Analyser la 3-MMC, une nécessité de RdRD et de veille sanitaire

L’association Analyse Ton Prod Île-de-France (ATPidf) qui analyse entre autres les produits consommés par les chemsexeurs en lien avec le Spot de Aides, constate que la 3-MMC contient… de moins en moins de 3-MMC ! Si l’apport de l’analyse de drogues à la réduction des risques est bien reconnu par certains usagers, reste à la rendre encore plus accessible aux chemsexeurs.

En 2023, ATPidF a analysé plus de 2 100 échantillons en Île-de-France dont un volume croissant de 368 cathinones (contre 220 en 2022), soit 17,2 % des analyses du dispositif. Explorer leur contenu, qui évolue sans cesse, est une démarche se situant à la croisée de divers chemins, entre la promotion de la santé, la réduction des risques, la veille/alerte et l’amélioration des savoirs collectifs. Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), l’accès et les usages de cathinones se diffusent dans les espaces festifs et liés au chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. 1. La 3-MMC est la cathinone la plus recherchée dans ces espaces et dans plus de 80 % des analyses de cathinones réalisées par ATPidf en 2023, c’était précisément cette molécule qui était attendue par les personnes. Or, son classement sur la liste des stupéfiants aux Pays-Bas en octobre 2021 a des incidences sur les compositions des produits revendus comme « 3 » ou « 3-MMC », rendant ces marchés mouvants et induisant d’autres risques…

Ainsi, entre 2022 et 2023, la proportion des échantillons supposés de 3-MMC et en contenant réellement chute, passant de 40 % à 20 %, en faveur d’autres molécules (autres cathinones, substances appartenant à d’autres familles comme la MDMA, kétamine, cocaïne, parfois en mélanges…). La 3-CMC s’est fait une place sur les marchés franciliens de la « 3 » depuis peu (présence dans 40 % des échantillons présentés comme « 3-MMC » en 2022 et 2023), et laisse apparaître d’autres substances (2-MMC, DMBDP).

Crédit : ATPidf

Une autre cathinone, et alors ?

Au sein de la famille des cathinones, des différences de pharmacodynamie (action sur un récepteur) ou de pharmacocinétique (vitesse d’absorption et d’élimination, distribution dans l’organisme, métabolisation) peuvent apparaître d’une molécule à l’autre. Les puissances d’inhibition de relargage et de la recapture des monoamines peuvent varier d’une cathinone à l’autre, induisant des effets plus ou moins hallucinogènes et plus ou moins stimulants. Les différences pharmacocinétiques induisent des effets ressentis plus ou moins rapidement, de manière plus ou moins brève dans le temps.
Malgré la progression des connaissances sur leurs potentiels de toxicité (« risk assesments » de l’EMCDDA sur la 3-CMC2 ou rapports de revues critiques de l’Organisation mondiale pour la santé sur la DMBDB3 par exemple), peu de savoirs issus de la recherche scientifique et biomédicale sont disponibles au sujet des cathinones, notamment des plus récentes.

Analyse Ton Prod’ Île-de-France
L’association pour le développement de l’analyse de drogues comme outil de RdRD (Analyse Ton Prod’ Île-de-France ou ATPidf) a pour but de promouvoir, développer et mettre en œuvre l’analyse des drogues comme outil supplémentaire de réduction des risques pour les personnes majeures faisant usage de drogues (PUD) ou ayant l’intention de faire usage de drogues.
ATPidF participe aussi à la veille sanitaire au niveau régional (via l’ARS), national et européen en partageant ses données aux réseaux SINTES de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) et TEDI (Trans-European Drug Information project) en lien avec l’observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA). Le laboratoire de toxicologie de Garches, laboratoire de biologie médicale de référence sur les NPS accompagne le développement et le contrôle qualité d’ATPidf. La technique utilisée en routine est la chromatographie liquide haute performance (HPLC) couplée à une barrette de diodes (UV).

