IPERGAY: 
Le premier essai de prévention pré-exposition du VIH pour les Gays en France

L’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) s’apprête à lancer, en janvier 2012, un essai d’intervention en prévention auprès des gays et des hommes séronégatifs ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH). L’essai ANRS IPERGAY (Intervention Préventive de l’Exposition aux Risques avec et pour les Gays) déterminera si un traitement antirétroviral pris durant la période d’activité sexuelle associé à une stratégie globale et renforcée de prévention, peut réduire le risque d’être infecté par le VIH.

Trente ans après le début de l’épidémie de sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. une nouvelle page est en train de se tourner dans le domaine de la recherche en prévention en Europe. L’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites (ANRS) consacre un essai à la prévention de la transmission du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. chez les gays et les hommes séronégatifs ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH) en testant l’efficacité d’un traitement antirétroviral intermittent, associé à une stratégie globale et renforcée de prévention.

L’objectif de l’essai ANRS IPERGAY (Intervention Préventive de l’Exposition aux Risques avec et pour les Gays) est de démontrer que cette stratégie peut permettre de réduire le risque d’infection par le VIH.

Pourquoi cet essai ?

Face à l’émergence de l’épidémie de sida, les gays et les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  ont été les premiers à se mobiliser au début des années 80 et ont adopté très rapidement des mesures de prévention. Cette population est aujourd’hui celle qui, en France, a le plus souvent recours au dépistage du VIH et qui utilise le plus les préservatifs. Selon la dernière enquête Presse Gay INVS/ANRS, réalisée en 2004, 67% des HSH interrogés déclarent utiliser un préservatif lors de tous leurs rapports sexuels avec des partenaires occasionnels. Selon la même enquête, 86% déclarent s’être fait dépister au moins une fois dans leur vie. En région parisienne, selon l’enquête Prevagay INVS/ANRS de 2009, ce chiffre est de 92%. Les gays sont, parmi les nouveaux séropositifs, dépistés plus tôt et rarement au stade sida.

Toutes les données nationales et internationales attestent néanmoins de la transformation des comportements préventifs depuis près de 15 ans dans cette population. On observe une augmentation des comportements à risque dans la plupart des pays du Nord chez les gays séronégatifs et séropositifs. En France, les enquêtes Presse Gay INVS/ANRS révèlent une augmentation du nombre moyen de partenaires, de pénétrations anales non protégées avec les partenaires stables ou occasionnels. Ces modifications se sont accompagnées d’une hausse de l’incidence du VIH ou d’une stabilisation à un niveau élevé, selon les pays, de nouveaux cas d’infection dans la population des gays et des HSH. Celle-ci est aujourd’hui la plus touchée par l’infection dans les pays industrialisés.

En France, selon l’Enquête Presse Gay INVS/ANRS, 33% des répondants ont eu au moins une pénétration anale non protégée par préservatif avec des partenaires occasionnels dans l’année. En 2010, selon l’INVS, parmi les 6300 nouveaux cas de VIH diagnostiqués dans l’année, 40 % sont des HSH.

Ces chiffres démontrent, trente ans après le début de l’épidémie, que le maintien à un haut niveau de la prévention chez les gays et les HSH s’accompagne aussi de difficultés pour certains à se protéger toujours et tout le temps. Selon Bruno Spire, président de Aides, association impliquée dans l’élaboration et la mise en place de l’essai ANRS IPERGAY, « il est difficile de se protéger systématiquement dans tous ses rapports, avec tous ses partenaires, dans toutes ses pratiques, durant des années, voire toute sa vie ».

Le choix de réaliser l’essai ANRS IPERGAY dans la population gay et HSH répond donc à un impératif de santé publique. Selon le Pr Jean-Michel Molina, Université de Paris 7 Diderot et Hôpital Saint-Louis, responsable scientifique de l’essai ANRS IPERGAY : «Tout doit être fait pour diminuer le nombre de nouvelles contaminations par le VIH dans les populations les plus exposées».

Parmi les pistes de recherches les plus prometteuses figure la prévention par le traitement antirétroviral (la « prophylaxie pré-exposition » ou Prep). C’est dans ce cadre que se situe le projet d’essai de l’ANRS : IPERGAY. 

Les antirétroviraux en prévention, c’est nouveau ?

Les antirétroviraux ne sont pas uniquement efficaces pour soigner les personnes séropositives. Ils ont également, dans certaines circonstances, des effets préventifs. Depuis 1994, ils sont utilisés avec succès pour limiter la transmission du VIH de la mère infectée à son enfant au moment de la grossesse et de l’accouchement. On y a également recours dans le traitement d’urgence post-exposition (TPE) après un rapport sexuel non protégé avec une personne séropositive ou de statut sérologique inconnu.

L’utilisation des antirétroviraux en prévention pourrait-elle être encore élargie ?

Présentés à la conférence mondiale sur le sida, à Vienne, en juillet 2010, les résultats de l’essai Caprisa 004, mené en Afrique du Sud, chez 899 femmes, ont montré que l’utilisation d’un gel contenant un antirétroviral, le tenofovir (Truvada®), réduisait de 39% le risque d’infection par le VIH par rapport au placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.)

