Que les inégalités aient été amplifiées pendant la crise sanitaire a été dénoncé en France et dans les autres pays occidentaux dès les premiers mois de la crise sanitaire face aux situations de détresse rencontrées sur le terrain.
L’étude de la mortalité en France pendant la période du confinement réalisée par les chercheurs de l’Ined, de InsermInserm Institut national de la recherche médicale. et de Santé publique France, parue en novembre 2022 vient quantifier1Impact of the COVID-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. crisis on the mortality profiles of the foreign-born in France during the first pandemic wave.
Khlat M, Ghosn W, Guillot M, Vandentorren S; DcCOVMIG Research Team.Soc Sci Med. 2022 Nov;313:115160. doi: 10.1016/j.socscimed.2022.115160. Epub 2022 Jun 22.PMID: 36260967, de façon méticuleuse et précise, cette inégalité au détriment des immigrés2En France, la démographie définit un immigré comme une personne née étrangère à l’étranger, qui peut être restée étrangère ou avoir acquis la nationalité française. et en particulier de ceux et celles né.e.s en Afrique subsaharienne en âge de travailler. On savait déjà, par les premiers résultats publiés de l’étude EpiCov, que les immigrés, en particulier en Île-de-France, avaient été plus exposés en raison de leur travail dans les métiers essentiels et de leurs conditions de vie (logement, transport, résidence en zone dense etc.)3Warszawski J. et al: “Prevalence of SARS-Cov-2 antibodies and living conditions: the French national random population-based EPICOV cohort”, BMC Infectious Diseases (parution : janvier 2022) 4Gosselin A, Warszawski J, Bajos N; EpiCov Study Group. « Higher risk, higher protection: COVID-19 risk among immigrants in France-results from the population-based EpiCov survey« , Eur J Public Health. 2022 Aug 1;32(4):655-663. doi: 10.1093/eurpub/ckac046. PMID: 35478253. L’augmentation de la mortalité en Seine Saint-Denis a été ainsi fortement marquée dès la première période de la crise Covid.
Classiquement, la mortalité tous âges et toutes causes des immigrés dans le pays d’accueil est affectée par un double biais, un biais de sélection à l’arrivée dans les pays d’accueil des individus en meilleure santé dans le sens de l’émigration et un biais de retour des personnes malades ou âgées dans leur pays qui contribuent à «diminuer» la mortalité dans le pays d’accueil, appelés respectivement healthy migrant effect et salmon bias. Entre ces deux temps de la migration, on observe que les populations immigrées arrivées plutôt jeunes et en bonne santé, voient leur santé se dégrader au cours du temps de façon disproportionnée par rapport à la population du pays d’accueil (la population dite «native»), processus bien identifié en France par de nombreuses études et mis en perspective par Didier Fassin dans une de ses leçons au Collège de France5Didier Fassin. La « santé des migrants » : notes pour une généalogie, La santé en action, 2021, N°455.
Excès de mortalité pour les immigrés
Les chercheurs de l’étude publiée dans Social Science and Medicine se sont attachés à quantifier la mortalité en fonction des pays de naissance (regroupés en régions significatives pour l’immigration en France), avec les méthodes classiques des études de mortalité: comparer la mortalité pendant les 9 semaines de confinement à ce qu’elle aurait été avec la structure de la mortalité des mêmes semaines entre 2016-2019, par sexe et en standardisant pour l’âge. S’agissant de la mortalité, l’étude ne porte que sur les plus de 40 ans puisque celle des plus jeunes a été très faible. Et il ne s’agit pas seulement de la mortalité due au CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. s’y ajoutent les autres effets sur la santé liés aux multiples impacts de la crise et de ses mesures de contrôle.
Les auteurs ont calculé les excès de mortalité pendant la période du 18 mars au 19 mai 2020 (9 semaines) pour chaque groupe de population en comparant les taux observés pendant le confinement à ceux qu’ils auraient été (les taux attendus) si les tendances antérieures avaient été prolongées. Les auteurs ont ensuite comparé l’excès de mortalité des immigrés par groupe à celui observé parmi les personnes nées en France.
Ces écarts ont été étudiés séparément par sexe, pour les 40-69 ans et les 70 ans et plus, au niveau national, puis pour les régions Île-de-France et Grand Est, qui ont été les plus affectées par la pandémie au cours de cette première période de la crise sanitaire.