Le rôle clé des savoirs expérientiels

Les savoirs expérientiels s’organisent peu à peu et apportent de précieux compléments d’information, voire sont les uniques sources d’information sur les plus récents nouveaux produits de synthèse (NPS). Les personnes en faisant usage partagent ainsi leurs connaissances en ligne (psychonautwiki, psychowiki, Erowid…) mentionnant par exemple des « doses usuelles » selon les puissances des effets recherchés (seuil de déclenchement des effets ou « threshold », effet faible, moyen, fort). D’après ces sources, pour une puissance d’effet recherchée et une voie de consommation donnée, on constate que ces quantités peuvent varier d’un facteur 20 d’une cathinone à l’autre, laissant entrevoir la variabilité de puissance des effets induits au sein même de cette famille de molécules. Par voie orale, 300 mg de 3-MMC induirait ainsi des effets « forts » là où seulement 15 mg de MDPV, une autre cathinone, induiraient un effet de puissance similaire…4 Lorsqu’elles font analyser leurs drogues, les personnes échangent sur les effets recherchés et ressentis, qu’ils soient positifs ou négatifs, laissant entrevoir des perspectives de co-construction de stratégies de RdRD adaptées et contribuant à la veille sanitaire.

« Je me suis senti partir, effets de plus de 11h, trauma » (Effet secondaire ressenti, questionnaire de collecte ATPidf, juillet 2023)
« Je n’ai pas dormi pendant plus de 48h » (Effet secondaire ressenti, questionnaire de collecte ATPidf, novembre 2023)

Exemples concernant la DMBDP, récemment revendue comme « 3-MMC ».

Conclusion

Les marchés des drogues sont en constante évolution et les cathinones ne font pas exception dans un contexte international légal mouvant et de dématérialisation des trafics. Les drogues peuvent contenir des mélanges, des substances fortement dosées et/ou des substances très fortement potentes à très faibles doses5. Les outils analytiques de RdRD doivent s’adapter à ces évolutions, comme le recommande le réseau européen TEDI6 et faire l’objet d’études scientifiques indépendantes afin d’explorer les intérêts et limites réelles des machines utilisées dans un contexte de RdRD, parfois éloignées des discours de leurs fabricants…

Si les savoirs scientifiques peinent à avancer au rythme de l’apparition des NPS, les savoirs expérientiels ont toujours été une ressource clé de RdRD. Les trip-reports se sont historiquement basés sans l’appui d’analyses qualitatives (présence/absence des substances) ni quantitatives (taux de pureté), laissant place à des approximations et incertitudes (comment comparer 2 échantillons d’un même produit supposé, mais qui contiennent en réalité des molécules différentes ? comment comparer les effets de 2 substances identiques, mais concentrées tantôt à 20 % et tantôt à 80 % ?). L’analyse de drogues est un complément indispensable pour une nouvelle réduction des risques s’appuyant sur la diffusion de trip-reports basés sur les usages de substances déjà analysées.

Les cathinones
Les cathinones représentent une famille de substances de synthèse dérivées de la cathinone. Cette dernière est initialement contenue dans le khat, une plante d’Afrique de l’Est aux vertus stimulantes et hallucinogènes. Depuis quelques années, cette famille voit émerger des nouvelles molécules de synthèse permettant notamment de contourner les législations en vigueur : 3-MMC, 4-MMC, 3-CMC mais encore MDPV, DMBDP… Elles exercent leur action par des mécanismes neurobiologiques ciblant les monoamines (sérotonine, dopamine et noradrénaline). C’est pour cela que les effets induits (et recherchés) par leur consommation sont souvent décrits comme se situant entre ceux de la MDMA et de la cocaïne.
La littérature rapporte aussi des effets secondaires neuropsychiatriques (hallucinations, crises d’épilepsie…), addictologiques (tolérance, craving et dépendances), cardiovasculaires (tachycardie, hypertension…) et respiratoires pouvant aboutir au décès*.
Milena Majchrzak et al., 2017 « The newest cathinone derivatives as designer drugs: an analytical and toxicological review.

  1. Gérome C. Substances psychoactives, usagers et marchés : tendances en 2022. Tendances, OFDT, no 160. 2023 ↩︎
  2. EMCDDA, «Report on the risk assessment of 1-(3-chlorophenyl)-2-(methylamino)propan-1-one (3-chloromethcathinone, 3-CMC) in accordance with Article 5c of Regulation (EC) No 1920/2006 (as amended)», 2022. ↩︎
  3. OMS, « Critical review report: Dipentylone », 2023 ↩︎
  4. 3-MMC – PsychonautWiki, dernière mise à jour le 28/05/2024. ↩︎
  5. Cherki S. Le point SINTES, OFDT, no 9. 2024. ↩︎
  6. Trans-European Drug Information project (TEDI) « Drug checking services as an answer to shifting drug markets – The context driving the need for drug checking services », Mars 2024. ↩︎

Cet article a été cosigné par Maxime Triguel / toxicologue et Sevag Chenorhokian / responsable du pôle technique ATPidf.