L’OMS a présenté au cours de ce congrès ses données sur l’évolution de l’antibiorésistance dans le monde sur la période 2018-2022 (Tosas Auget et al., abstract E0498). Au global, la prévalence de S. aureus résistant à la méticilline et de E. coli résistant aux céphalosporines de 3e génération dans les bactériémies était de 37,5% et 23,8%, respectivement. Ces tendances apparaissent comme stables comparé aux années précédentes. À noter également une augmentation de près de 70% de la prévalence globale des bactériémies à K. pneumoniae productrice de carbapénémase entre 2018 et 2022. [les carbapénémases sont des enzymes que produisent les entérobactéries et qui inactivent les carbapénèmes, dernière génération des antibiotiques de la classe des β-lactamines]. Les pays du Sud portent toujours le plus lourd fardeau, notamment dans le sous-continent indien et en Afrique centrale.
Cette association entre précarité et antibiorésistance s’étend jusque dans nos contrées. Plus proche de nous, une équipe nantaise s’est en effet intéressée aux facteurs sociodémographiques associés à la survenue d’infections urinaires communautaires à E. coli BLSE (Prime et al., abstract E0433) en croisant la base de données PRIMO avec les conditions de vie, l’état de santé et les données démographiques récupérés auprès de l’Insee et de l’assurance maladie. Les données ont été analysées à l’échelle des intercommunalités. Parmi les variables analysées, le nombre d’enfants de moins de cinq ans vivant au sein du foyer (IRR = 1.08 [1.04 – 1.13), ou le caractère surpeuplé du logement (IRR = 1.02 [1.01 – 1.22]) étaient associées à la survenue d’infections urinaire communautaires à E. coli BLSE.
L’IA prédictive
Face à ce constat, la lutte contre l’antibiorésistance s’appuie dorénavant sur les nouvelles avancées en termes de détection et de surveillance de ces pathogènes. Deux équipes ont par exemple présenté leur modèle de machine learning, qui fait appel aux réseaux de neurones pour permettre à un programme ou à un système informatique de développer ses performances de manière autonome, afin d’optimiser et de prédire la résistance de certaines souches bactériennes aux antibiotiques. C’est ainsi qu’une équipe chinoise a utilisé le séquençage génome complet (whole genome sequencing, WGS) pour construire un modèle de machine learning dans le but de prédire la résistance de souches de K. pneumoniae à 11 antibiotiques dont les carbapénèmes.
Ce modèle a pu prédire, avec une précision pouvant atteindre 90%, les souches non sensibles ou présentant des mutations associées à la résistance antimicrobienne (Jia et al., abstract O0734). En France, l’équipe du CNR de la résistance antimicrobienne basée au CHU de Bicêtre a développé un modèle de machine learning basé sur les données de spectrométrie de masse (MALDI-TOF) afin d’identifier les souches de K. pneumoniae ST23, qui sont des souches de K. pneumoniae productrices de carbapénémases particulièrement virulentes. Les modèles obtenus ont affiché une performance allant jusqu’à 95% pour la détection de ces souches (Dorter et al., abstract O0736). Ces avancées prometteuses seront peut-être un jour employées en pratique clinique pour réduire le délai de détection des pathogènes résistants et adapter plus rapidement l’antibiothérapie proposée.
De nouvelles molécules
Mais la lutte contre l’antibiorésistance passera aussi par le développement de nouvelles molécules et de nouvelles voies pour vaincre les infections les plus difficiles à traiter. Une équipe de l’Université d’Exeter au Royaume-Uni a par exemple présenté l’utilisation d’un traitement basé sur l’édition du génome à l’aide de CRISPR-Cas9 pour lutter contre des souches de E. coli BLSE. Ces « ciseaux moléculaires » entrainent la mort de la bactérie par l’édition du gène blaCTX-M-15. Ce modèle s’est avéré efficace pour détruire 99% des souches exposées, même si des facteurs d’échappement ont été identifiés (Morros-Bernaus et al, abstract L0011).
Les Viennois, hôtes de cette 35e ESCMID Global, ont de leur côté identifié une nouvelle molécule appelée NQNO, un métabolite secondaire de Pseudomonas aeruginosa qui s’est avéré efficace in vitro contre des souches de N. gonorrhae multi-résistantes, tout en gardant un spectre particulièrement étroit puisqu’elle n’a pas montré d’activité contre les souches commensales de Neisseria et les lactobacilles de la flore vaginale (Nguyen et al., abstract L0012). Ces résultats sont encore préliminaires et le chemin sera encore long avant d’envisager une application dans la pratique clinique quotidienne, mais il est clair qu’en 2025 à Vienne, la lutte contre la résistance aux antibiotiques n’a pas encore dit son dernier mot.
