À partir de la figure 1, essayons de réfléchir autour de l’affirmation: «l’interdit pénal actuel empêche de faire de la prévention», les uns l’affirmant avec la même conviction que d’autres la dénient.
Les grandes campagnes de prévention
Sur le socle de l’environnement favorable, je prendrai d’abord l’exemple des grandes campagnes de prévention. L’expertise rappelle leur intérêt quand il s’agit d’informer sur des conséquences. Leur rôle est plus discuté dans une stratégie de dissuasion par la peur.
La campagne de 2004 «Le cannabis est une réalité» essayait ainsi d’apporter des informations sur les effets ressentis du cannabis, au plus près de ce que pouvait être l’expérience de l’usager, notamment sur le plan cognitif. La loi de 1970 et sa pénalisation systématique de l’usage, son interdiction de parler des effets, notamment ceux ressentis comme positifs et agréables, limite aux messages «qui font peur» et confortent l’interdit qu’elle pose. Elle participe de cette tendance à privilégier la communication sur les risques, et sur la peur qui va avec.
Réduction des risques
Le deuxième exemple, tout aussi rapidement, est justement celui de la réduction des risques (RdR). Elle nécessite de s’intéresser à l’usage, sous tous ses aspects. La même pénalisation de l’usage simple rend difficile, pour ne pas dire impossible, d’informer sur la RdR. En diminuant les risques, la RdR reste suspectée d’encourager à l’usage, puisqu’elle en atténuerait les dangers.
En ce qui concerne l’éducation et le développement des compétences psychosociales, nous sommes également gênés. Nous ne croyons pas en France que l’on puisse faire le pari de l’éducation ou qu’un travail éducatif pourrait être utile. Ces programmes sont pourtant connus et adoptés dans de nombreux autres pays: Unplugged1Programme de prévention en milieu scolaire pour la prévention des conduites à risque liées à l’usage de substances psychoactives, SFP2Strengthening Families Program, programme de renforcement des compétences parentales, Triple P3Programme de soutien à la parentalité efficace sur Internet. Ils montrent que l’interdit n’est pas obligatoirement pénal ou judiciaire mais qu’il peut être aussi éducatif, porté à l’intérieur des familles, au sein des communautés éducatives. Conformes à l’esprit et la lettre de la charte d’Ottawa4Charte pour la promotion de la santé, 1986, ils sont un des éléments d’une politique intégrée de prévention.
Sans empêcher au sens littéral ce niveau de prévention, la pénalisation de l’usage, en faisant reposer l’interdit trop fortement sur la loi et la sanction pénale, disqualifie d’autant ces approches éducatives et leur interdit «éducatif». Cela s’est notamment vu par le choix de mesures coercitives, plus ou moins privilégiées selon les alternances politiques, comme les alternatives à la sanction pénale: stages et autres obligations de soins. Pour ces raisons, la Fédération Addiction s’était opposée à la mesure des «stages stupéfiants».
Le repérage
Le troisième niveau est celui du repérage: penser les questions de drogue sur le binôme pénalisation-médicalisation ne fonctionne que pour repérer le futur malade, pour l’intégrer dans une «filière de soin» ou le délinquant, pour le confier à la police et à la justice. On se prive d’un champ d’intervention et d’accompagnement, celui de la RdR, des programmes éducatifs, de la politique de la ville, de l’éducation spécialisée et surtout de l’autosupport des usagers. C’est le cas du vapotage par exemple, ou de programmes comme Housing First5En France, «Un Chez soi d’abord», est un programme qui propose en première instance un logement aux personnes sans abri souffrant de troubles mentaux ou d’addictions, les salles de consommation à moindre risque (SCMR), qui partent de la resocialisation, de la reconstruction de la personne avant l’intention thérapeutique. On repère pour amener au soin, sans autre préoccupation. Le binôme pénalisation/médicalisation induit par l’actuelle législation conduit à oublier cet espace central, et explique pourquoi tout un public concerné par les usages est délaissé, celui qui ne se reconnaît ni comme malade ni comme délinquant.
Le soin
Le dernier niveau est celui du soin, il ne concerne plus la question posée. Mais quelle que soit la qualité des soignants et leurs pratiques, il ne peut à lui seul répondre à la complexité et à la diversité des questions que nous posent les addictions.