L’essai Iprex1Iprex a été mené par le National Institute of Health américain, avec le financement de la fondation Bill et Melinda Gates, et s’est déroulé à partir de 2004  au Pérou, au Brésil, en Équateur, aux États-Unis, en Afrique du Sud et en Thaïlande., mené principalement en Amérique du Sud et en Thaïlande, est la seule étude d’efficacité du traitement pré-exposition jamais menée chez des gays et des HSH séronégatifs. Ses résultats, rendus publics fin 2010, ont montré que le risque de contamination par le VIH était réduit en moyenne de 44% chez les volontaires de l’étude qui prenaient tous les jours un traitement par Truvada® (Ténofovir + FTC), par rapport à ceux qui prenaient un placebo. Cette réduction semblait de surcroît beaucoup plus importante lorsque le médicament était détectable dans le sang. L’efficacité semble donc directement liée à la prise du traitement sans oubli.

D’autres essais ont également démontré que la PrepPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. pouvait constituer une approche pour prévenir la contamination par le VIH chez des personnes exposées. Ainsi, l’essai Partners/Prep et TDF2 ont montré, chez des couples hétérosexuels de statut sérologique différent, des protections de 67 et 78% contre le VIH avec un comprimé quotidien de Ténofovir avec ou sans FTC. En revanche, d’autres études ont montré des résultats négatifs. Il en est ainsi de FEM-Prep mené chez des femmes exposées (une prise orale quotidienne de Truvada dans un bras vs placebo), qui a dû être arrêté en raison du nombre égal de contaminations dans les deux bras. L’essai VOICE n’a pas non plus réussi à protéger de l’infection  les femmes  qui utilisaient les antirétroviraux sous forme de gel.

Pour le Pr Gilles Pialoux (Hôpital Tenon), co-responsable de l’essai ANRS IPERGAY, «Ces résultats confortent la nécessité de poursuivre la recherche sur la Prep, dans les groupes les plus exposés ». Il ajoute : «La preuve de l’efficacité de la Prep pour les HSH européens manque toujours à ce jour».

Le Dr Laurent Cotte (Hôpital de la Croix Rousse), également co-responsable de l’étude, ajoute «ANRS IPERGAY est différent de IprEx dont les participants prenaient un traitement continu : les volontaires de l’essai prendront le traitement « à la demande », pendant les périodes d’activité sexuelle».

Le Pr Jean-Michel Molina conclut : «Cette stratégie devrait permettre d’éviter les contraintes d’une prise permanente d’antirétroviraux, de favoriser ainsi une bonne observanceObservance L’observance thérapeutique correspond au strict respect des prescriptions et des recommandations formulées par le médecin prescripteur tout au long d’un traitement, essentiel dans le cas du traitement anti-vih. (On parle aussi d'adhésion ou d'adhérence.) de la prise du médicament, et également permettre de limiter leurs effets indésirables potentiels ainsi que le coût du traitement.»

Au-delà des gays et des HSH, si les résultats de l’essai ANRS IPERGAY étaient concluants, une nouvelle stratégie de prévention pourrait être évaluée auprès d’autres populations particulièrement affectées par le VIH, au Nord comme au Sud.

Pourquoi un bras placebo ?

L’essai ANRS IPERGAY comporte deux bras : l’un dans lequel les participants recevront un traitement antirétroviral, l’autre un placebo. Selon le Pr Molina «L’essai de référence pour les HSH, IPREX, était un essai randomisé contre placebo. Il n’a montré qu’une efficacité somme toute limitée de Truvada® en prévention et ne peut donc constituer une stratégie recommandée pour les HSH ». Il ajoute «Un essai avec un groupe placebo se justifie pleinement dans ce contexte d’incertitude». Par ailleurs, «l’incertitude de recevoir ou non un placebo permettra de bien attirer l’attention de tous les volontaires de l’essai ANRS IPERGAY sur la nécessité de maintenir ou de renforcer leur prévention afin de limiter au maximum les risques d’infection par le VIH. Cette stratégie dite d’essai en double aveugleDouble aveugle L'étude avec répartition aléatoire, randomisé ou en double insu (ou en double aveugle) est une démarche expérimentale utilisée en recherche médicale et pharmaceutique faisant que ni le patient ni le médecin ne sait quel traitement est pris : traitement A ou B, traitement A ou placébo. d’un traitement contre placebo devrait donc limiter les comportements de désinhibition dans les deux groupes de l’essai».

La prévention combinée

L’essai ANRS IPERGAY testera l’efficacité de la Prep dans un cadre de prévention combinée. «C’est en combinant les moyens de prévention que l’on pourra parvenir à contenir l’épidémie d’infection par le VIH, en utilisant les moyens dont l’efficacité est déjà démontrée (comme le préservatif) et en évaluant le bénéfice de l’association de nouveaux outils comme la Prep. C’est notre rôle de mener ces recherches», déclare le Pr Jean-François Delfraissy, Directeur de l’ANRS.

