Cet article a été publié dans Transcriptases n°144 Spécial Vienne 2010, réalisé en partenariat avec l’ANRS.
La XVIIIe conférence de l’International Aids Society a accordé une place de premier plan aux Etats d’Europe de l’Est et d’Asie centrale. L’attention s’est portée sur des populations particulièrement vulnérables, condamnées à des formes de clandestinité extrêmement préjudiciables et exposées aux risques d’infection par le VIH/sida : les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH), les usager(e)s de drogue et les professionnel(le)s du sexe. La Conférence a tenu à souligner que des réponses particulièrement adaptées et efficaces peuvent être mises en place notamment en faveur des personnes prostituées, y compris dans des Etats qui ne respectent pas leurs droits.
La Conférence a tout d’abord permis de rappeler que les personnes prostituées sont en majorité migrantes. En Europe, les migrations ne se déroulent pas seulement entre les Etats de l’Est européen vers ceux de l’Ouest européen, mais entre les différents Etats de l’ex-bloc soviétique et ses satellites et à l’intérieur même de ces Etats. Les personnes migrent de leur propre initiative mais sont contraintes, afin de survivre, d’exercer un commerce du sexe. Les difficultés rencontrées par ces personnes, y compris celles qui migrent au sein de leur propre pays ont été rapportées. Des témoignages, en provenance de Russie, d’Ukraine et du Kirghizstan1Munk V, «Sex Workers in Europe and Central Asia : Mobility, Migration and Human Rights», TUSY09 ont rendu compte des trajectoires de jeunes femmes, parfois mineures, issues de milieux modestes et originaires de la campagne, amenées à migrer dans une grande ville et à exercer la prostitution dans des conditions difficiles, voire parfois dramatiques. Les personnes prostituées subissent des rapports sexuels non consentis, des violences récurrentes, une forte stigmatisation et un harcèlement policier contraire aux lois2«Law on The Street : Reforming Police Practice Towards Sex Workers and People Who Use Drugs», TUAF04.
Cet environnement extrêmement défavorable a pour principale conséquence d’augmenter la prostitution discrète, dans des lieux moins accessibles aux services susceptibles d’offrir un accès à l’information, aux soins et à la prévention, de compliquer la négociation de l’usage du préservatif avec le client, de renforcer la vulnérabilité sanitaire et sociale des personnes et de majorer leur exposition aux risques d’infection. Des exemples de situations en Russie3«Sex workers in the Russian Federation», SUSA23, en Serbie4«Police violence and “fear-based policy” as barriers to HIV prevention : qualitative case studies in Russia and Serbia», TUAF0402, en Amérique Latine (s’agissant notamment des personnes transgenres et des hommes professionnels du sexe)5Villayzan Aguilar J, «Homophobia, whorephobia and violence continue to drive vulnerability of female, transgender and male sex workers in Latin America», THSY0803 présentés lors de la Conférence ont été particulièrement édifiants.
Dans d’autres régions du monde, des interventions ont souligné que la vulnérabilité des personnes et leur exposition au VIH/sida et aux infections sexuellement transmissibles (IST) résultaient de pratiques spécifiques, soit de l’usage de drogues, et plus spécifiquement d’amphétamines chez les professionnel(le)s du sexe de Phnom-Penh (Cambodge)6Couture MC, «Amphetamine-type stimulant use increases HIV risk among young women engaged in sex work in Phnom Penh, Cambodia», MOAC0304, soit de pratiques intra-vaginales (douches ou insertions vaginales à des fins d’hygiène notamment) chez des femmes exerçant en Tanzanie7Francis S, «Intravaginal practices in a cohort of women at high risk in North-West Tanzania : baseline associations with HIV», MOAC0305. Ces dernières pratiques, relativement répandues chez les femmes originaires d’Afrique subsaharienne professionnel(le)s du sexe facilitent les affections génitales et la transmission des maladies infectieuses et peuvent également réduire l’impact des nouvelles méthodes de prévention telles que les microbicides vaginaux. Le suivi d’une cohorte de femmes travaillant dans des bars, des boites de nuit, des hôtels et des guesthouses dans le Nord Ouest de la Tanzanie a confirmé que les pratiques intra-vaginales augmentent le risque de transmission du VIH/sida.
Face à l’ensemble de ces enjeux, plusieurs interventions ont rappelé que de nombreux Etats n’engagent aucune action publique de premier plan en faveur de l’accès aux soins et à la prévention au bénéfice de ces populations. De surcroît, plusieurs Etats pénalisent la pratique de la prostitution ou du racolage et ne prennent pas les mesures adaptées pour garantir les droits des personnes prostituées. Néanmoins, des initiatives locales ou nationales plus favorables aux professionnel(le)s du sexe et à la lutte contre le VIH/sida se sont multipliées ces dernières années. Elles visent la fourniture de services et l’amélioration de l’environnement des personnes.
