L’objectif de ces 2 essais était d’évaluer si l’administration d’IL-2 apportait un bénéfice clinique à des patients infectés par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. sous antirétroviraux, avec des CD4 supérieurs ou inférieurs à 300 cellules/mm3 à l’entrée dans l’essai.
Le rationnel de ces essais était le suivant :
– avoir des chiffres de CD4 élevés diminue le risque de survenue de maladies opportunistes, d’évènements non SIDASida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. et de décès;
– L’IL-2 augmente les chiffres de lymphocytes T (LT) CD4 de façon durable. La question posée par ces essais : l’augmentation des LT CD4 dans ce contexte se traduit-elle par un bénéfice clinique ?
L’essai ESPRIT
Marcelo Losso (Argentine) a présenté les résultats de l’essai ESPRIT (Evaluation of Subcutaneous Proleukin in a Randomized International Trial)1Abstract 90a LB: M. Losso, D Abrams and INSIGHT ESPRIT Study Group. Effect of Interleukin-2 on Clinical Outcomes in Patients with a CD4+ Cell Count of 300/mm3: Primary Results of the ESPRIT Study. 2071 patients ont été inclus dans le groupe IL-2 (antirétroviraux + 3 cycles d’Interleukine 2). Des cycles supplémentaires d’IL-2 devaient être réalisés de façon à maintenir les CD4 à 2 fois la valeur à l’inclusion si les nombre de LT CD4 à l’inclusion étaient inférieurs à 500/mm3 ou à des chiffres supérieurs à 1000, si LT CD4 à l’inclusion étaient supérieurs à 500. 2040 patients ont été inclus dans le groupe Contrôle (traitement antirétroviral seul). Le suivi devait être poursuivi jusqu’à la survenue de 320 évènements primaires. Après un suivi moyen de 7 ans, 323 évènements primaires ont été observés dans l’essai.
Les «endpoints» majeurs étaient les maladies opportunistes ou le décès avec comme autre critère de jugement, les évènements indésirables de grade 4, les évènements sérieux non SIDA incluant les maladies rénales, cardiovasculaires, hépatiques, les cancers et les décès de cause non SIDA.
Les patients ont été recrutés sur 252 sites dans 25 pays couvrant tout le continent. Les caractéristiques à l’inclusion étaient tout à fait similaires dans les 2 groupes : âge moyen 41 ans, 19% de femmes, médiane des CD4 457/mm3, NadirNadir Chiffre indiquant la valeur minimale enregistrée de la charge virale ou des CD4. CD4 97, 80% des patients avaient une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. plasmatique inférieure ou égale à 500 copies, 26% avaient eu auparavant un événement SIDA, les patients étaient en médiane depuis 4.2 années sous antirétroviraux.
Une augmentation significative des chiffres de LT circulants CD4 a été notée dans le groupe IL-2 comparé au groupe Contrôle avec une différence moyenne de 160 cellules entre les 2 groupes ; cette différence s’est maintenue tout au long de l’essai. Il n’a pas été constaté de différence dans les 2 groupes entre le pourcentage de patients ayant une charge virale inférieure à 500 copies (qui était le seuil adopté dans cet essai).
Pas de différence
Il n’a pas été observé de différence dans la survenue du critère de jugement primaire (infections opportunistes ou décès) avec 158 évènements dans le groupe IL-2 soit un taux pour 100 personnes/année de 1.13 et 165 évènements dans le groupe Contrôle soit un taux pour 100 personnes/année de 1.21. Le « Hazard Ratio » (HR) (95% CI) était donc de 0.93 (0.75, 1.16). A noter que le HR attendu selon la différence des chiffres de CD4 entre les 2 groupes aurait dû être de 0.74.
Pour les autres évènements majeurs, pas de différence dans les décès entre les 2 groupes, dans la survenue d’évènements sérieux non SIDA. Par contre, une augmentation du nombre de patients ayant un événement indésirable de grade 4 : 446 dans le groupe IL-2 versus 383 dans le groupe Contrôle soit un HR à 1.23 (P = 0.003). Parmi les évènements indésirables de grade 4, les réactions générales et au site d’administration étaient significativement plus fréquentes dans le groupe IL-2 : 41 versus 21 dans le groupe Contrôle, HR = 1.12, P = 0.01 ; ceci était attendu… Par contre, il est à noter également une augmentation des évènements vasculaires, 40 évènements dans le groupe IL-2 versus 14 dans le groupe Contrôle soit un HR à 2.81 (P < 0.001). Ces événements vasculaires restent à analyser en détail.
Pas de bénéfice clinique
En conclusion, l’essai ESPRIT a montré que l’addition d’IL-2 à un traitement antirétroviral induisait une augmentation soutenue et substantielle des CD4 comparé à un traitement antirétroviral seul, mais que l’IL-2 n’apportait pas de bénéfice clinique supplémentaire au traitement antirétroviral. Par contre, l’addition d’IL-2 au traitement antirétroviral était associée à la survenue plus fréquente d’effets indésirables cliniques grade 4.
Le chiffre des LT CD4 circulants ne peut plus être considéré comme un marqueur de substitution pertinent de l’évolution clinique pour l’évaluation de l’immunothérapie par IL-2 et peut-être d’autres cytokines à visée thérapeutique telles que l’IL-7.
