Cet article a été publié dans Transcriptases n°126.
Le pentecôtisme compte 320 millions de fidèles dans le monde. Au Ghana, les autorités pentecôtistes ont décidé instaurer l’obligation du test de dépistage du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. pour les couples désirant se marier au sein d’une église pentecôtiste. Pourtant, selon l’Onusida, les politiques de prévention contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. doivent éviter d’engager des mesures punitives ou coercitives à l’égard des individus. Selon la perspective des auteurs de l’article, rendre obligatoire le test prénuptial de dépistage au VIH/sida, sous peine d’impossibilité de se marier dans l’église de son choix, est une violation des droits des individus. La Commission nationale ghanéenne de lutte contre le sida (GNAAC) a fortement condamné la décision des églises de faire du test au VIH une obligation pour les couples désirant se marier, et a obtenu gain de cause. Un article paru dans Social science and medicine revient sur les conditions de cette évolution au sein des églises pentecôtistes, et sur les rapports qu’entretiennent les croyances religieuses et les droits de l’homme dans la construction des stratégies choisies par les églises pour lutter contre le sida.
Entretiens
Les auteurs de l’article envisagent les politiques ou programmes de lutte contre le VIH/sida dans une perspective culturaliste. Ils rappellent que le Ghana a connu, ces dernières décennies, une résurgence des religions chrétiennes. Une enquête internationale, réalisée en 2000, indique que 98% des Ghanéens disent appartenir à une dénomination religieuse, et 82% d’entre eux déclarent se rendre régulièrement dans une église.
Pour saisir la manière dont des églises pentecôtistes tentent d’ajuster leurs croyances (abstinence sexuelle avant le mariage, absence de recours au préservatif…) aux droits de l’homme, les auteurs de l’article ont réalisé une enquête de terrain, en mai et juin 2003, auprès de pasteurs, conseillers conjugaux et membres d’églises pentecôtistes. Cette étude qualitative s’inscrit dans un programme de recherche plus vaste sur le rôle des églises dans la prévention et au Ghana.
L’enquête de terrain a été menée auprès de quarante-quatre personnes : six pasteurs (cinq hommes et une femme), sept conseillers conjugaux (quatre hommes et trois femmes), et trente et un membres d’églises pentecôtistes (quinze femmes et seize hommes). Alors que pasteurs et conseillers conjugaux ont fait l’objet d’un entretien individuel, les membres des églises (les fidèles) ont été interviewés dans un cadre collectif (entretiens de groupe). Les chercheurs avaient sélectionné quatre thématiques : les facteurs qui ont favorisé l’obligation du test au VIH pour les couples souhaitant se marier au sein d’églises pentecôtistes ; la perception qu’ont ces églises du test au VIH, obligatoire et volontaire, et ce au regard des droits de l’homme ; les différences régionales dans la manière d’envisager le test prénuptial au VIH, et la gestion de la confidentialité des résultats du test au VIH.
Obligation
Comme le rapporte un pasteur lors des entretiens, les églises pentecôtistes ont décidé d’imposer l’obligation du test VIH pour les couples désirant se marier à l’église en apprenant, lors d’une conférence donnée par un expert, qu’il y avait 200 contaminations par jour au Ghana. L’objectif de l’obligation de test prénuptial étant d’éviter des contaminations. Une fidèle, membre d’une église pentecôtiste, rappelle qu’en pratique cette obligation a signifié qu’en l’absence de certificat médical, le mariage à l’église était refusé.
Les pasteurs ou conseillers conjugaux ne perçoivent pas l’obligation de dépistage prénuptial comme discriminante à l’égard des séropositifs. L’un d’entre eux explique que face à l’étendue et à la progression de l’épidémie, il est impossible de ne rien faire ; chacun doit être responsable de ses actes, et l’église doit tenter de sauver des hommes et des femmes qu’il qualifie d’ »innocents ». Les auteurs rappellent que les leaders religieux envisagent l’abstinence sexuelle comme la méthode la plus efficace pour lutter contre la propagation du VIH, et sont contre le recours au préservatif.
Deux questions se posent quand le test au VIH s’avère positif. Un pasteur raconte qu’il a déconseillé à un couple de se marier car l’un des deux était séropositifSéropositif Se dit d’un sujet dont le sérum contient des anticorps spécifiques dirigés contre un agent infectieux (toxo-plasme, rubéole, CMV, VIH, VHB, VHC). Terme employé, en langage courant, pour désigner une personne vivant avec le VIH. De manière plus globale, les pasteurs s’estiment mal préparés pour gérer ces cas de figure, et souhaitent avoir un soutien du gouvernement. La seconde question soulevée, quand le test s’avère positif, est celle de la confidentialité des résultats.
Evolution
Face aux réactions du GNAAC (Commission nationale ghanéenne de lutte contre le sida), les églises pentecôtistes ont fait du test obligatoire un test volontaire. Dès lors, un mariage peut avoir lieu sans le test, mais, précise un pasteur, celui-ci est fortement encouragé par l’église. Et, relèvent les auteurs, le volontariat, en l’espèce, est ambigu ; toute personne qui souhaite se marier se sent contrainte de se faire dépister.
Adopter une perspective culturaliste paraît intéressante pour analyser les spécificités d’un pays donné, mais ici son inscription dans un cadre socio-politique fait défaut. On aurait aimé que les auteurs s’interrogent sur l’absence de changement en matière de comportement sexuel, et ce au regard des politiques engagées par l’Etat ghanéen pour lutter contre la propagation du VIH/sida. Par ailleurs, si la méthodologie de cet article est intéressante, on aurait aimé que la réflexion sur le pentecôtisme soit approfondie, son influence, ses modes de fonctionnement.