Cannabis thérapeutique : une autorisation temporaire

L’adoption par le recours au 49.3 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 entérine l’amendement n° 3298 déposé par le gouvernement le 23 octobre dernier. Cet amendement accorde un statut temporaire de cinq ans, renouvelable, au cannabis thérapeutique.

Démarrée le 26 mars 2021 pour une durée de deux ans, l’expérimentation pilotée par l’ANSM a été prolongée en 2023 par le Dr François Braun, ministre de la Santé de l’époque, qui estimait les données obtenues encore insuffisantes. L’expérimentation a inclus plus de 2 800 patients dans cinq indications : douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles (médicamenteuses ou non); certaines formes d’épilepsie pharmaco-résistantes; certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou au traitement anticancéreux; situations palliatives; spasticité douloureuse de la sclérose en plaques (SEP) ou autres pathologies du système nerveux central (SNC). Elle était supposée prendre fin au mois de mars 2024.

Le 10 octobre dernier, une tribune parue dans Libération s’inquiétait de ne pas voir figurer d’amendement en faveur du cannabis thérapeutique dans le PLFSS1. Aurélien Rousseau, ministre de la Santé, avait indiqué qu’il réparerait cette erreur… C’est donc chose faite avec toute la prudence en vigueur. Dans l’attente d’une décision d’autorisation de mise sur le marché par les autorités européennes, le gouvernement donne un peu d’air au cannabis thérapeutique : son amendement stipule que les médicaments à base de cannabis pourront être autorisés dans le cadre d’un statut temporaire de cinq ans, éventuellement renouvelable, en «l’absence de preuve clinique [qui] ne permet pas à ce stade de satisfaire aux prérequis de l’autorisation de mise sur le marché».

Sortir de l’expérimentation…

«Le présent amendement vise à organiser la sortie de l’expérimentation en créant un statut temporaire adapté, restreint à des indications très limitées, dans l’attente de l’évolution en cours par les instances européennes sur l’inscription éventuelle de ces produits dans une autorisation de mise sur le marché relevant d’un usage médical bien établi», peut-on lire dans l’exposé des motifs. En raison du recours au 49.3 par le gouvernement le 25 octobre 2023 et du rejet de la motion de censure déposée par la gauche le 5 novembre, il est de fait validé dans la loi. «Comme lors de l’expérimentation, l’accès au cannabis à usage médical sera strictement restreint en dernière ligne de traitement, sur prescription hospitalière initiale, tout en proposant un parcours patient bien défini dans des filières de soins, dans des indications et situations cliniques pour lesquelles l’efficacité pourrait être présumée. Ces indications seront limitativement fixées par arrêté ministériel sur proposition de l’ANSM suite à l’évaluation du rapport bénéfice-risque. Ces modalités seront définies par voie réglementaire», précise l’amendement.

Les questions de prise en charge sont également remises à plus tard, en attendant un avis préalable de la Haute Autorité de santé : «En cas d’avis favorable de la HAS pour une prise en charge, les prix seront déterminés par un arrêté ministériel à partir des prix européens et ce prix devra être inférieur à celui pratiqué pour les spécialités comptant du cannabis disposant d’une autorisation de mise sur le marché. En cas d’avis défavorable de la HAS, ces produits ne seront pas pris en charge par la collectivité.»

Bilan positif

Nathalie Richard, directrice du projet Cannabis médical à l’ANSM, a présenté quelques données de l’évaluation de l’expérimentation – remise au Parlement, mais pas encore publiée – lors d’une table ronde aux rencontres ATHS à Biarritz le 25 octobre 2023 (voir la vidéo). Cette expérimentation, qui n’est pas un essai thérapeutique, avait comme second objectif de recueillir les premières données françaises sur l’efficacité et la sécurité du cannabis dans un cadre médical, a-t-elle indiqué.

Sur les 2 540 patients inclus au 27 mars 2023, la moitié (54 %) souffrait de «douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles», 12 % de spasticité douloureuse de la SEP, autant étaient en situations palliatives, 10 % souffraient de «certaines formes d’épilepsie pharmacorésistantes», 8 % de «certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer et aux traitements anticancéreux», et 4% de «spasticité douloureuse des autres pathologies du SNC».

Sur ce total, 852 (34 %) patients ont quitté l’expérimentation pour inefficacité du traitement (36 %), effets indésirables (32 %), décès (17 %) – qui ont concerné principalement des patients en «situations palliatives» et en oncologie. «Ce n’est pas un médicament miracle, a insisté Nathalie Richard, mais l’évaluation relève une amélioration de l’état de santé des patients et des symptômes dès trois mois de suivi de l’expérimentation». Ainsi, 79 % des patients souffrant de douleurs neuropathiques déclaraient à l’inclusion ressentir une «douleur forte et insupportable», ils ne sont plus que 29% dès 3 mois de traitement et jusqu’à 12 mois de suivi. Pour la SEP, l’évaluation note une amélioration significative sur la spasticité douloureuse et la diminution du nombre de spasmes et de la raideur. On constate une diminution significative de la fréquence des crises épileptiques – de 48,7 crises en moyenne par mois à M0 à 26,1 à M6 – avec, par ailleurs, une amélioration de 57 % de l’état de santé général entre M0 et M12 et des effets positifs sur les autres symptômes du syndrome épileptique(troubles du comportement, agitation). Les patients en oncologie et en soins palliatifs notent une diminution de la douleur, de la gravité des nausées les plus sévères et des troubles du sommeil.

Peu d’effets secondaires graves

Cerise sur le gâteau, les données d’addicto- et de pharmacovigilance montrent «un profil de sécurité conforme à l’attendu concernant le cannabis, avec peu d’effets indésirables graves notifiés», selon Nathalie Richard, au-delà de la phase initiale de titration. Surtout, aucun cas de détournement du cannabis médical, ni de dépendance n’est relevé. Dans une enquête auprès des patients menée par Viavoice, une grande majorité disait avoir ressenti des effets bénéfiques, dont 61% une amélioration de leur état physique et 35% une amélioration de leur état psychologique. Et 93% des patients interrogés étaient favorables à la généralisation du cannabis médical, et jusqu’à 82% parmi ceux ayant quitté l’expérimentation. Des études complémentaires sont en cours, avec l’Assurance-maladie notamment, pour croiser les données et voir si les patients consomment moins de médicaments antidouleurs ou d’antidépresseurs. Le cannabis est déjà autorisé dans 22 pays européens pour calmer la douleur et l’anxiété de patients atteints de cancer et d’autres maladies, a rappelé Nathalie Richard. En France, le consensus médical n’est pas total : l’Académie de pharmacie, suivie par l’Académie de médecine, a ainsi régulièrement critiqué l’expérimentation du cannabis thérapeutique2.

  1. «L’heure du cannabis thérapeutique en France est venue», Libération, 10 octobre 2023. voir aussi sur notre site ↩︎
  2. Par exemple ↩︎