L’essai SILCAAT
Les résultats de l’essai de phase III SILCAAT qui évaluait l’administration d’IL-2 en association avec un traitement antirétroviral chez des patients dont les chiffres de LT CD4 à l’inclusion étaient compris entre 50 et 299 ont été présentés par Yves LEVY2Abstract 90b LB: Y. Levy and SILCAAT Scientific Committee. Effect of Interleukin-2 on Clinical Outcomes in Patients with CD4+ Cell Count 50 to 299/mm3: Primary Results of the SILCAAT Study.
Le rationnel était le même que celui de l’essai ESPRIT si ce n’est que SILCAAT s’adressait particulièrement aux patients ayant une réponse immunologique limitée alors même qu’ils avaient un contrôle virologique sous antirétroviraux.
849 patients ont été inclus dans le groupe IL-2 et ont reçu en combinaison avec le traitement antirétroviral 6 cycles d’Interleukine 2 puis des cycles additionnels pour maintenir si possible une augmentation moyenne de 150 cellules. 846 patients ont été inclus dans le groupe Contrôle sans IL-2. Il était prévu d’atteindre dans le suivi la survenue de 300 évènements primaires. Le suivi médian était de 7.6 ans et 227 évènements primaires seulement ont été observés durant ce délai.
Les critères de jugement majeurs étaient : critères primaires : infections opportunistes et décès, critères secondaires, mortalité quelle qu’en soit la cause, effets indésirables de grade 4. Les patients ont été majoritairement inclus en Europe mais 139 sites dans 11 pays ont participé au recrutement des patients. Les caractéristiques des patients étaient similaires dans les 2 groupes ; l’âge moyen était de 40 ans, 17% étaient des femmes, les CD4 médians à l’inclusion étaient de 202/mm3, le Nadir CD4 à 60/mm3, 81% des patients avaient une charge virale inférieure à 500 copies, 32.5% des patients avaient présenté un événement SIDA avant l’inclusion et enfin, le temps moyen sous traitement antirétroviral avant l’inclusion dans l’essai était de 4 ans.
Sept cycles d’interleukine
Les patients ont reçu en médiane 7 cycles d’Interleukine 2 ; 72% des patients ont reçu plus de 6 cycles d’IL-2. La différence moyenne des CD4 au cours des visites de suivi était de 59 cellules (P < 0.001) ; cette différence était plus nette dans les 2 premières années de suivi.
Il n’a pas été observé de différence entre la proportion de patients ayant une charge virale inférieure à 500 copies tout au long du suivi entre les 2 groupes, 31% des patients dans le groupe IL-2 versus 37% des patients du groupe Contrôle ont reçu une nouvelle classe d’antirétroviraux durant le suivi dans l’essai (P = 0.02).
Durant le suivi, ont été observés 109 évènements (infections opportunistes ou décès) dans le groupe IL-2 versus 118 dans le groupe Contrôle, ce qui correspond à un HR de 0.91 (0.7, 1.18), 81 patients sont décédés dans le groupe IL-2 versus 77 dans le groupe Contrôle ; HR = 1.06 (0.77, 1.44). Il n’a pas été observé de différence dans la survenue d’une infection opportuniste quelle qu’elle soit : 48 dans le groupe IL-2, 45 dans le groupe Contrôle – HR = 0.73 (0.5 – 1.06). Ces différences ne sont pas significatives. La survenue d’évènements de grade 4 était significativement plus élevée dans le groupe IL-2, mais, contrairement à l’essai ESPRIT, uniquement dans la première année de l’étude. Ces évènements étaient notamment gastro-intestinaux et psychiatriques.
Même conclusion: Pas de différence
L’analyse «poolée» des 2 essais ne montre pas de différence significative entre les 2 groupes sur la survenue d’une infection opportuniste ou de décès : 265 évènements sur 2920 patients dans le groupe IL-2 versus 283 sur 2886 dans le groupe Contrôle.
La conclusion de l’essai SILCAAT a été comme pour ESPRIT l’absence de bénéfice clinique apportée par l’IL-2 en association avec un traitement antirétroviral chez des patients infectés par le VIH sous antirétroviraux avec des LT CD4 inférieurs à 300 à l’inclusion.
Pourquoi?
Suite à ces résultats, une question reste posée : pourquoi n’observons nous pas une réduction des évènements SIDA et des décès sous IL-2 malgré une augmentation substantielle des LT CD4 ?
Parmi les explications possibles :
– Le fait que les LT CD4 qui s’expandent sous IL-2 ne sont pas fonctionnellement équivalents aux CD4 qui augmentent du fait de la suppression virale sous ARV. Une augmentation de lymphocytes T CD4 régulateurs est une des hypothèses.
– Il peut y avoir des effets délétères d’IL-2 qui contre balanceraient les effets potentiellement bénéfiques. Ceci reste à démontrer.
Les résultats de ces essais sont évidemment décevants et vont probablement conduire à l’arrêt du développement de l’Interleukine 2 dans l’infection par le VIH. Il reste à comprendre pourquoi l’augmentation des LT CD4 sous IL-2 ne se traduit pas par un bénéfice clinique. Ceci va conduire à remettre en question les résultats de fonctionnalité des LT CD4 obtenus dans les essais de phase II. On peut s’interroger à postériori sur le caractère trop ambitieux de ces essais qui ont voulu démontrer que l’IL-2 apportait un bénéfice clinique à tous les patients infectés par le VIH, sans sélection préalable de patients « candidats potentiels à l’IL-2 ».