Nul doute que la recherche d’un vaccin préventif anti-VIH, nonobstant ses difficultés théoriques et pratiques, demeure un objectif majeur pour les années à venir. Ne serait-ce qu’au regard des insuffisances du dépistage et de l’accès aux ARV ou des limites de la prévention.
Plus de 50 candidats vaccins ont été essayés dans le monde, la plupart pour des essais de phase I ou de phase II. Ces essais concernent quelques dizaines ou quelques centaines de volontaires « sains ». Par ailleurs, trois essais internationaux ont concerné la phase III de cette recherche vaccinale, avec une preuve d’efficacité recherchée dans des populations à haut risque de transmission du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi.
Les deux premiers essais de phase III ont été conduits en 2003, en utilisant un candidat vaccin de première génération, à savoir une gp120 recombinante exprimée de deux souches virales, AIDSVAX B/B pour l’Europe et les Etats-Unis, AIDSVAX B/E en Thaïlande.
Premiers résultats négatifs
Les premiers résultats négatifs ont été rapportés en 2006, avec l’essai thaïlandais portant sur 5009 volontaires à haut risque d’infection dans 59 sites en Amérique du Nord, à Porto-Rico et aux Pays-Bas. Le taux d’infection observé n’était pas différent dans le bras de randomisation avec le placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.) (5,8 %) et dans le bras des volontaires ayant reçu le candidat vaccin AIDSVAX B/B.
Ce premier échec annoncé fut déjà un coup de semonce, mais il ne fut alors attribué qu’à la précarité du modèle vaccinal retenu. Même si des sous-études menées à posteriori avaient conduit à évoquer une protection chez les volontaires noirs sans qu’on puisse attribuer cette prétendue protection sélective à des éléments sociaux-comportementaux, génétiques et/ou immunologiques…
L’essai mené par les Thaïlandais auprès de 16 000 volontaires sur un suivi de 4 ans est basé sur le concept du Prime-Boost – ou comment préparer la réponse immunitaire par un vaccin recombinant Canarypox (ALVAC) qui exprime la gp120 d’une souche CRF-AE ainsi que les gènes pol, nef et gag de sous-type B puis par un « boost » à l’aide d’une sous-unité gp120. Cet essai est actuellement en cours.
L’essai Merck V520
C’est dans un tel contexte qu’a été lancé en 2004 l’essai Merck V520, connu aussi sous le nom américain de HVTN 502. La population de l’étude devait comporter 3000 personnes séronégatives issues de deux cohortes en fonction de la présence ou non d’anticorps développés contre le vecteur vaccinal (un adénovirus de sous-type 5). Les volontaires éligibles ayant tous des pratiques sexuelles à risque de se contaminer par le VIH telles qu’ainsi définies dans l’étude : « sexe anal non protégé avec un partenaire masculin ou avec deux ou plusieurs partenaires pour les hommes, relations hétérosexuelles pour les hommes des sites des Caraïbes lorsqu’avait été diagnostiqué une syphilis ou un ulcère génital, deux ou plusieurs partenaires sexuels, relations sexuelles contre de l’argent ou de la drogue, usage de crackCrack Le crack est inscrit sur la liste des stupéfiants et est la dénomination que l'on donne à la forme base libre de la cocaïne. Par ailleurs, ce dernier terme est en fait trompeur, car le mot cocaïne désigne en réalité le chlorhydrate de cocaïne. L'origine du mot 'crack' provient du craquement sonore qu'il produit en chauffant. ou de cocaïne trois fois ou plus ; pour les femmes, rapports non protégés vaginaux ou anaux avec une personne séropositive ou un injecteur de drogues, ou relations sexuelles échangées contre de l’argent, de la drogue, des cadeaux, etc. ».
Les régions concernées pour les sites étaient celles où prédominent les souches VIH de sous-type B ayant servi au modèle de candidat vaccin : Amérique du Nord, Amérique du Sud, Caraïbes et Australie.
La stratification a été faite par sexe, par site et vis-à-vis de la présence ou non d’anticorps développés contre le vecteur adénovirus. Point important : 43% des hommes inclus dans l’essai étaient non circoncis, et 54% l’étaient avant l’inclusion.