Dans de nombreux Etats, dont certains sont à ressources limitées, les associations et pouvoirs publics ont lancé, depuis plusieurs années, des programmes de santé ciblés spécifiquement sur les personnes prostituées, financés par des fondations privées et soutenues par les membres de la communauté des professionnel(le)es du sexe. Les programmes présentés lors de la Conférence et réalisés dans certains Etats de l’Asie Centrale8Deryabina A, «Comprehensive HIV prevention services for sex workers reduces HIV risk in Central Asia», MOAC0303, en Ukraine9«The role of sex-workers in addressing HIV-can community mobilization help ?», TUAF0105, en Inde10Moses S, «Increased condom use and decreased HIV/STI prevalence among female sex workers following a targeted prevention program in Karnataka, South India», MOAC0301
Deering KN, «The impact of a large-scale core group intervention on condom use among female sex workers in South India», MOAC0302 s’appuient sur une approche globale : ils offrent à la fois un accès à la prévention, à ses outils et aux soins mais également un soutien psychosocial et juridique. Ils sont en grande partie menés par des pairs, des membres de la communauté susceptibles d’atteindre plus facilement les personnes ciblées et de gagner leur confiance. Les études ont confirmé que de tels programmes pouvaient notamment réduire la transmission du VIH/sida et des ISTIST Infections sexuellement transmissibles. augmenter le recours au dépistage, et l’usage du préservatif, principalement lors de relations avec des clients réguliers, au cours desquelles est souvent observé un relâchement des pratiques de prévention. Il est nécessaire de rappeler que les programmes communautaires et plus généralement les associations de professionnel(le)s du sexe sont peu nombreux, particulièrement dans les Etats d’Europe de l’Est et d’Asie centrale11Buzon MJ, «The role of sex-workers in addressing HIV – can community mobilization help ?», THAF0105.
Il a par ailleurs été souligné, que des initiatives publiques de santé, pourtant favorables aux personnes prostituées, ont entrainé des effets négatifs. Certains programmes heurtent le droit des personnes lorsque les pouvoirs publics organisent, comme en Inde, des campagnes de dépistage en direction des personnes prostituées sans offrir des garanties suffisantes en termes de counselling et de consentement12Thibutot C, «Sex workers’rights in the context of law reform and HIV : progress and retreat in decriminalizing sex work», MOSY0903. En outre, ces programmes peuvent s’avérer contre-productifs en termes de financement de la lutte contre le VIH/sida lorsqu’ils ciblent trop fortement les professionnel(le)s du sexe alors que de nombreux donateurs préfèrent s’engager à intervenir, en suivant une perspective coût-efficace, en faveur de l’ensemble de la population d’un Etat, dans un contexte d’épidémie généralisée.
En dehors des programmes précédemment évoqués, des initiatives susceptibles d’améliorer l’environnement des personnes prostituées ont été présentées. Plusieurs Etats mettent en oeuvre une coopération entre les responsables de la police et les professionnel(le)s du sexe et leurs associations afin de sensibiliser les agents de police aux difficultés rencontrées par les personnes prostituées sur la voie publique et de remédier au harcèlement de la part des clients ou de la police. Les violations des droits des personnes sont strictement répertoriées par les professionnel(le)s du sexe associés aux autorités en charge de la police au Kenya et de la justice en Afrique du Sud13«Arrest the violence and halt HIV : strategies for reducing police abuse against sex workers», TUAF0401
Les violations des droits des personnes prostituées au Kenya ont notamment été signalées à Vienne lors d’une autre intervention :
Kamau G, «Upholding the rights of sex workers and bar hostesses in Kenya», MOGS05. Des formations à destination des agents de la police sont également organisées dans différents pays, notamment au Pérou14Murguia Pardo CR, «Female and Transgender commercial sex workers empowered to fight against discrimination and other human rights violation : a multisectoral experience ongoing in four regions of Peru», THAF0102 et au Kirghizstan15Thomas R, «Arrest the violence and halt HIV : strategies for reducing police abuse against sex workers», TUAF0401 qui a adopté au plus haut niveau des directives à destination de l’ensemble des agents du ministère de l’intérieur.
Les coopérations menées avec la police demeurent indispensables. La dépénalisation de la prostitution, engagée dans différents Etats, n’entraine par l’arrêt des mises en cause des personnes prostituées par la police et les autorités religieuses comme au Pakistan16Shahzad K, «Role of Police in shaping the legal environment for female sex worker in Pakistan», TUAF0404 qui a modifié sa législation depuis 2002. En Inde, des coordinateurs membres de la police, sont nommés dans chaque région pour faire appliquer par les 2,5 millions de policiers du pays les lois sanitaires et sociales. La dépénalisation peut, en outre, s’accompagner d’une pénalisation du client ou d’une interdiction d’incitation ou de promotion de la prostitution17Ditmore MH, «A case story analysis of the implementation of PEPFAR’S anti prostitution pledge and its implication for successful HIV prevention among organization working with sex workers», THAF0103 qui peuvent se révéler préjudiciables pour les personnes prostituées ou les actions de lutte contre le VIH/sida18Sex Work legislation : solution or problem ?, TUSA06.
Face à ces évolutions législatives, de nombreux intervenants issus des associations sont revenus sur la nécessité de mettre en œuvre une réglementation professionnelle protectrice des droits, en particulier sociaux, et appellent à décriminaliser certaines formes de proxénétisme pour permettre aux professionnel(le)s du sexe de requérir une aide de leur propre chef (à des fins de protection ou de facilitation des rencontres). Ils appellent, par ailleurs, à lever la confusion qui prévaut entre, d’une part, les professionnel(le)s du sexe, désireux d’exercer librement leur activité et, d’autre part, les victimes de trafics d’êtres humains et du proxénétisme d’exploitation. De nombreux gouvernements entretiennent la confusion et répondent aux questions posées sur la prostitution en s’attachant aux seuls droits des victimes de la traite des êtres humains.
Comme sur d’autres sujets, la Conférence a été l’occasion de placer au devant de la scène les membres de la communauté des professionnel(le)s du sexe qui jouent un rôle de premier plan, en particulier dans les Etats d’Europe de l’Est et d’Asie centrale. Ils doivent bénéficier du soutien de tous, des autorités dans leurs pays respectifs et de l’ensemble de la communauté mondiale de lutte contre le VIH/sida.
>>> Vienne 2010
Toute l’actualité de Vienne 2010 est sur Vih.org. A l’occasion de la conférence, Vih.org s’associe à Libération.fr et Yagg.com. Les photos et l’ambiance de la conférence sont sur Vu, le regard de Vih.org.