La stratégie dite «de prévention combinée» n’est pas propre au VIH. On en connait des exemples éprouvés, par exemple dans la lutte contre le paludisme. Dans les mesures de précaution pour éviter d’être piqué par les moustiques se conjuguent l’utilisation de moustiquaires imprégnées, de protections vestimentaires, de sprays répulsifs, toutes mesures qui s’ajoutent à la  prophylaxie médicamenteuse avec les antipaludéens.

L’essai ANRS IPERGAY, c’est quoi ?

L’essai ANRS IPERGAY s’adressera à des hommes et à des personnes trans’ séronégatifs pour le VIH ayant des relations anales avec des hommes sans utilisation systématique d’un préservatif, avec au moins deux partenaires sexuels différents dans les six mois précédant leur participation à l’essai. L’essai s’étalera pour les volontaires sur une durée minimale de 12 mois et maximale de 48 mois.

L’essai comparera deux groupes de participants : l’un recevra Truvada®, l’autre un placebo. Ces médicaments seront pris «à la demande», pendant la période d’activité sexuelle. Les participants débuteront la prise du médicament avant les rapports sexuels,  poursuivront le traitement pendant la période d’activité sexuelle, avec une dernière prise de médicament après.

Chaque participant, quel que soit le groupe auquel il appartiendra, se verra proposer une offre renforcée de prévention : distribution de préservatifs, des dépistages réguliers du VIH, des dépistages réguliers et traitements des ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  la vaccination contre les hépatites A et B. Les participants pourront bénéficier, s’ils le souhaitent, de conseils personnalisés de prévention.

Un important volet de recherches en sciences sociales tentera de dresser le profil des volontaires, analysera leurs comportements sexuels, en particulier vérifiera comment les volontaires se comportent vis-à-vis du préservatif, et par ailleurs déterminera s’ils observent ou non la prise de médicaments. Les données recueillies tout au long de l’essai, permettront pour la première fois en France, de disposer d’un suivi dans le temps des comportements dans cette population. Ces recherches seront menées par l’équipe de Bruno Spire (Inserm UMR 912, Marseille).

Les participants seront invités à des consultations à l’hôpital environ tous les deux mois pour des entretiens et des examens cliniques, dont des dépistages.

L’essai est mené par l’ANRS qui en est le promoteur et le financeur. Le laboratoire Gilead fournit les médicaments de l’essai.

Selon Bruno Spire, «ANRS IPERGAY s’adressera à des HSH et à des gays qui souhaitent augmenter leur prévention. La démarche est individuelle mais elle peut aussi être altruiste : participer à ANRS IPERGAY peut faire bouger les lignes et bénéficier à la communauté des gays et des HSH».

ANRS IPERGAY, c’est quand, et où?

L’essai démarrera en Janvier 2012. Dans sa phase pilote, qui permettra en particulier de déterminer si cet essai est adapté aux besoins de la communauté gay, et donc permettra de juger de sa faisabilité. Il se déroulera à Paris (Hôpital Saint-Louis, Pr. Jean-Michel Molina, et Hôpital Tenon, Pr. Gilles Pialoux), Lyon (Hôpital de la Croix-Rousse, Dr. Laurent Cotte). Il sera mené ultérieurement au Québec, à Montréal (CHUM Hôpital Hôtel Dieu, Dr. Cécile Tremblay).

Il concernera 300 volontaires dans la phase pilote (sur 1900 pour la totalité de l’essai).

La campagne de recrutement

Quatre hommes ont accepté, bénévolement, de prêter leurs visages à la campagne de recrutement qui se déclinera à partir de mi-janvier sur le thème : « Moi, je suis Ipergay. Et vous ? ». Flyers, affiches et bannières web déclineront ce message.

Les personnes intéressées seront invitées à consulter le site d’information www.ipergay.fr pour en savoir plus sur la prévention, la Prep et l’essai ANRS IPERGAY et à appeler Sida Info Service (0800 840 800 de 8h à 23h, appel gratuit et anonyme – ou encore sur le web : www.sida-info-service.org).

La campagne de recrutement de la phase pilote devrait se dérouler jusqu’à juin 2012.

 

De très nombreux acteurs mobilisés

Un comité associatif (regroupant plus de quinze associations LGBT et de lutte contre le sida2 représente les intérêts des participants à l’essai ANRS IPERGAY. Il a été constitué par l’ANRS dès les premières phases de préparation de l’essai.

L’association Aides est partenaire de l’essai au plan scientifique et opérationnel : elle a participé à l’élaboration du protocole et est membre du conseil scientifique de l’essai. Elle coordonnera sur le terrain les actions de recrutement et d’accompagnement des volontaires dans la prévention. SIS Association, avec son dispositif d’écoute téléphonique Sida Info Service, aura un rôle d’information et d’échange tout au long de l’essai : ses écoutants ont reçu une formation sur la Prep et sur l’essai ANRS IPERGAY.