Grande-Bretagne — Banaliser le dépistage pour éviter les dépistages tardifs
Une enquête nationale anglaise révèle la relative faiblesse du recours spontané au test de dépistage du VIH. La forte corrélation relevée entre comportements à risque et dépistage est interprétée par les auteurs dans le sens d’une insuffisante normalisation du test, alors que, depuis 2001, les autorités britanniques redoublent d’efforts pour limiter les dépistages tardifs.
Le Royaume-Uni connaît un taux de prévalence de l’infection à VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. moindre que ses principaux voisins d’Europe de l’Ouest. Pour autant, la stratégie de contrôle de l’épidémie par un large accès au dépistage volontaire semble y avoir été moins développée qu’en France notamment. Motivées par le grand nombre d’infections non diagnostiquées dans le pays, dont la prévalence a été estimée à 31%, et par un inquiétant taux d’infections néonatales, les autorités britanniques ont réorienté leur politique de dépistage en 2001. Elles ont fixé comme objectif d’améliorer l’offre et le recours au test, jusqu’alors relativement ciblés sur les groupes ou sous-populations à risque élevé, ou sur les centres urbains à plus fortes prévalences.
Dans ce contexte, l’article de McGarrigle et al. offre l’intérêt de fournir une estimation de la prévalence du recours au test VIH dans la population générale britannique, et d’identifier les comportements à risque associés. Les données sont issues de l’enquête NatSAL (National Survey of Sexual Attitudes and Lifestyles) réalisée entre 1999 et 2001, donc avant, voire pendant, la mise en place de cette nouvelle politique concernant le dépistage. Les participants représentent un échantillon stratifié de 12110 personnes âgées de 16 à 44 ans, issues d’une population générale. Les données déclaratives concernent l’historique de dépistage VIH (ont-ils déjà été testé pour le VIH, et de quand date le dernier test), les raisons de recourir à un test, le site pour le réaliser, et l’(auto)appréciation du risque d’être infecté par le VIH. Cette enquête trouve son équivalent en France dans l’enquête sur le comportements sexuels des français publiée en 19931Spira A, Bajos N Les comportements sexuels en France, La documentation française, 1993, à quelques différences méthodologiques près (étendue d’âge des participants et mode d’interview). Des éléments de comparaison existent également avec les données sur le dépistage de l’enquête KABPKABP Les enquêtes KABP (Knowledge, attitudes, beliefs and practices) sur les connaissances, les attitudes, les croyances, et les comportements face au VIH de la population générale adulte vivant en France et en Ile-de-France ont été répétées depuis 1992, environ tous les trois ans, en 1992, 1994, 1998, 2001 et 2004, puis en 2011. Elles fournissent aux pouvoirs publics, à intervalles réguliers, des informations leur permettant d’orienter les politiques de lutte contre le VIH/sida. 20012Les connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH/sida en France Observatoire régional de santé d’Ile-de-France, 2001.
Peu de recours volontaire
Globalement, 32% des participants déclarent avoir eu au moins un test dans leur vie, et 24% déclarent avoir eu au moins un test dans les cinq ans. La majorité des tests ont été réalisés dans le cadre de dons de sang, et pour 17% des femmes dans le cadre du suivi de grossesse. En conséquence, les hommes sont plus nombreux à déclarer d’autres motifs du recours au dernier test, tel un bilan de santé, ou le fait de se sentir à risque. Par la suite, les auteurs ayant considéré uniquement les tests issus d’une démarche volontaire, l’analyse multivariée excluait les tests réalisés dans le cadre de dépistages systématiques, à savoir dons de sang et dépistage anténatal. La mise en regard du recours au test VIH et des comportements à risque ne concernait donc que les 8 à 10% d’hommes et 4 à 5% de femmes ayant choisi de faire un test en Grande-Bretagne au cours des cinq années passées.
