Un niveau de cas historiquement élevé
Au cours de la semaine 45, le Canada a enregistré 46 nouveaux cas de rougeole (43 confirmés et 3 probables), ce qui porte à 5 208 le nombre total de cas rapportés depuis le début de l’année 2025 (4 843 confirmés, 365 probables). Un record absolu depuis que la maladie a été éliminée du territoire en 1998.
Cette flambée place l’année 2025 comme un point de rupture : alors que la moyenne annuelle depuis 1998 tournait autour de 91 cas par an, les niveaux actuels sont plus de 50 fois supérieurs aux moyennes historiques.

Fig.1 : nombre de cas de rougeole déclarés au Canada par année depuis l’élimination de la rougeole (1998) au 8 novembre 2025. Source : sante-infobase Canada https://sante-infobase.canada.ca/rougeole-rubeole/#a21
Une transmission enracinée dans dix juridictions
Les cas déclarés en 2025 proviennent de 10 juridictions : Alberta, Colombie-Britannique, Île-du-Prince-Édouard, Manitoba, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Ontario, Québec, Saskatchewan et Territoires du Nord-Ouest.
Au cours de la 1ère semaine de novembre, quatre provinces ont rapporté des nouveaux cas : l’Alberta (14 cas), la Colombie-Britannique (29 cas), le Manitoba (2 cas), et l’Ontario (1 cas).
L’éruption la plus récente au Canada remonte également à cette même semaine 45, ce qui indique que la transmission est toujours active.
Carte épidémiologique : des niveaux très hétérogènes selon les provinces
Les provinces les plus touchées en 2025 sont l’Ontario avec 2 394 cas (46 %), l’Alberta avec 1 960 cas (38 %), la Colombie-Britannique avec 365 cas et le Manitoba avec 264 cas. Au total, ces quatre provinces concentrent l’immense majorité des cas, confirmant une circulation intense du virus dans les régions densément peuplées ou interconnectées.

Fig.2 : Distribution géographique du nombre total de cas de rougeole par province ou territoire en 2025. Source : sante-infobase Canada https://sante-infobase.canada.ca/rougeole-rubeole/#a21
Une éclosion multijuridictionnelle qui structure toute l’épidémie
La quasi-totalité des cas canadiens en 2025 sont associés à une vaste éclosion multijuridictionnelle débutée au Nouveau-Brunswick en octobre 2024. Cette éclosion représente 5 058 des 5 208 cas rapportés en 2025 – soit 97 %. Le génotype responsable est un virus sauvage génotype D8, déjà impliqué dans de nombreuses résurgences internationales.
En cumulant 2024 et 2025, cette éclosion a touché 5 145 personnes (4 750 confirmés, 395 probables). Elle est désormais déclarée terminée dans plusieurs provinces, notamment l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, mais reste active en Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba et Saskatchewan.
On observe ainsi une géographie dynamique : certaines provinces ont réussi à interrompre la transmission, tandis que d’autres continuent de déclarer des cas récents.
Une épidémiologie fortement marquée par la transmission locale
L’analyse des sources d’exposition confirme la nature interne de la flambée : 98 % des cas sont liés à une exposition au Canada, par transmission confirmée épidémiologiquement ou virologiquement, et 2 % seulement sont associés à un voyage international. Les pays impliqués dans les rares cas importés incluent notamment l’Inde, les Philippines, la Roumanie, les États-Unis, l’Angleterre ou encore le Kenya.
La courbe épidémiologique montre une montée rapide des cas au printemps 2025, avec plusieurs pics dépassant les 300 cas hebdomadaires. Les vagues successives confirment un enracinement de la transmission dans plusieurs communautés.
Profils des personnes touchées : une maladie qui frappe surtout les enfants et adolescents
Les données font état d’une vaccination très partielle à tous les âges :
- 5–17 ans : 45 % des cas,
- 1–4 ans : 20 %,
- Moins de 1 an : 6 %,
- Adultes de 18 à 54 ans : 28 %,
- ≥ 55 ans : 1 %.
Cette distribution montre que les enfants et adolescents scolarisés constituent le principal réservoir de transmission, reflétant probablement des poches d’immunisation insuffisante dans certaines communautés.
Le statut vaccinal renforce cette interprétation : 89 % des cas ne sont pas vaccinés, 2 % ont reçu une dose, et seuls 5 % ont reçu deux doses ou plus. Des chiffres qui soulignent un déficit critique d’immunité collective, particulièrement dans les régions où l’éclosion s’est amplifiée.
Cas graves, hospitalisations et décès
En 2025, 379 hospitalisations ont été rapportées (7 % des cas). Deux décès ont été enregistrés – l’un en Alberta, l’autre en Ontario – tous deux chez des nourrissons nés prématurément et atteints de rougeole congénitale (transmise in utero lors d’une infection maternelle primaire). Cela rappelle la vulnérabilité extrême des très jeunes enfants et l’importance de l’immunisation maternelle par la vaccination de la mère avant la grossesse.
