L’usage de stupéfiants a été pénalisé en France par la loi du 31 décembre 1970 qui prévoit que tout contrevenant, sans distinction de produit, encourt une peine allant jusqu’à un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende. L’éventail des réponses pénales n’a cessé de s’élargir, notamment en distinguant l’infraction d’usage de celle de détention-revente et en tentant d’apporter un traitement individualisé aux auteurs. Les critères de différenciation n’étant pas explicités par les textes, l’appréciation est de fait laissée aux policiers, gendarmes ou magistrats, qui se trouvent souvent peu qualifiés à opérer une telle distinction.
En tout état de cause, on constate une augmentation constante du nombre d’affaires relatives à des infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS) traitées par les parquets des tribunaux de grande instance. En 2018, on en a dénombré 166 500 dont les trois-quarts (123 200)1Ministère de la Justice, fichier statistique du casier judiciaire national des personnes physiques, données 2018. pour de l’usage, simple ou associé à de la détention de stupéfiants, ce qui correspond à un peu plus de 5% du nombre total des affaires dont ont été saisis les tribunaux. Si ce pourcentage peut paraître anecdotique, l’articulation de la chaîne pénale autour des auteurs d’infractions à la législation sur les stupéfiants présente des particularités qui ont un impact significatif sur les réponses pénales apportées.
Sélection
Les infractions à la législation sur les stupéfiants sont des délits sans victime identifiée (si ce n’est parfois l’usager lui-même), la procédure est donc dans l’im- mense majorité des cas déclenchée non pas par un dépôt de plainte, mais à l’initiative des services de police ou de gendarmerie, à l’occasion d’un flagrant délit ou d’un contrôle d’identité. Sans nécessité d’enquête préalable et affichant un taux d’élucidation de quasiment 100%, les interpellations des usagers de stupéfiants mobilisent largement les forces de l’ordre et les budgets alloués sans pour autant remplir l’objectif affiché de «remonter les réseaux», puisque seulement environ 3% concernent des personnes impliquées dans un trafic. On sait également que les contrôles policiers ont tendance à cibler davantage certaines catégories d’usagers: ceux qui doivent consommer dans l’espace public, c’est-à-dire le plus souvent les personnes précaires ou marginalisées, et ceux qui subissent la sélection ethnique et sociale des agents de forces de l’ordre2« La Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers », Didier Fassin, Seuil, 2011.. On retrouve ainsi majoritairement des usagers de cannabis, de sexe masculin et issus de zones dites «sensibles» puisque c’est là que le déploiement policier est le plus important. La sélection opérée à ce moment de découverte de l’infraction se retrouve nécessairement lorsque l’affaire est portée devant un tribunal.
Systématisation de la réponse pénale
Les tribunaux ont appliqué depuis plusieurs années le principe de la systématisation de la réponse pénale pour éviter le classement sans suite des affaires d’usage de stupéfiants. Pour pallier l’engorgement que cela aurait pu causer, le législateur a développé un certain nombre d’alternatives aux poursuites parmi lesquelles figurent le rappel à la loi (classiquement réservé aux jeunes ou aux primaires), l’injonction thérapeutique ou encore la composition pénale pouvant prendre la forme d’un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de stupéfiants. Pour ce dernier point, il est à noter qu’il est à la charge financière de l’usager –de l’ordre de 200 euros– ce qui est susceptible encore une fois d’écarter les personnes en situation de précarité qui s’exposent alors à des poursuites judiciaires. En outre, la multiplication de ces alternatives aux poursuites a laissé la main aux parquets territorialement compétents sur les modalités de poursuites ou d’alternatives à adopter en fonction des publics concernés et des quantités de stupéfiants saisies, ce qui occasionne des disparités sur le territoire national. À titre d’exemple, au sein du parquet de Lille, tous les primo-délinquants se voient proposer d’effectuer un stage, quelle que soit la substance ou la quantité, alors qu’il n’est pas rare dans certains départements que la consommation de certaines substances peu «courantes» sur le territoire de ces juridictions (MDMA, 3MMC…) entraînent des condamnations plutôt lourdes, avec des mises à l’épreuve de plusieurs années, alors même que les personnes mises en cause, généralement des consommateurs «festifs», ne présentent pas nécessairement de problématique addictive ni même un risque important de récidive, ou du moins de trouble à l’ordre public.