L’enquête montre que certaines caractéristiques démographiques telles que la résidence dans le grand Londres, l’âge supérieur à 25 ans, et l’ethnie noire africaine sont associés à un plus grand recours au test. Les facteurs de risques comportementaux ajustés sur les variables démographiques et associés au recours au test étaient pour les deux sexes: le grand nombre de partenaires sexuels, un antécédent d’infection sexuellement transmissible (IST), avoir eu un partenaire sexuel étranger, des relations homosexuelles masculines, et avoir consommé de la drogue par injection. On peut se demander si le fait d’exclure les tests réalisés dans le cadre de dons de sang et du dépistage anténatal permet réellement d’isoler les dépistages volontaires. En effet, d’autres circonstances d’un dépistage peu ou pas décidé par la personne, peuvent être incluses dans l’analyse. C’est le cas des tests demandés par une compagnie d’assurance ou de prêts, et d’un certain nombre de bilans réalisés à l’occasion d’une demande de soins sans rapport avec le VIH. Si l’analyse ne tient pas compte de ces motifs de dépistage, et rien ne l’indique, la relation recherchée entre recours au test et comportements à risque ou facteurs démographiques s’en trouve faussée.
Perception du risque
Les cliniques de prise en charge des ISTIST Infections sexuellement transmissibles. sont le plus souvent citées pour la réalisation des tests par les femmes (44%), les hommes (34%) et particulièrement les homosexuels masculins (52%). La consultation de médecine générale représente le deuxième « site » de dépistage, et le troisième est constitué par les « autres sites » que les auteurs ne citent pas.
Chez les hommes comme chez les femmes, les personnes qui se considérent le plus à risque déclarent plus souvent avoir eu recours au test. Cependant, cette relation entre perception du risque et recours au test n’est pas retrouvée chez les homosexuels masculins, dont 36% en moyenne déclarent avoir été testés dans les cinq ans. Le statut sérologique n’étant pas recueilli, la perception du risque peut être influencée par la séropositivité sans que l’on puisse le distinguer. Les auteurs citent ce fait comme pouvant expliquer l’absence de relation entre perception du risque et recours au test dans la population homosexuelle masculine.
L’intérêt d’avoir des résultats d’une enquête par sondage de ce type est de disposer d’estimations applicables à la population générale. La raffinement de cette enquête est également de sur-échantillonner les populations urbaines et les minorités ethniques de façon à obtenir des estimations précises dans ces groupes particuliers et en faible nombre parmi la population.
Banaliser le test
A la lecture de cet article, on mesure la différence de situation vis-à-vis du dépistage entre la France et la Grande-Bretagne. En effet, cet état des lieux sur le dépistage en Grande-Bretagne montre que « seulement » un tiers de la population a été testé (24% dans les 5 ans) et que moins de 10% l’ont été de leur propre initiative. En France, la prévalence du dépistage semble supérieure avec, en 2001, 46% de personnes ayant effectué un test et 30% l’ayant réalisé dans les cinq ans3Les connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH/sida en France Observatoire régional de santé d’Ile-de-France, 2001.
Mais surtout, l’article le montre, plus de la majorité (61%) des tests réalisés en Grande-Bretagne ont pour motif le don de sang, et le recours volontaire à un dépistage est ainsi en retrait dans ce pays. L’article, hormis une comparaison des chiffres de prévalence du dépistage avec des pays anglo-saxons, ne met pas réellement ses résultats en perspectives. Pourtant, par plusieurs aspects, cet article révèle les conséquences du manque d’engagement du Royaume-Uni, durant les années 1990, dans le dépistage comme composante du contrôle de l’épidémie. Comme l’expliquait en 1998 un des auteurs de l’article4De Cock KM, Johnson AM « From exceptionalism to normalisation : a reappraisal of attitudes and practice around HIV testing » BMJ, 1998, 316(7127), 290-3, c’est le caractère exceptionnel qui a été attribué à cette maladie qui a fortement influencé les choix de politique publique du pays, et un réajustement qui passait par une normalisation du dépistage était nécessaire. Aujourd’hui encore, le modèle de prévention de la transmission du VIH par le dépistage volontaire est mis en question, avec la mise en place de tests rapides, la remise en cause de l’entretien pré-test et de la stratégie de ciblage des risques, aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni.