Cette communication propose d’analyser les différents tenants de l’émergence d’un nouveau champ d’intervention de l’expertise profane, porté par des acteurs d’associations de lutte contre le VIH/sida en France depuis le début des années 2000. D’abord portée par les acteurs associatifs face à l’urgence d’une situation dans laquelle le champ médical comme le champ politique étaient sans solutions immédiates, l’expertise profane s’est développée autour d’un « activisme thérapeutique » à partir des années 801Epstein, 1996 ; Barbot, 2002. Aujourd’hui, l’accès à des traitements efficaces en France conduit à déplacer les frontières du champ d’intervention de cette expertise profane. C’est sur ce déplacement que nous portons notre attention.
Aujourd’hui en France, le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. est doté d’une nouvelle représentation, d’un nouveau visage. De nouveaux besoins tels l’accès à l’emploi et la lutte contre la stigmatisation en milieu de travail sont apparus comme prégnants dans l’orientation des actions militantes et associatives. Ainsi, de nombreuses associations ont choisi de développer en leur sein un axe d’accompagnement dans et vers l’emploi, en s’appuyant sur l’expérience acquise portée sur l’accès aux soins. En introduisant la mobilisation de l’expertise profane comme éléments clés de la réussite de ces actions associatives, nous analysons les effets, sur un plan pratique et sur un plan théorique, des déplacements des frontières de ses champs d’intervention.
Expertise d’usage
D’un point de vue théorique, nous montrons comment il est possible d’illustrer ce déplacement à travers le glissement de la notion d’expertise profane à celle de l’expertise d’usage. Les travaux de Godinot, du mouvement ATD Quart Monde nous orientent pour faire part de ce glissement, dans la distinction entre savoir ordinaire, savoir académique et savoir professionnel {Godinot, 2009}. Quelle combinaison de ces différents types de savoir est mobilisée quand la question du besoin d’accès à l’emploi des personnes vivant avec le VIH est posée ? Comment s’en saisit le renouvellement de l’action associative en France ? Quels sont les mots des acteurs qui décrivent cet adage? Aussi, les travaux d’Yves Sintomer {Sintomer, 2009} sur le développement de l’expertise d’usage nous conduit à percevoir comment la mobilisation de l’expertise profane dans le champ du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. fait partie de l’acception plus vaste de la participation des publics et de la prise en compte de l’expertise d’usage, et comment cette dernière offre une piste de réflexion sur les problématiques sociales entraînées par le VIH.
Le déplacement du champ d’implication de l’expertise profane n’est pas sans poser la question de son instrumentalisation par la sphère des politiques publiques. Nous tentons donc de situer comment les mots des acteurs témoignent ou non d’une légitimation de l’action publique en terme d’accès aux droits sociaux et à l’emploi, par l’institutionnalisation de l’expertise d’usage à travers une quasi-injonction à la participation. Nous essayons de décrire comment l’expertise d’usage est captée par les politiques publiques et quels en sont ses effets sur la légitimation ou l’institutionnalisation des associations porteuses de cette expertise.
Enfin, les travaux de l’école de Francfort {Honneth, 2000, 2006 ; Voirol, 2009} nous conduisent, à travers l’analyse descriptive des entretiens, à ouvrir le débat engendré par ce déplacement du champ d’intervention de l’expertise profane, sur sa structuration et sa place dans la co-construction des politiques publiques.
>>> Cette présentation fait partie des interventions des Journées scientifiques 2010 des jeunes chercheurs en sciences sociales et VIH/sida. La première journée était consacrée à l’expertise profane dans la lutte contre le sida.
Bibliographie sélective
AKRICH M., MEADEL C., RABEHARISOA V. (2009), Se mobiliser pour la santé, Presses de l’Ecole des Mines, Paris.
BARBOT, J. (2002), Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, Paris, Balland.
BROQUA C, (2005), Agir pour ne pas mourir. Act Up, les homosexuels et le sida, Presses de la fondation nationale des sciences politiques.
BUTON F. (2005), « Sida et politique: Saisir les formes de la lutte », Revue française de science politique, vol. 55, octobre-décembre 2005, Presse de Sciences Po, p.787-810.
EPSTEIN S. (1996), Impure Science: AIDS, Activism, and the Politics of Knowledge, Berkeley : University of California Press.
FILLIEULE O., BROQUA C. (2000), Les associations de lutte contre le Sida. Approche des logiques de l’engagement à Aides et Act Up, Paris, rapport CEVIPOF/MIRE/Fondation de France.
GODINOT X. (dir.) (2008), Eradiquer la misère: Démocratie, mondialisation et droits de l’Homme, PUF.
GOFFMAN E. (1963), Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Edition de Minuit, 1975.
HONNETH A. (2000), La lutte pour la Reconnaissance, Cerf.
HONNETH A. (2006), La société du mépris. Vers une nouvelle théorie critique, Paris, La Découverte.
KOURILSKY P. (2009), Le temps de l’altruisme, Paris, Odile Jacob.
LAVILLE J-L. (2010), Politique de l’Association, Paris, Col. Economie Humaine, Seuil.
SINTOMER Y. (2008), «Du savoir d’usage au métier de citoyen?», Raisons politiques, n°31, p.115-133.
VOIROL O. (2009), «Les formes de l’invisibilité», Le temps philosophique, n°13, p.117-140.