Rougeole congénitale : 16 cas en 2025
Le rapport recense 16 cas de rougeole congénitale confirmés en laboratoire, et aucun cas probable. Ces données corroborent une circulation suffisamment forte pour atteindre les femmes enceintes non immunisées, une situation rare en contexte de haute couverture vaccinale.
Regard historique : 2025 marque une rupture
Depuis l’élimination de la rougeole en 1998, les niveaux de cas étaient restés bas, avec des années très variables mais jamais supérieures à 752 cas (année 2011). L’année 2025 dépasse largement tous les précédents records contemporains avec plus de 5 000 cas, confirmant une situation épidémiologique sans précédent depuis 25 ans.
Pourquoi une telle résurgence ?
Plusieurs facteurs pouvant expliquer une telle résurgence émergent en filigrane du rapport :
- Une couverture vaccinale insuffisante dans certains groupes : la part très élevée de personnes non vaccinées (89 %) suggère des communautés sous-vaccinées, une reprise vaccinale post-pandémie insuffisante, et des inégalités d’accès dans certaines régions. Or, l’exigence de la couverture vaccinale (CV) pour la rougeole est l’une des plus élevée de toutes les maladies transmissibles pour lesquelles il existe un vaccin – soit plus de 95 % de couverture vaccinale après les deux doses. Dans le cas du Canada, en Ontario par exemple, la couverture vaccinale à deux doses chez les enfants âgés de 7 ans est passée de 95 % en 2013-2014 à 70 % en 2024, en raison des perturbations liées au CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. et de la pénurie de médecins de famille. Dans l’Alberta la CV serait de …30 % !
- L’insuffisance de contrôle vaccinal à l’école : or, on peut affirmer que la clé du succès de la lutte contre la rougeole aux États-Unis comme au Canada réside dans la vérification rigoureuse du statut vaccinal lorsque les élèves entrent à l’école ou changent d’établissement. Les recommandations canadiennes sont les suivantes : “Dans le cadre de l’immunisation systématique des enfants âgés de 12 mois à moins de 13 ans, il faut administrer 2 doses de vaccin contenant le virus de la rougeole (RRO ou RROV). La première dose du vaccin contenant le virus de la rougeole devrait être administrée lorsque l’enfant est âgé de 12 à 15 mois, et la deuxième dose à 18 mois ou après, mais avant son entrée à l’école.” Dans le Nouveau-Brunswick, alors que les enfants qui ne présentent pas un dossier vaccinal complet, une exemption médicale ou une objection parentale ne devraient pas être admis à l’école, un rapport du ministère canadien de la Santé portant sur l’année 2023-2024 montre que seuls 72 % des élèves de cette province, francophones et anglophones confondus, avaient un dossier vaccinal conforme lors de leur entrée à la maternelle. Une situation à rapprocher de ce qui se passe aux États-Unis où les certificats d’exemption vaccinale grimpent pour la rougeole – 17 états dépassent les 5 % d’exemption principalement non médicales, religieuses notamment (disponible sur https://www.cdc.gov/schoolvaxview/index.html).
- Une éclosion initiale non maîtrisée en raison de problèmes locaux d’accès aux soins (déficit en médecins généralistes) pour les personnes concernées : l’éclosion débutée en octobre 2024 au Nouveau-Brunswick a diffusé à travers le pays, dans un contexte de vaccino-septicisme imprégné de ce qui se passe aux États-Unis voisins et soutenu par de multiples réseaux sociaux, familiaux et communautaires. Des études d’infodémiologie menées au Canada confirment la montée de la défiance vaccinale dans un pays qui croyait avoir éradiqué la rougeole en 1998.
- La forte contagiosité du génotype D8 : déjà impliqué dans de nombreuses flambées mondiales, ce génotype peut circuler très rapidement dans des populations partiellement immunisées.
- L’extrême contagiosité de la rougeole dans son ensemble. Sur l’échelle de Richter de l’infectiosité que constitue le R0R0 Le taux reproduction de base d’un virus ou R0, estime combien de personnes en moyenne sont infectées par une personne infectée. Supérieur à 1, il indique qu’un malade va infecter plus d’une personne et donc que l’épidémie va progresser. Inférieur à 1, les malades infectent moins de personnes et l’épidémie peut régresser. la rougeole navigue entre 15 et 20 (soit 15 à 20 personnes contaminées pour une personne cas-index), là où les principaux virus respiratoires (grippe, Covid, VRS) se situent, selon les variants, entre 2 et 5.
- L’importance des cas d’importations comme soulignés dans la plupart des pays dont le Canada.
Et ailleurs ?
