Un article visant à évaluer l’intérêt d’une telle stratégie a récemment été publié dans le CID par David Paltiel et ses collaborateurs de l’université de Yale1Paltiel AD, Freedberg KA, Scott CA, Schackman BR, Losina E, Wang B, et al. HIV preexposure prophylaxis in the United States: impact on lifetime infection risk, clinical outcomes, and cost-effectiveness. Clin Infect Dis. 2009 Mar 15;48(6):806-15.. Les auteurs ont utilisé pour ce faire une modélisation informatique2modélisation de Monte-Carlo consistant à répéter un grand nombre de fois une expérience, de façon indépendante, pour obtenir une approximation de plus en plus fiable du phénomène observé afin d’évaluer l’efficacité d’une PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. par Tenofovir et Emtricitabine (TRUVADA®) à réduire le taux d’infection par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. au sein d’une population cible à haut risque.
Un modèle intéressant
Pour cette simulation, les auteurs ont ciblé une population d’hommes aux Etats-Unis, ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) âgés en moyenne de 34 ans et à haut risque d’infection (incidence moyenne annuelle de 1,6%). Ce modèle est intéressant car il tient compte de l’histoire naturelle de l’infection par le VIH et ses différentes stratégies en cas d’échec de la PrEP, du risque de survenue de résistance au traitement en cas d’infection sous PrEP (estimé à 5% par les auteurs), d’une modification et d’une désinhibition éventuelle des comportement (modélisée par un échec de la PrEP) et du cout des différents scénarios.
L’efficacité présumée de la PrEP dans cette étude à été fixée à 50% par les auteurs qui se sont basés sur deux précédentes études. Une première étude expérimentale en 2008 sur des singes macaques et qui concluait à une efficacité d’une PrEP de 3 jours par Tenofovir-Emtricitabine de 50 %3Garcia-Lerma JG, Otten RA, Qari SH, Jackson E, Cong ME, Masciotra S, et al. Prevention of rectal SHIV transmission in macaques by daily or intermittent prophylaxis with emtricitabine and tenofovir. PLoS Med. 2008 Feb;5(2):e28. et un essai multicentrique très controversé conduit en Afrique de l’Ouest entre 2004 et 2006, chez des femmes à haut risque, concluant à une efficacité de 65% d’une PrEP par Tenofovir seul, mais chez un petit nombre de femmes et donc non significatif4Peterson L, Taylor D, Roddy R, Belai G, Phillips P, Nanda K, et al. Tenofovir disoproxil fumarate for prevention of HIV infection in women: a phase 2, double-blind, randomized, placebo-controlled trial. PLoS Clin Trials. 2007;2(5):e27..
Quel impact pour la PrEP
Dans cette étude, David Paltiel cherche à évaluer l’impact d’une PrEP par Tenofovir-Emtricitabine en termes d’augmentation d’espérance de vie dans cette population à haut risque, de réduction du taux d’infection par le VIH tout au long de leur vie mais aussi en termes de coût-efficacité.
Le coût d’une PrEP par Tenofovir-Emtricitabine a été évalué par les auteurs à 724 US$ par mois soit 520 Euros. L’efficacité a été définie par le calcul de QALYs gagnés (Quality Adjusted Life Year ou année de vie ajustée par sa qualité). Un QALY est une mesure de l’utilité perçue par les patients d’une action médicale qui correspond à une année de vie gagnée. Une année en bonne santé correspond à un QALY de 1. Un seuil de 59.000 US$ par QALY gagné (rapport coût-efficacité d’une dialyse) est habituellement choisi pour déterminer si une action médicale est « coût-efficace » ou non.
Un rapport coût-efficacité élevé
Dans cette population d’hommes à haut risque d’infection par le VIH, la PrEP réduit le risque d’infection par le VIH au cours de leur vie de 44 à 25% pour un gain d’espérance de vie moyen de moins d’un an (de 39,9 à 40,7 ans). Toutefois cette stratégie dépasse la plupart des normes de coût-efficacité des interventions sanitaires.
En effet, en cas de PrEP le coût annuel est de 232 700 US $ contre 81 000 sans, soit un rapport coût-efficacité de 298 000 U $ par QALY gagné.
