Vienne 2010 — Droits humains et VIH : mettre fin aux centres de détention pour usagers de drogues

Cet article a été publié dans Transcriptases n°144 Spécial Vienne 2010, réalisé en partenariat avec l’ANRS.

La XVIIIe Conférence internationale sur le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. qui s’est tenue à Vienne en juillet, avait pour thématique principale le respect des droits de l’homme et, notamment, ceux des usagers de drogues injectables (UDI), outrageusement bafoués dans de nombreux pays, particulièrement en Europe de l’Est et en Asie.

La Déclaration de Vienne1«La criminalisation des utilisateurs de drogues illicites alimente l’épidémie de VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et a eu des retombées essentiellement négatives sur la santé et la société. Nous avons besoin d’une réorientation complète des politiques» (extrait de la Déclaration de Vienne), publiée à l’occasion de la conférence, demande explicitement que l’on reconnaisse notamment l’inefficacité et les effets contre-productifs de la criminalisation et de l’enfermement des UDI.

Plusieurs rapports ont en effet récemment attiré l’attention, dans différents pays, sur l’enfermement d’usagers de drogues illicites dans des centres de détention où ils seraient soumis à des «traitements» ou des «réhabilitations», pour des périodes souvent prolongées. Dans les faits, les traitements subis ne respectent pas les standards internationaux de prise en charge des usagers de drogues. Les personnes sont l’objet de coercition, de travail forcé voire même, bien souvent, de mauvais traitements et de torture. Il s’agit de violations caractérisées des droits humains.

Michel Kazatchkine, le directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, s’est ému, lors du deuxième Symposium annuel sur le VIH, le droit et les droits de la personne, à Toronto, en juin 2010, de l’utilisation de subventions du Fonds mondial pour le financement de certains de ces centres. Il a rappelé que, pour le Fonds mondial, ces centres devraient être fermés et remplacés par des centres de traitement ouverts, offrant des services efficaces de prévention et de traitement de l’infection à VIH. Il a néanmoins reconnu que, tant et aussi longtemps qu’il existe de tels centres coercitifs, les détenus devraient au moins avoir accès à des soins, des traitements et des mesures efficaces de prévention2Kazatchkine M, «HIV/AIDS Policy and Law Review», 2010, 15, 1, (sous presse).

En effet, d’une part, il n’existe aucune preuve que des mesures d’enfermement réduisent de façon significative la prévalence de la consommation de drogues3Degenhardt L et al., «Toward a global view of alcohol, tobacco, cannabis, and cocaine use : Findings from the WHO World Mental Health Surveys», PLOS Medicine, 2008, 5, 1053-67. D’autre part, beaucoup des jeunes usagers enfermés sont infectés par le VIH ou/et le VHC et sont laissés sans soins appropriés lors de leur détention, souvent prolongée. La prévalence du VIH atteint ainsi 70 à 80% parmi les UDI en Chine et au Vietnam4«2008 Report on the global AIDS epidemic.», The Joint United Nations Program on HIV/AIDS, Geneva, 2008, www.unaids.org.

De plus, les politiques de répression et d’enfermement alimentent l’épidémie. D’une part, des clusters épidémiques sont décrits chez les usagers incarcérés, en l’absence de tout service de prévention dans ces milieux5Jurgens R et al., «Interventions to reduce HIV transmission related to injecting drug use in prison», Lancet Infect Dis, 2009, 9, 57-66. D’autre part, les politiques répressives poussent les UDI à éviter les services de prévention et de soins et à se tourner vers des pratiques à risque élevé de transmission du VIH et des hépatites B et C6Rhodes T et al., «Situational factors influencing drug injecting, risk reduction and syringe exchange in Togliatti City, Russian Federation : a qualitative study of micro risk environment», Soc Sci Med, 2003, 57, 39. Ces politiques s’accompagnent généralement de taux d’incarcération élevés et renforcent la stigmatisation7Ahern J et al., «Stigma, discrimination and the health of illicit drug users», Drug and Alcohol Dependence, 2007, 88, 188. Le travail forcé et les traitements inhumains et dégradants sont pratique courante. Les exécutions de personnes condamnées pour infractions liées aux drogues ne sont pas rares, notamment en Asie.

Des centres dirigés par des militaires

Lors de la conférence de Vienne, plusieurs communications décrivaient les caractéristiques de ces centres de détention dans plusieurs pays d’Asie, où ces centres sont généralement dirigés par des militaires ou des autorités de police et staffés avec des personnels sans formation adéquate pour délivrer des soins, de la prévention ou des traitements à des UDI, a fortiori s’ils souffrent d’infection à VIH ou d’hépatites chroniques.

En Chine, la loi de 2008 sur le contrôle de la toxicomanie a mis fin à la détention des UDI dans des centres de rééducation par le travail, mais elle autorise leur confinement dans des centres de réhabilitation pour des périodes qui peuvent aller jusqu’à quatre ans, après une sentence de un à deux ans en centre de détention. Au Cambodge, plus de 2300 UDI sont détenus dans 11 centres dispersés dans le pays. 25% sont âgés de 18 ans ou moins.