En mars 2025, l’Organisation Mondiale de la Santé alertait sur le doublement du nombre de cas de rougeole dans la région Europe en 2024 par rapport à 2023, qui atteignait 127 350, soit le nombre le plus élevé depuis 1997. Les pays les plus touchés sont la Roumanie (30 692 cas en 2024) et le Kazakhstan (28 174 cas). La résurgence a été observée dès 2018, et a été accentuée par le recul de la vaccination pendant la pandémie de Covid[1].
Dans le monde, près de 360 000 cas de rougeole ont été rapportés en 2024.
L’OMS et l’Unicef appellent les autorités sanitaires à « intensifier de toute urgence la recherche des cas et des contacts et de mener des campagnes de vaccination d’urgence ». Elles ajoutent qu’il est « impératif que les pays analysent les causes profondes des flambées épidémiques, remédient aux faiblesses de leur système de santé et utilisent les données épidémiologiques de manière stratégique pour recenser et combler les lacunes en matière de couverture. » Enfin, elles plaident pour un accès plus équitable aux vaccins, « qui doit être au cœur de tous les efforts ».
En France enfin, selon des données de Santé Publique France portant sur la période comprise entre le 1er janvier et le 31 août 2025, 828 cas de rougeole sont survenus et ont été déclarés. La recrudescence des cas observée depuis janvier est en phase de décroissance depuis le mois de mai.
- Parmi ces cas, 289 (35%) ont été hospitalisés (dont 12 en réanimation), et 111 (13%) ont présenté une complication (dont 65 pneumopathies et 1 encéphalite) ; 2 décès ont été rapportés.
- L’âge médian des cas est de 16,6 ans. Les 3 classes d’âges les plus concernées sont les enfants de 1-4 ans (15%), les adultes de 40 ans et plus (14%) et les jeunes de 15-19 ans (12%).
- Parmi les sujets ciblés par la vaccination (âgés de plus d’un an et nés depuis 1980), pour lesquels le statut vaccinal était connu (n=578), 376 (65%) étaient non ou incomplètement vaccinés, 186 (32%) étaient vaccinés avec deux doses et 16 (3%) cas étaient vaccinés sans que le nombre de doses reçues soit précisé.
Pour rappel, la vaccination contre la rougeole est obligatoire pour tous les enfants nés depuis le 1er janvier 2018.


Références
- Rapport hebdomadaire de surveillance de la rougeole et de la rubéole – Semaine 45 (2 au 8 novembre, 2025), dernière mise à jour 2025-11-17https://sante-infobase.canada.ca/rougeole-rubeole/#a5
- Communiqué de presse Unicef, OMS/Europe : La Région européenne rapporte le plus grand nombre de cas de rougeole depuis plus de 25 ans.https://www.who.int/europe/fr/news/item/13-03-2025-european-region-reports-highest-number-of-measles-cases-in-more-than-25-years—unicef–who-europe
- https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/publications/vie-saine/guide-canadien-immunisation-partie-4-agents-immunisation-active/page-12-vaccin-rougeole.html#p4c11a5-1
- Kuppalli K, Omer SB. Measles: the urgent need for global immunisation and preparedness. Lancet 2025; 405: 1565–67.
- US Centers for Disease Control and Prevention. Measles cases and outbreaks. 2025. https:// www.cdc.gov/measles/data-research/index. html (accessed July 25, 2025).
- Payne E. Dropping vaccination rates for children in Ontario raise measles fears. Ottawa Citizen, Dec 22, 2024. https://ottawacitizen. com/news/dropping-vaccination-ratesontario-raise-measles-fears (accessed July 25, 2025).
- https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-a-prevention-vaccinale/rougeole/documents/bulletin-national/rougeole-en-france-du-1er-janvier-au-31-aout-2025
- Measles in 2025-lessons from the USA, Canada, and Australia.
- McIntyre PB. Lancet. 2025 Aug 23;406(10505):805-806. doi: 10.1016/S0140-6736(25)01540-5.
- Jokar M, Goddard Q, Nobrega D. Infodemiology of public sentiment toward the measlesvaccine in Canada: A google trends and health belief model-based analysis, 2025. Vaccine. 2025 Nov 14;69:127998. doi: 10.1016/j.vaccine.2025.127998. Online ahead of print.
- Huits R, Buonfrate D, O’Laughlin K, Hamer DH, Libman M; GeoSentinel network .Measlesimportations by international travelers, GeoSentinel 2019-2025.
- Travel Med Infect Dis. 2025 Sep-Oct;67:102885. doi: 10.1016/j.tmaid.2025.102885. Epub 2025 Jul 28.
- https://www.who.int/europe/fr/news/item/13-03-2025-european-region-reports-highest-number-of-measles-cases-in-more-than-25-years—unicef–who-europe