Cet article a été publié dans Transcriptases n°141.
Le programme 2009 a vu certaines sessions céder plus à l’effet-mode qu’à la nouveauté scientifique, à l’image de la session 10 sur les nouveaux outils de réduction des risques sexuels. Là où d’autres attendaient d’hypothétiques résultats en termes de PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. qui ne viendront au mieux qu’en 2010. Sharon Hillier (CO #19) a néanmoins dressé les fonds baptismaux de cette recherche préventive pré-exposition en présentant notamment le design de l’essai IPrEx, mené sous les bons hospices de la fondation Bill Gates sur 11 sites, quatre continents, avec la participation de 3000 MSM à «haut risque VIH» et présenté comme «le seul essai d’efficacité chez les gays». D’autres études de PrEP étant menées sur d’autres populations, telles que les femmes : CAPRISA 0004, FEM PrEP, VOICE study pour «Vaginal and Oral Intervention to control the Epidemy»… Dans l’attente, on a dû se contenter de mises à jour sur des outils – ou non-outils – connus dans la prévention du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Outils/non-outils dont certaines des données sont publiées depuis plus d’un an, quand ce n’est pas depuis huit années pour ce qui est des études sur les couples sérodiscordants dans la province de Rakai (Ouganda). Avec en filigrane la question de la transmission (hétéro)sexuelle et l’échec actuel des microbicides. Même si, comme cela a été rappelé à cette CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. on est en train de passer des produits «non efficaces voire toxiques» (nonoxynol 9) à ceux «moins efficaces qu’attendu».
A noter néanmoins sur le front des gels microbicides deux points issus de l’essai HPTN 035 invité en late breaker (#48 LB) qui méritent attention : 1) L’observance est une donnée sans doute majeure des études de prévention sexuelle. Ainsi dans l’étude Caraguard, l’utilisation d’un «mouchard» électronique contrôlant l’ouverture du tube de gel de microbicide a montré un écart saisissant entre utilisation contrôlée (42%) et utilisation «self-reported» (96%) ! Sans que l’on sache précisément d’où viendrait ce «gap» et le mensonge qui l’accompagne : sous-utilisation du gel ou sur-déclaration des relations sexuelles ? 2) On a sans doute sous-estimé que l’insuffisance de l’utilisation des microbicides masque, dans les pays du Sud, un autre problème, celui des grossesses observées durant les essais de microbicides : 44/100 personnes année dans un essai conduit au Ghana. D’où la nécessité de développer des barrières génitales pour les femmes qui puissent être utilisées en cas de grossesse.
Omniprésence de la neurologie
Autre effet de mode, le poids US en plus, pour ce qui est de l’omniprésence dans cette CROI 2009 de la neurologie. Plus précisément il s’agissait des «troubles cognitifs» et d’une lecture très américaine, si ce n’est très «pensée unique», de la survenue (croissante ?!) des troubles cognitifs au cours de l’infection à VIH. Pour mémoire (!), les critères Charter qui classent les molécules antirétrovirales en trois scores – zéro, 0,5 ou 1 – en fonction de leur degré de passage dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) ont, depuis la CROI 2008, tant et tant agité les prescripteurs, les personnes atteintes et plus encore les industriels du médicament antirétroviral. A commencer par les firmes des molécules classées «zéro» ! Autant critiqué qu’utilisé, ce fameux score de Charter/Letendre vaut depuis à son inventeur, Scott Letendre, de faire le tour du monde pour le présenter. Mais la neuro-VIH, malgré plus de quatre sessions et une multitude de posters est bien complexe. Et l’épreuve du temps est parfois cruelle puisque sont parus depuis dans AIDS les résultats tant attendus de l’essai ACTGACTG Aids Clinical Trials Group, l’organisation américaine des centres de soins et d’essais cliniques sur le sida. https://actgnetwork.org/ 7361Marra CM et al., «Impact of combination antiretroviral therapy on cerebrospinal fluid HIV RNA and neurocognitive performance», AIDS, 2009, 23, 11, 1359-66, cosignés par le même Scott Letendre, et où il apparaît en conclusion que si les neuro-HAART, celles qui présentent précisément un bon score de pénétration dans le LCR, permettent bien de mieux contrôler la charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. intrathécale (dans le LCR), il n’y a aucune corrélation avec le contrôle des troubles neuro-cognitifs ! Donc une certaine prise de position négative quant à la question de savoir si la classification Charter a le moindre impact clinique.