Si à l’avenir il s’avérait que son efficacité était de 90%, la PrEP pourrait être une solution rentable en termes de prévention (risque d’infection par le VIH réduit de 44 à 60%), et de même si son coût était réduit de moitié. De plus, une PrEP par Tenofovir-Emtricitabine pourrait être coût-efficace et intéressante dans une population plus jeune (20 ans en moyenne) ou avec une plus grande incidence d’infection par le VIH (2,4%).
Une solution peu attractive en l’état actuel
En conclusion, cette étude suggère qu’une PrEP par Tenofovir-Emtricitabine pourrait réduire sensiblement l’incidence de la transmission du VIH dans les populations à haut risque d’infection par le VIH aux États-Unis.
Les auteurs concluent que bien qu’en l’état actuel des connaissances, cette stratégie se relève être peu attractive, une réduction de son prix et/ou l’augmentation de son efficacité pourrait faire de la PrEP une option rentable dans des populations plus jeunes ou les populations à risque plus élevé d’infection.
La désinhibition des conduites sexuelles en question
Bien que les auteurs aient modélisé une possible désinhibition des conduites sexuelles liées à l’utilisation d’une PrEP (comme diminuant son efficacité), qu’en sera-t-il de l’impact d’une telle désinhibition sur l’incidence des autres maladies sexuellement transmissible dans cette population cible (Syphilis, Chlamydia..)?
Une étude similaire avait précédemment modélisé l’impact d’une PrEP dans une population hétérosexuelle d’Afrique sub-saharienne5Abbas UL, Anderson RM, Mellors JW. Potential impact of antiretroviral chemoprophylaxis on HIV-1 transmission in resource-limited settings. PLoS One. 2007;2(9):e875.. Elle rapportait des résultats similaires en termes de réduction du risque de transmission pour une efficacité de la PrEP supposée de 90%. Mais compte tenu du risque de désinhibition des comportements et du risque d’émergence de virus résistant (les sous types viraux, l’accès aux traitements n’étant pas les mêmes que dans les pays du nord), ce bénéfice disparait pour une efficacité de la PrEP inférieure ou égale à 50%.
Par ailleurs, ces deux études ne tiennent pas compte d’un possible impact d’une prophylaxie par Tenofovir-Emtricitabine chez d’éventuels patients co-infectés par le VIH et l’hépatite B. David Paltiel propose donc la réalisation d’une sérologie hépatite B chez toute personne éligible à une PrEP.
Une véritable attente
Une étude récente conduite à Boston auprès de 227 HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. non infectés par le VIH6Mimiaga MJ, Case P, Johnson CV, Safren SA, Mayer KH. Preexposure antiretroviral prophylaxis attitudes in high-risk Boston area men who report having sex with men: limited knowledge and experience but potential for increased utilization after education. J Acquir Immune Defic Syndr. 2009 Jan 1;50(1):77-83., révèle de 74% d’entre eux ont déjà eu l’intention d’utiliser une PrEP sans en connaître les modes d’action et les effets secondaires. La plupart des études concernant la PrEP sont basées sur des modélisations de son impact et la faisabilité d’une telle stratégie. Jusqu’à présent, les seuls essais réalisés concluent à une efficacité d’une PrEP par Tenofovir plus proche de 50 que de 90%7Garcia-Lerma JG, Otten RA, Qari SH, Jackson E, Cong ME, Masciotra S, et al. Prevention of rectal SHIV transmission in macaques by daily or intermittent prophylaxis with emtricitabine and tenofovir. PLoS Med. 2008 Feb;5(2):e28.8Peterson L, Taylor D, Roddy R, Belai G, Phillips P, Nanda K, et al. Tenofovir disoproxil fumarate for prevention of HIV infection in women: a phase 2, double-blind, randomized, placebo-controlled trial. PLoS Clin Trials. 2007;2(5):e27. et des essais complémentaires chez l’homme sont nécessaires avant de pouvoir recommander l’utilisation de PrEP à large échelle. Cette décision devra tenir compte des arguments pharmaco-économiques de cette étude notamment (comme le ratio coût-efficacité d’une telle stratégie) mais aussi considérer le bénéfice individuel d’une telle stratégie si elle s’avérait efficace.