Individualisation des peines
Pour ceux qui n’échappent pas aux poursuites, la loi du 15 août 2014 est venue consacrer le principe d’individualisation des peines c’est-à-dire la prise en compte par les magistrats des circonstances de l’infraction, de la personnalité de l’auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale3Article 132-1 du Code pénal.. S’il s’agit évidemment d’une louable avancée, notamment après plusieurs années de prononcés de peines planchers, cela suppose que les juridictions aient connaissance, au moins partiellement, de la situation de la personne mise en cause. Dans le cas des usagers de stupéfiants, la voie privilégiée pour prévenir l’engorgement des tribunaux directement lié au nombre d’interpellations, c’est la comparution immédiate (CI) ou la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), soit l’homologation d’une peine par le procureur sans tenue d’une réelle audience. Dans ces cas de figure, ni les magistrats, ni les avocats ne disposent du temps ou des moyens nécessaires à la réalisation d’investigations en amont de l’audience. En outre, les usagers les plus marginalisés, sans emploi, sans domicile pérenne ou présentant moins de facteurs d’une réinsertion possible accèdent moins facilement à des peines alternatives à l’incarcération, alors même qu’ils pâtiront encore plus des effets désocialisants de l’incarcération. Néanmoins, pour les infractions d’usage simple, la tendance est plutôt au développement des peines alternatives à l’incarcération : travail d’intérêt général (TIG), jours-amendes, sursis simple ou assorti d’une mise à l’épreuve lors de laquelle ils devront faire contrôler le respect de leurs obligations et se faire assister par un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). Dans ce dernier cas, les usagers de stupéfiants condamnés se voient très souvent soumis à une obligation de soins4Article 132-45 du Code de procédure pénale..
Disparités des réponses
Pour l’institution judiciaire, la finalité du soin est de mettre un terme à ce qu’elle considère comme à l’origine de la commission de l’infraction. Aussi, une obligation de soins est quasi systématiquement prononcée par les tribunaux lors d’une condamnation pour usage de stupéfiants. En cas de non-respect de cette obligation, un magistrat peut ordonner la révocation de la mesure et, au plus, l’incarcération de la personne.
Ici encore, les politiques des Juges d’application des peines (JAP) connaissent des disparités importantes sur le territoire. Si la grande majorité considère l’obligation remplie lorsque la personne s’oriente vers son médecin traitant ou vers une structure spécialisée, d’autres considèrent qu’une prise en charge de réduction des risques (type Caarud) constitue déjà un premier pas vers la résolution du problème, et d’autres exigent, en dépit de la loi et parfois du bon sens, que les condamnés fournissent des analyses biologiques visant à contrôler leur abstinence au produit. Les liens entre acteurs judiciaires et sanitaires sont de fait rendus compliqués par l’impression mutuelle de la poursuite d’objectifs différents. Enfin, sur certains territoires ruraux, on assiste à un engorge- ment exponentiel des structures de soins, ce qui rend difficile leur accès, notamment pour les personnes les plus isolées géographiquement et/ou socialement.
Un bilan mitigé
Globalement, on dresse un bilan plus que mitigé de l’intervention judiciaire dans le traitement des usagers de stupéfiants et notamment de cannabis. Le premier constat, partagé par l’immense majorité des acteurs intervenant autour de cette problématique, c’est l’inefficacité de l’incarcération. Par exemple, en avril 2019, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies remettait à l’administration pénitentiaire un rapport5«Circulation et échanges de substances psychoactives en milieu carcéral», résultats de l’enquête Circé sur la question du marché des drogues en prison, Caroline Protais (OFDT, Cermes 3) et Marie Jauffret-Roustide (Inserm, Cermes 3), avril 2019. sur la circulation et les échanges de substances psychoactives en milieu carcéral. Constatant que les substances transitent aisément de l’extérieur vers l’intérieur, occasionnant des risques multiples tant pour les personnes détenues (notamment les plus vulnérables) que pour les personnels, les auteurs recommandent de promouvoir les régimes d’exécution des peines alternatifs à la détention pour les auteurs d’infraction présentant des conduites addictives. À cette fin, on relève des initiatives intéressantes dans le ressort de certains tribunaux. C’est notamment le cas de l’Ouvrage à Bobigny6Association Aurore, programme de prise en charge renforcé et pluridisciplinaire proposé à des personnes dont l’infraction est en lien avec une addiction, en pré ou en post-sententiel.. Force est de constater que le législateur et le monde judiciaire se trouvent bien démunis face à des problématiques qui relèvent certainement davantage du soin ou de l’accompagnement médico-social. La dernière illustration en est la loi votée par l’Assemblée nationale le 23 novembre 2018, prévoyant une amende forfaitaire délictuelle (200 euros) pour usage de stupéfiants généralisée en septembre 2020. Ce nouvel accessoire semble n’être qu’un outil supplémentaire de gestion de flux et d’automatisation de la réponse pénale qui risque, une fois encore, de renforcer l’inégalité de la réponse pénale face à l’usage de stupéfiants.