Les grands essais thérapeutiques randomisés ont été – si l’on fait abstraction de la suite et fin des essais cliniques menés avec l’IL2 – boutés en posters. Soit qu’il s’agisse de sous-études (EASIER, ARTEMIS, STARTMRK…) soit qu’il s’agisse de résultats à la semaine 96 (BENCHMRK, STEAL…). Pour les pays du Sud, la CROI est désormais dans le concept de réalité avec une session spécifique centrée sur les traitements de deuxième ligne en Afrique ; session africaine, certes, mais totalement anglophone (Afrique du Sud, Kenya, Zambie, Ouganda…). Nord et Sud trouveront néanmoins leur compte dans les sessions dévolues à l’enfant (qui grandit avec le VIH), à la grossesse sous antirétroviraux (tenofovir, atazanavir…), et au passage de ces molécules dans le lait maternel comme possible outil de prévention.
Reste que cette CROI 2009, au-delà du clin d’oeil à la francophonie, sera aussi celle d’un peu d’humilité : c’est si rare de ce côté de l’Atlantique… Une session y est en effet consacrée aux «Learning from negative trials». C’est dire.
Antirétroviraux et toxicité
Pour ceux qui se penchent plus précisément sur les antirétroviraux et leur toxicité, cela va être de plus en plus complexe ! Complexe à interpréter d’abord, complexe pour les personnes atteintes et traitées, complexe pour les prescripteurs, complexe pour les experts qui doivent émettre des recommandations, complexe pour les laboratoires impliqués, complexe pour les agences d’évaluation… Et la récente mise à jour du rapport d’experts 2008, dit rapport Yeni, n’atteste que très partiellement de cette complexité là. D’où une affluence des grands jours dans la salle 710, plus remplie que pour un match de hockey local, les pom-pom girls en moins. Si l’on exclut une présentation de pharmacocinétique sans intérêt, plusieurs «matchs» semblaient se jouer, là, dans cette session à guichet fermé. Celui de deux grandes cohortes tout d’abord : DAD sorti de la confidentialité des posters de la CROI 2008 d’une part et notre french cohort DMI2 (FHDH) d’autre part. En filigrane une question qui semblait monopoliser toute l’attention : la FHDH viendrait-elle contredire la DAD study sur le risque d’infarctus du myocarde accru sous exposition récente à l’abacavir ? En fait non ! Globalement, les deux études cas-contrôles épinglent un risque accru pour l’exposition à deux nucléosidiques et à deux inhibiteurs de protéases. Même si à la marge les résultats sont différents. Mais pour peu émergerait en post CROI 2009 un discours commun pour la prise en charge des troubles cognitifs, des facteurs de risques cardio-vasculaires et même des troubles hépatiques : tout cela est multifactoriel et commençons par «balayer» les facteurs de risques objectifs et corrigibles avant de se pencher sur le rôle éventuel des antirétroviraux. Ici dans le neuro-cognitif on peut citer comme facteurs indiscutables de vieillissement cérébral les toxiques, l’alcool, l’hyperinsulinisme, le VHC, etc., là dans le cardio-vasculaire le tabac, l’inactivité, le BMI, les dyslipidémies…
Autre match, celui qui opposait les présentations sur l’altération de la fonction rénale en début de session versus les deux communications sur le risque cardio-vasculaire : qu’est-ce qui a le plus d’impact clinique ? Chacun, en la matière, était sans doute venu avec ses bébittes2«préjugés» en québécois. Le principe de précaution – spécialité ô combien française – qui voudrait que l’on «écarte», faute de preuves tangibles ou dans l’attente d’études complémentaires qui peuvent ne jamais arriver, les molécules présentant un risque accru pour le myocarde devrait en effet logiquement s’étendre à celles qui favorisent l’altération des fonctions rénales, la dyslipidémie, le syndrome métabolique, la lipodystrophie, la stéatose hépatique, les troubles cognitifs, l’ostéomalacie, le vieillissement accéléré, la baisse de la libido… etc. En clair, à la sortie de la dite session 9 et des posters qui pullulaient sur les troubles cognitifs ou les atteintes rénales, une seule question : que restait-il à prescrire ?
NB : ce texte reprend en partie la chronique tenue quotidiennement par l’auteur sur le site de la Lettre de l’Infectiologue en partenariat avec BMS