Journées scientifiques 2025 de l’ANRS-MIE : les défis de la recherche internationale

Les journées scientifiques de l’ANRS-MIE ont ouvert leurs portes ce mardi 1er avril pour deux jours, au centre de conférence de l’Institut Pasteur. Le programme est entièrement dédié aux défis que rencontre actuellement la recherche à l’international, dans une actualité brûlante d’attaques «trumpistes», qui pèsent lourdement sur les projets communs.

Les journées scientifiques de l’ANRS-MIE new look affichent clairement leur internationalité, tant par les sujets que par les affiliations des intervenants ou des congressistes : Cambodge, Vietnam, Mozambique, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, République démocratique du Congo, Burkina Faso, Suisse, Brésil, Cameroun, Roumanie, Sénégal, Togo, États-Unis, Royaume-Uni, Espagne, etc. Le programme est à l’image de l’évolution de l’ANRS devenue ANRS-MIE : un champ de plus en plus élargi, vu les thématiques abordées et l’extension des collaborations.

Comme l’a rappelé Yazdan Yazdanpanah, actuel directeur de l’agence, en ouverture, le nombre d’appels à projets est passé de 2 à 7 ces dernières années avec un taux d’acceptation de 30 %, la progression la plus importante se faisant sur la recherche fondamentale notamment dans le VIH Même si Françoise Barré-Sinoussi, présente aux journées, juge cela «encore insuffisant». Sans doute en lien avec l’arrêt des financements américains. 

En introduction, le ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste, a enfoncé le clou des inquiétudes légitimes venues d’outre-Atlantique. «Le retrait des États-Unis de l’OMS, la fin de l’USaid, la mise à pied de chercheurs, les bases de données moins accessibles, la destruction de pans entiers de la recherche liées au climat et à l’environnement – NDLR : dont on sait combien ces destructions peuvent peser sur l’émergence ou la réémergence des maladies infectieuses à l’aune de One Health – tout cela aura des conséquences en cascade sur l’ensemble de la santé”, a-t-il anticipé à propos “d’un réel que nous n’avons pas , mais que nous ne pouvons pas ignorer». Précisant au passage que le ministère contribue pour 50 millions d’euros au financement de l’ANRS-MIE, sans laisser entrevoir que la situation internationale puisse revoir ce financement à la hausse. Un séisme en fil rouge de la plupart des communications de ces journées.

Une mobilisation internationale via de grands réseaux

Comme l’a précisé Linda Wittkop (Isped, Bordeaux), en réponse aux questions sur la présentation d’un imposant réseau international d’essais sur le VIH STRIVE (300 sites cliniques dans 44 pays et sur 6 continents : https://strive.lshtm.ac.uk/) évoquant l’arrêt de tout financement américain dans la recherche contre le covid-19 «Il va falloir trouver d’autres financements.» Lancé en novembre 2023, dans la foulée de la pandémie de Covid-19, le réseau STRIVE (Strategies & Treatments for Respiratory Infections and Viral Emergencies) est l’exemple même d’une collaboration internationale pluridisciplinaire qui aura du mal à faire sans les États-Unis. Le réseau vise à mener des essais cliniques et des études observationnelles internationales pour évaluer l’efficacité des stratégies thérapeutiques sur des adultes atteints d’infections émergentes. À l’instar de deux essais en cours portent sur l’évaluation respectivement d’un agent anti-viral contre le Sars-Cov-2, l’ensitrelvir, et d’un immunomodulateur (l’abatacept) chez des patients hospitalisés atteints de covid-19.

Un sujet particulièrement d’actualité, puisque ce même 1er avril la firme Shionogi (Japon) a annoncé qu’elle avait présenté une nouvelle demande d’enregistrement auprès de la Food and Drug Administration (FDA) pour l’ensitrelvir oral en prophylaxie post-exposition du covid-19 sur la base des résultats positifs de l’étude mondiale de phase III, SCORPIO-PEP présentée à la CROI 20251Hayden F. « Ensitrelvir to Prevent COVID-19 in Households: SCORPIO-PEP Phase III Placebo-Controlled Trial Results ». Abstract 200. Presented at CROI 2025, San Francisco, CA: March 9-12, 2025. Cf press relase : https://www.shionogi.com/global/en/news/2025/04/202504010.html.

