécessitent d’être vérifiés en raison des faibles effectifs de ces sous-groupes.

L’utilisation de faibles doses de ribavirine, bien que réduisant le pourcentage de survenue d’une anémie, ne permettait pas d’augmenter l’efficacité du traitement. Le boceprevir doit donc être utilisé avec des doses habituelles de ribavirine.

Il est impossible de faire la comparaison avec les résultats de guérison virologique obtenus avec l’association de l’autre antiprotéase du VHC, le telaprevir, à la bithérapie de référence, mais les auteurs rappellent brièvement ses résultats: 61% chez les patients traités par 24 semaines de bithérapie associé à 12 semaines de telaprevir, 67 à 69% chez les patients recevant 48 semaines de bithérapie associée à 12 semaines de telaprevir vs 41% chez ceux traités dans le bras de référence6McHutchison JG, Everson GT, Gordon SC, et al. Telaprevir with peginterferon and ribavirin for chronic HCV genotype 1 infection. N Engl J Med 2009; 360: 1827-38. / Hezode C, Forestier N, Dusheiko G, et al. Telparevir and peginterferon with or without ribavirin for chronic infection. N Engl J Med 2009; ­360: 1839-50..

L’utilisation d’une «lead-in-phase» a montré une supériorité d’efficacité virologique globale, une réduction des rechutes et des échappements, malgré l’absence de différence significative entre les 2 bras courts avec ou sans «lead-in-phase» et entre les 2 bras longs avec ou sans lead-in-phase (au moins en partie en raison d’effectifs trop faibles). La diminution de la virémie pendant cette phase permettait de prédire l’efficacité virologique long terme, l’absence de bénéfice à prolonger le traitement de 28 à 48 semaines chez ceux dont la virémie diminue de plus d’1,5 log et un avantage chez les autres. En théorie, cette phase permet d’identifier les non-répondeurs, pour lesquels le pourcentage de guérison est plus faible et le risque de survenue de résistance plus élevé. Cependant, même chez ces patients, le taux de réponse virologique prolongée dans l’étude restait intéressant, puisqu’il est identique à celui des patients traités par le bras contrôle.

Dans tous les groupes, la réponse virologique rapide était prédictive de la réponse virologique prolongée. Cette étude a montré également que les patients dont la virémie est devenue négative entre la 4° et la 12° semaine avait un bénéfice à continuer la trithérapie jusqu’à la 48° semaine. Dans cette étude, 2 patients sur 3 avaient une réponse virologique rapide et aurait pu arrêter le traitement à la 28° semaine sans perte de chance et chez les 18 % de patients ayant négativé leur virémie entre la 4° et 12° semaine, 75 % d’entre eux avoir un bénéfice thérapeutique à continuer jusqu’à la 48° semaine. Seul un patient n’ayant pas négativé sa virémie à S12 a été répondeur long terme.

En terme de tolérance, aucun nouvel effet secondaire n’a été décrit dans la trithérapie par rapport à la bithérapie. Il n’y avait pas plus d’effets secondaires cutanés avec le boceprevir que dans le groupe contrôle. L’anémie et la dysgueusie étaient plus fréquentes dans les bras boceprevir mais avec peu d’arrêt imputables à ces effets secondaires. La survenue d’une anémie et l’utilisation de l’EPO étaient associées à une meilleure réponse virologique prolongée.

Les limites de cette étude sont:

– Le caractère ouvert de l’étude expliqué par le design complexe de l’étude;
– Le fait que la randomisation ait été stratifiée sur l’existence ou non d’une cirrhose sur les résultats d’une biopsie effectuée 5 ans plus tôt ; en effet, certains patients ont pu constituer une cirrhose dans cet intervalle, justifie la réalisation d’autres études pour préciser l’efficacité et la tolérance de la trithérapie chez des patients cirrhotiques.

En conclusion, l’utilisation du boceprevir en association avec l’interféron et la ribavirine augmente l’efficacité du traitement anti-VHC y compris dans certaines populations difficiles à traiter comme les patients afro-américains et ceux avec une cirrhose. Une phase initiale en bithérapie permet d’augmenter l’efficacité virologique du traitement en diminuant le pourcentage de rechute et d’échappement.

On attend avec impatience les résultats dans d’autres populations où le besoin est important et l’efficacité et la tolérance habituellement médiocres : patients co-infectés par le VIH, hémophiles, dialysés, transplantés hépatiques ou en attente de greffe.

L’utilisation de ce nouveau médicament serait possible fin 2010 en autorisation temporaire d’utilisation dans certaines populations et dans le cadre de protocoles thérapeutiques chez les autres.

 

 

1° partie

2° partie

 

PR48

PR4PRB24

PR4/PRB44

PRB28

PRB48

PRB48

PRB48 faibles doses de ribavirine

Effectifs

104

103

103

107

103

16

59

PCR négative (%)

-S4

-S12

-S24

-S48

-fin du traitement

-fin du suivi

 

 

8

34

52

46

51

39

 

 

3

69

72

77

56

 

9

77

80

71

79

75

 

 

39

73

66

79

54

 

37

 

68

69

58

74

 

44

50

50

38

56

50

 

25

54

48

42

48

36

 

Rechutes

24

24

3

30

7

11

22

Echappements

0

4

5

7

12

25

27