Globalement pour les femmes, l’excès de mortalité est de 25 décès pour 100 000 pour les 40-69 ans et de 782 pour 100 000 pour les 70 ans et plus ; pour les hommes, les chiffres correspondants sont de 51 et 1340 respectivement.
Les femmes nées en Afrique surexposées
Lorsque l’excès toujours par sexe et groupe d’âge est comparé par pays de naissance en référence aux personnes nées en France, on observe des inégalités de mortalité particulièrement fortes de façon systématique (c’est-à-dire dans les deux groupes d’âge et pour chaque sexe) pour les populations du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, d’Asie et Océanie avec des index élevés. Pour les originaires des Amériques, on ne les retrouve chez les femmes que pour les plus de 70 ans et pour les hommes chez les 40-69 ans. L’excès de risque des immigrés par rapport aux «natifs» est particulièrement élevé parmi les populations d’Afrique subsaharienne, les ratios standardisés de mortalité sont de 16 entre 40 et 69 ans et 2 après 70 ans pour les femmes, et pour les hommes de 19 et 4 respectivement: c’est-à-dire, la mortalité en excès pendant la crise par rapport à la période de référence parmi les femmes de 40 à 69 ans nées en Afrique subsaharienne est multipliée par 16 par rapport aux femmes nées en France, après standardisation sur l’âge.
Lorsque l’analyse est limitée aux régions Île-de-France et Grand Est ensemble, l’excès de mortalité est bien plus élevé encore: il est de 70 décès pour 100 000 chez les femmes de 40 à 69 ans et 2 314 pour les plus de 70 ans et chez les hommes 196 et 3888. Cependant, lorsqu’on s’intéresse aux ratios de mortalité comparant les populations par pays de naissance aux «natifs», les niveaux dans ces régions sont un peu plus bas qu’au niveau national, car la population «native» y a été aussi fortement affectée. Ainsi, parmi les populations nées en Afrique subsaharienne, l’excès de mortalité des femmes est 9 fois plus important que chez les femmes nées en France entre 40 et 69 ans et n’est pas significatif après 70 ans. Chez les hommes, les ratios sont significatifs pour les deux groupes d’âge, respectivement de 8 et 2,6. Même moins élevés, les ratios sont aussi significatifs et forts dans les autres populations immigrées. Échappent à cette sur-surmortalité, les populations immigrées de pays européens (UE ou hors UE).
Les confinements et la surmortalité
Ainsi, alors que les immigrés avaient une mortalité moindre que les natifs avant la période de pandémie étudiée, leur mortalité est devenue plus élevée avec un retournement qui voit les risques relatifs de mortalité inférieur à 1 avant la pandémie passer au-dessus de 1 pendant le confinement chez les hommes et chez les femmes d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne, d’Asie et Océanie: par exemple, alors que les femmes nées en Afrique avaient une mortalité de 20% inférieure à celles des femmes nées en France, pendant le confinement, elle était 80% plus élevée.
Des phénomènes similaires ont été observés dans d’autres pays. Cette surmortalité absolue et relative a été théorisée à travers le concept de «pandémie syndémique» qui voit les multiples facteurs d’inégalité préexistants structurels et survenus pendant la crise s’exacerber.
Ce très fort impact inégalitaire doit continuer à être étudié et expliqué à l’échelle du pays entier et sur la longue période de la pandémie, en s’intéressant non seulement au niveau de mortalité, mais aussi aux causes de décès. De nombreux travaux qualitatifs ou quantitatifs des populations immigrées ont été réalisés, dont beaucoup de résultats sont encore en cours de construction.
Mais sans attendre, les résultats présentés dans cet article de Social Science and Medicine appellent à reconnaître le coût démesuré payé par les immigrés pendant la crise du Covid, en particulier au moment où pointent les débats sur des législations toujours plus restrictives de l’immigration, alors même que les populations immigrées installées de longue date restent dans des conditions de vie et de travail dégradées et délétères pour leur santé, comme on le voit dans cet article. Pour l’avenir, alors que la France à l’instar des autres pays veut mieux se préparer aux futures émergences, concevoir les stratégies de réponse en termes d’équité, adaptées à ceux qui continuent à travailler, se déplacer, vivre dans des logements trop petits ou dans des zones sous-dotées en services de santé et avec des faibles ressources et des situations précaires, est un enjeu crucial. Ces résultats sont aussi un signal cruel pour s’attaquer maintenant aux conditions structurelles qui génèrent et entretiennent ces inégalités sociales de santé.