De la culture et consommation traditionnelles de la feuille de coca jusqu’aux raids des commandos militaires dans les jungles andines, en passant par des rencontres avec des «mules» qui croupissent dans les prisons de Lima et les dernières techniques des trafiquants de poudre blanche – l’enquête, très riche, de Frédéric Faux nous embarque en Bolivie, au Pérou et en Colombie. Le reporter, correspondant du Figaro qui vit en Bolivie depuis 2012, retrace toute l’histoire de la petite feuille verte, sa mythologie, son économie, sa géopolitique, enrichie d’illustrations et de graphiques. Le style de la narration, agréable, et la densité de l’information font de Coca! «un road movie écrit au fil des routes andines», comme il le définit luimême dans son avant-propos. «Sur la piste de la petite feuille magique, j’ai croisé les planteurs boliviens des Yungas, affairés sur des terrasses agricoles remontant à l’époque inca. J’ai accompagné les mineurs péruviens de La Rinconada, la ville la plus haute du monde, et les yatiris d’El Alto, qui lisent l’avenir dans la plante sacrée. J’ai écouté les «mules» européennes qui moisissent dans les prisons de Lima, et les paysans colombiens victimes de fumigations aériennes. J’ai rencontré le frère de Pablo Escobar, à moitié sourd et aveugle, et les habitants du Chapare bolivien, nouvelle capitale du narcotrafic».
L’inanité de la guerre à la drogue made in USA
Au-delà des témoignages et narrations, joliment écrits, c’est aussi la relation de la saga malfaisante d’une «guerre la drogue made in US», dont on n’a plus à démontrer les effets destructeurs et pervers: loin d’éradiquer la production de coca, et encore moins de cocaïne, elle a contribué au contraire à la propager et renforcer, tout en jetant dans la misère des villages entiers et en détruisant l’environnement, explique Frédéric Faux. Le tout, sur fond de guérillas («Le Sentier Lumineux» au Pérou, les Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC]), d’exactions des milices paramilitaires, de guerre entre narcotraficants, aujourd’hui plus ou moins «décartellisés» et disséminé en petits clans.
En Bolivie, depuis 2006, avec l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales, cocalero (producteur de coca) amérindien très populaire qui a renouvelé l’an passé son mandat de président pour la troisième fois, on a privilégié une éradication concertée de la coca excédentaire. Pour protéger la coca originelle et ancestrale comme patrimoine culturel, ressource naturelle de la biodiversité bolivienne, facteur de cohésion sociale et aussi pour créer autour de sa production une filière industrielle (médicaments, boissons, produits de beauté). Avec pour mot d’ordre, «Coca si, cocaina no», pour faire pièce à la politique d’éradication de la coca financée pour une grande part par la Drug Enforcement Administration qui a surtout nui aux petits exploitants sous couvert de lutte contre les narcotraficants, se défend-t-il à la tribune de l’ONU, en mâchant des feuilles de coca. Evo Morales avait obtenu une exception à la convention unique sur les stupéfiants de 1961, dont un amendement autorise depuis 2013 la population bolivienne à mâcher les feuilles de coca. Son objectif: stabiliser la production du pays sur 20 000 ha. Malheureusement, selon les estimations des différents organismes internationaux, la consommation locale nécessiterait environ 6 000 hectares de plantation alors que la surface réellement plantée s’étendrait sur plus de 20 000 hectares, et près de 50 000 hectares au Pérou, dépassant d’une tête désormais la Colombie.
Au Pérou, les autorités envoient les forces armées pour arracher manuellement les plants de coca. En Colombie, on a ajouté la fumigation aérienne d’une variété de glyphosate développée par Monsanto, proche du Roundup® et testée dans les années 1970 au Mexique. Et on arrose tout, y compris les plantations «substitutives» de cacao, café ou ananas, faute de tenir compte des coordonnées GPS des «bons» agriculteurs! Or, la coca, la plante, costaud, qui pousse partout sur ces terres pauvres, est celle qui résiste le mieux à l’herbicide! Entraîné par les pluies et les rivières, il arrive jusqu’à l’océan où il fait crever tous les poissons… et les pêcheries!
Bref, on était parti «de l’idée généreuse d’un Plan Marshall comme en a bénéficié l’Europe après la Seconde Guerre mondiale et on se retrouve à l’arrivée avec une opération militaire», explique Frédéric Faux montrant comment l’intervention US avait surtout pour but de détruire l’alliance entre les narcos et la subversion.
Briser la spirale infernale
Aujourd’hui, c’est l’enjeu mondial pour enrayer «l’épidémie» de cocaïne qui a gagné «plein pot» les pays européens: là-bas et ici, c’est la spirale des drogues: prohibition, trafic, répression qu’il faut briser d’urgence. «Le vent de la dépénalisation» a poussé sur le constat d’échec qui a émergé dans les années 2000 explique Frédéric Faux dans le dernier chapitre «Dernières nouvelles du front». Le coup de boutoir est venu de la commission latino-américaine sur les drogues et la démocratie, un groupe de réflexion créé par des ex-présidents d’Amérique latine qui ont demandé en 2009 un «changement de stratégie dans la lutte contre les drogues». Depuis, les sommets, conférences, déclarations se succèdent, allant toutes dans le même sens, tandis que la fièvre des fumigations aériennes s’apaise en Colombie et que les FARC, qui négocient leur retour à la vie civile, ont envisagé, par un accord historique du 16 mai 2014, de se désengager du narcotrafic… Mais, wait and see: il n’est pas encore entré en vigueur.
Et en France? Le débat peine toujours à émerger…
Bibliographie
Coca ! Une enquête dans les Andes. Actes Sud. Questions de société, 336 pages, prix indicatif : 21,90 euros