Deux points méritent d’être notés dans la base même du protocole :
-
il s’agit d’un essai de phase III mais de type « test-of-concept », de taille plus restreinte qu’un classique essai de phase III servant à la mise sur le marché d’un produit médicamenteux ou d’un vaccin ;
-
la question du risque éventuel des anticorps développés naturellement contre les adénovirus (maladie bénigne sous nos latitudes) et servant de modèle vaccinal a été évoquée d’emblée. En effet, ce « test-of-concept » prévoyait initialement de n’inclure que des participants ayant un taux d’anticorps anti-Ad5 bas (<200) et ce n’est qu’au vu des résultats d’essais faits chez le volontaire sain que l’essai a été ouvert aux personnes ayant une immunité anti-adénovirus élevée.
Enfin, le modèle vaccinal était le modèle développé par Merck, d’adénovirus exprimant des protéines de gag, de pol, de nef dans un essai typiquement contre-placebo avec un participant sur un qui recevait soit le placebo, soit le candidat vaccin à J1, à la semaine 4 et la semaine 26.
Pas de différences significatives
Une analyse intermédiaire était prévue dans l’essai et a donc été effectuée. Elle a conduit à la constatation suivante : 24 (3%) des 741 volontaires ayant reçu le candidat vaccin s’étaient contaminés par le VIH, contre 21 (3%) des 762 volontaires ayant reçu un placebo. Il n’y avait donc pas de différence significative. Curieusement, toutes les infections, sauf une, ont été observées chez des hommes.
Parmi les deux objectifs primaires du candidat vaccin VIH en phase III, il y avait de voir la charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. chez les personnes contaminées en fonction de l’injection d’un candidat vaccin ou du placebo. Dans l’étude Step, il n’y a pas eu de différence significative de la charge virale chez les contaminés ayant reçu le placebo versus ceux ayant reçu le candidat vaccin (4,61 log versus 4,41 log copies/ml)…
Bonne réponse immune
Mais venons-en au second papier du Lancet – on soulignera au passage la force de la communication du HVTN (HIV Vaccine Trial Network), l’instance américaine étatique de gestion des essais vaccinaux, et de Merck, puisque ces résultats négatifs permettent deux publications majeures dans un même numéro du Lancet avec l’éditorial associé. Certes, il y avait beaucoup d’attente, mais cela laisse imaginer ce qu’aurait pu être la publication de résultats positifs… La seconde publication, précisément, établit la qualité de la réponse immune dans le bras ayant reçu le vaccin adénovirus. Une réponse au vaccin plutôt très bonne : 75 % (267) des volontaires étudiés sur la réponse cellulaire avaient une réponse ELIPOST spécifique induite par le vaccin, 41% avaient une réponse VIH spécifique CD4 identifiée par cytokine intracellulaire. Ce qui confirme, avec le détail de la réponse immunitaire, que ce candidat vaccin induit une proportion importante de réponses CD8 et CD4 mais aussi cytokiniques.
A la suite de cette analyse intermédiaire , l’essai Step a été arrêté. D’autant – et c’est sans doute la conclusion la plus débattue actuellement – que des sous-études montrent, en analyse multivariée, une augmentation de risque de contamination chez les hommes séropositifs vis-à-vis du vecteur adénovirus et … non circoncis (H R = 4,2 versus 4,8).
Des résultats doublement négatifs
Au total, les résultats définitifs du vaccin recombinant adénovirus anti VIH de Merck sont doublement négatifs. Avec l’impossibilité de ce candidat vaccin à protéger contre l’infection par le VIH et à diminuer la réplication virale après infection.
En montrant un nombre de contaminations VIH plus important dans le bras placebo chez les personnes non circoncises et chez celles ayant une immunité préalable, donc le vecteur adénovirus, cet essai ouvre nombre de questions. Il est possible par exemple que les anticorps pré-existants contre l’adénovirus se lient rapidement au candidat vaccin après son administration et que ces complexes antigènes-anticorps induisent une inflammation et par là-même une activation des processus de pénétration muqueuse du VIH. Mais ce n’est qu’une hypothèse.
En fait, cette étude pose trop de questions pour permettre d’avancer : comment se fait-il que dans ce type d’étude, il n’y ait pas eu de contamination chez les femmes ? Comment s’entremêlent facteurs comportementaux tels que la circoncision et l’immunité préalable contre le vecteur ? Comment un tel candidat-vaccin, qui avait passé toutes les étapes préalables (essai de phase I avec très bonnes réponses cellulaires, et essai sur le modèle animaux type macaques), se retrouve ainsi abandonné ? Comment trouver des corrélats de protection entre ce qui est observé dans les essais de phase I chez les volontaires sains et ce qui correspond à une réponse immunitaire protectrice « en vrai » ?