En 2009, R. Pearshouse et ses collègues (Human Rights Watch) ont interrogé 33 IDU en Chine du Sud et 53 au Cambodge, récemment libérés d’un centre de détention pour toxicomanes8Pearshouse R et al., «Drug detention centers and HIV in China and Cambodia», MOAF0203. Les questions portaient sur les arrestations et persécutions policières, les conditions de détention et l’accès aux soins et aux services de prise en charge VIH dans les centres. Dans les deux pays, l’interrogatoire a révélé des arrestations illégales, des détentions sans condamnation ni procès. Les personnes interrogées rapportaient également des mauvais traitements, du travail forcé et un refus d’accès aux soins. La détention dans ces centres était donc manifestement un obstacle à l’accès à la prévention et au traitement de l’infection à VIH. Malgré la promesse faite par les gouvernements chinois et cambodgiens d’améliorer les conditions de vie et de soins dans ces centres de détention, Human Rights Watch concluait que la meilleure solution, tant du point de vue des droits de l’homme que du point de vue de la santé publique, était de les fermer.

Au Vietnam, les centres de réhabilitation pour toxicomanes, dits «centres 06» (n=123) sont des structures dans lesquelles les UDI sont internés pour une durée de un à deux ans. Ils y subissent une cure de désintoxication, de séances d’éducation morale et de travail. Ils sont ensuite suivis dans un centre communautaire pour une post-cure, pour une durée de un à deux ans. Le système actuel n’offre pas ou très peu de traitements scientifiquement validés ou de services de prise en charge pour les patients infectés par le VIH. La prévalence pour le VIH y est d’environ 50% et le taux de rechute des IDU, après leur libération, est de 70-90%. Vu et ses collègues (Health Policy Initiative Vietnam), financés par Usaid/Pepfar, ont développé une stratégie selon deux axes : 1) réunir les éléments de plaidoyer nécessaires pour faire changer radicalement le système et 2) parce que ces changements vont prendre du temps, améliorer les conditions de prise en charge des milliers de personnes qui sont détenues dans ce système national de réhabilitation, sur des bases scientifiquement validées9Vu Y et al., «Improving the drug rehabilitation system in Vietnam : a two-track strategy», MOAF0204.

Sur le volet du plaidoyer, la recommandation des auteurs est de lancer une évaluation exhaustive de l’efficacité et du coût du système actuel et des projets alternatifs communautaires qui apparaissent. Sur le volet concernant l’amélioration des conditions de prise en charge, cette équipe travaille à incorporer des amendements aux nouveaux textes législatifs et réglementaires afin que le nombre de personnes envoyées dans les centres de détention diminue, que la durée de séjour soit plus courte et que les services de prise en charge offrent des traitements scientifiquement validés en plus grand nombre, incluant méthadone et accompagnement psychologique, ainsi qu’une prise en charge globale de l’infection à VIH, dans les centres de détention comme dans les centres communautaires. Les auteurs rapportent toutefois de fortes résistances idéologiques, politiques et économiques à changer le système mais aussi, à l’inverse, un appui solide de la part de certaines autorités gouvernementales de haut niveau, d’organisations émergentes de la société civile et d’organisations internationales.

Echec des politiques répressives

Ces deux exemples, en Asie, ne sont pas isolés. La situation des UDI est particulièrement préoccupante en Europe de l’Est et en Asie centrale. Elle est globalement préoccupante, presque partout, en termes d’accès aux soins, à la prévention et aux traitements, que les UDI soient incarcérés ou non10Mathers BM et al., «HIV prevention, treatment and care services for people who inject drugs : a systematic review of global, regional and national coverage», Lancet, 2010, 375, 1014-28.

Malgré les évidences11Klag S et al., «The use of legal coercion in the treatment of substance abusers : An overview and critical analysis of thirty years of research», Substance Use & Misuse, 2005, 40, 1777, l’échec des politiques répressives sur la prévalence de l’usage de drogues et celle des infections virales associées est souvent nié par les autorités politiques de ces pays. Les acteurs de santé et les représentants de la société civile présents lors de la conférence de Vienne ont tous vigoureusement rappelé aux gouvernements et aux organisations internationales leurs obligations éthiques, juridiques et sanitaires en supprimant, notamment, les centres d’internement des UDI qui sont inefficaces et violent la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Une réorientation des politiques liées aux drogues vers des approches fondées sur des preuves qui respectent, protègent et renforcent les droits humains réduirait les préjudices causés par les politiques actuelles et permettrait de rediriger les considérables ressources financières dédiées là où on en a le plus besoin, c’est-à-dire dans l’adoption et l’évaluation d’interventions scientifiques de prévention, de traitement et de réduction des risques et préjudices12Wood E et al., «Illicit drug addiction, infectious disease spread, and the need for an evidence-based response», Lancet Infect Dis, 2008, 8, 142-3,13WHO, Unodc, Unaids 2009, «Technical Guide for countries to set targets for universal access to HIV prevention, treatment and care for injection drug users», www.unodc.org.

>>> Vienne 2010
Toute l’actualité de Vienne 2010 est sur Vih.org. A l’occasion de la conférence, Vih.org s’associe à Libération.fr et Yagg.com. Les photos et l’ambiance de la conférence sont sur Vu, le regard de Vih.org.