En parallèle, STRIVE mène une étude observationnelle (IC-SARI) visant à décrire les pathogènes causant une infection respiratoire sévère chez des patients immunodéprimés hospitalisés (Pr. Linda Wittkop, Isped, Bordeaux). L’objectif de STRIVE est par ailleurs d’avoir un réseau de recherche clinique prêt à être utilisé en cas de survenue d’une épidémie/pandémie. Recherches majoritairement financées par… le National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID) du National Institute of Health (NIH), dans le contexte qu’a rappelé Yazdan Yazdanpanah: «La recherche est synonyme d’émancipation, dès lors qu’elle fait progresser la science et donc la santé publique. Elle concerne toutes les sociétés à travers le monde et ne saurait être freinée par des idéologies. Soutenir la coopération scientifique internationale est aussi un moyen de garantir la démocratie.»

Autre consortium présenté par Jean-Claude Manuguerra (Institut Pasteur), le projet européen DURABLE, lancé en février 2023 par l’Institut Pasteur. DURABLE (Delivering a Unified Research Alliance of Biomedical and public health Laboratories against Epidemics) a pour objectif principal de mettre en place un guichet unique pour la préparation des laboratoires aux maladies émergentes. Ce projet établit un réseau de laboratoires et d’instituts de recherche capable d’améliorer la préparation aux maladies émergentes, mais aussi d’alerter, de fournir des données scientifiques en temps réel et des analyses intégrées aux autorités européennes, telles que HERA et ECDC. Avec 30 millions d’euros de financement, à 80% de l’Union européenne, Durable met en relation 20 institutions de recherche européennes, rassemblant 170 personnes.

Le réseau DURABLE (Delivering a Unified Research Alliance of Biomedical and public health Laboratories against Epidemics),
ANRS-MIE 2025.

Autre consortium européen créé dans le sillage de la crise sanitaire covid et présenté par Hervé Raoul sous-directeur de l’ANRS-MIE : Be Ready, qui vise à organiser et à établir les partenariats européens nécessaires pour la préparation à une pandémie. 

Les essais continuent

La science reste politique dans les conférences scientifiques. La première keynote du Pr Saphonn Vonthanak (Recteur de l’Université des Sciences de la Santé, Cambodge) a été particulièrement policée pour ne pas écrire plus. Montrant au passage que la recherche contre le VIH au Cambodge dépend (en 2012) à 84,57% de financements internationaux, dont la France.

Au registre des innovations, on retiendra le projet Air-Pop soutenu par l’ANRS-MIE, porté par Solthis et l’hôpital national Donka de Conakry en Guinée qui cherche à réduire les délais d’acheminement des échantillons vers les laboratoires en les transportant par drones. La détection précoce du VIH chez les nourrissons dont la mère vit avec le VIH est en effet un enjeu crucial pour permettre une prise en charge immédiate des enfants infectés. Le défi du transport routier à Conakry reste un obstacle majeur à l’acheminement rapide des échantillons sanguins vers les laboratoires et à l’approvisionnement d’urgence des centres de santé. 

Côté «innovation à petits moyens, on citera l’expérience assez étonnante de recherche One Health de l’étude franco-congolaise TTHALESS. À ce titre, la présentation haute en couleur du Dr Luis Flores Girón, un vétérinaire espagnol basé en RDC depuis 2016 en tant que responsable des services vétérinaires du Centre de réhabilitation des primates de Lwiro (CRPL) a illustré parfaitement l’ouverture disciplinaire de l’approche One Health. À partir d’un cas de tuberculose humaine transmise à un primate par son geôlier, s’est ensuivi un dépistage de 200 primates du centre où le diagnostic a été effectué, de 199 vaches et 272 animaux sauvages.

Une première journée dominée, donc, par les menaces américaines, la mise en musique de la recherche One Health et la multiplication très significative des réseaux de recherche face aux infections émergentes. Notamment pour contrecarrer l’effet de surprise pandémique et privilégier, contrairement à la réponse covid, les besoins internationaux par rapport aux besoins nationaux. Tout en tenant compte plus que jamais de l’impact négatif des crises géopolitiques sur l’émergence des maladies infectieuses et sur la réponse sanitaire apportée, de la RDC à Washington, en passant par Bobo Dioulasso, au Burkina Faso.