Comment construire un programme répondant aux standards de la réduction des risques dans la capitale d’un pays en guerre et de surcroît premier producteur mondial d’opium? Une partie de l’équipe a expliqué à Vienne comment elle a relevé ce défi pour le moins ardu.
En guerre depuis trente ans, l’Afghanistan compte 6 millions de personnes déplacées, des indicateurs socio-économiques très bas (plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté) et une très forte disponibilité d’opium et d’héroïne. Un tableau qui a entraîné ces dernières années, entre autres, une inquiétante poussée de l’usage de drogues.
L’héroïne est très bon marché et de haute qualité, notamment à Kaboul. Dans le sud, l’usage d’opium est très développé, notamment chez les femmes et les enfants (certaines mères en donnent à leurs bébés pour pouvoir aller travailler pendant qu’ils dorment). L’usage de drogue par inhalation est stigmatisé et combattu par la police, ce qui pousse certains à s’injecter en cachette.
Autre obstacle, et non des moindres, à la mise en œuvre de la réduction des risques, la «guerre à la drogue» menée par l’OTAN, qui a reçu en 2009 l’autorisation de l’Etat afghan d’attaquer voire tuer les producteurs d’opium. Pour les usagers, cette «guerre à la drogue» s’est traduite par l’ouverture d’une quarantaine de centres de détoxification, générateurs de nombreuses atteintes aux droits de l’homme. La position de l’Onudc a été dénoncée à Vienne comme «schizophrénique» par Olivier Vandecasteele, le coordinateur de l’équipe, puisque l’agence onusienne soutient ces centres dans le cadre de la guerre contre la drogue alors qu’ils ne correspondent pas aux recommandations de traitement qu’elle promeut par ailleurs.
L’incidence d’hépatite C la plus forte au monde
Le projet a débuté en 2006, dans ce contexte de forte augmentation du nombre de personnes usagères de drogues (l’ONU a estimé à 1,5 million, soit 6% de la population, le nombre d’usagers en 2009), parmi lesquelles la consommation d’héroïne tend à remplacer celle de l’opium dans les villes (de 50 000 à 120 000 usagers en cinq ans, dont 30% à 40% s’injectent), et avec des taux d’infection par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. relativement bas, mais en rapide augmentation (3% en 2006, 7% en 2009) et une incidence d’hépatite C la plus forte au monde (sur 100 injecteurs négatifs, plus de 42 vont devenir positifs pour le VHC dans l’année).
Commencé avec l’ouverture d’un centre «drop-in», le programme a depuis mis en place tous les éléments de la réduction des risques : information, «outreach», échanges de seringues, distribution de préservatifs, prévention, testing et traitement des ISTIST Infections sexuellement transmissibles. de la tuberculose et du VIH, soutien psychologique et mental, aide à la réintégration socio-économique, prévention et management des overdoses, substitution opiacée…
A Vienne, l’équipe a détaillé le travail accompli : Feza Ibrahimi, conseillère psychosociale, a expliqué comment elle aide les utilisateurs de méthadone à reprendre contact avec leurs familles, ainsi que dans la recherche d’un travail ou d’un hébergement (70% sont sans-abri).
Le Dr Amin, coordinateur du projet méthadone, en a présenté les grandes lignes. Lancé le 22 février, il concerne actuellement 51 personnes, avec de nouvelles inclusions chaque mois pour un but à terme de 200 patients. Le Dr Rafiq a, de son côté, exposé les premières données concernant l’accès au traitement anti-VIH.
Travailleur social, Abdur Rahim a raconté les conditions de vie de ses «pairs» usagers, la plupart SDF et souffrant de la faim. «J’ai été usager pendant plusieurs années, a expliqué Saïd Reza, pair éducateur pour MDM. Ma situation personnelle s’est beaucoup améliorée, mais la plupart de mes amis sont usagers de drogue et ont besoin d’aide.» L’éducation par les pairs est très efficace pour rentrer en contact avec les usagers, mais aussi pour éviter des overdoses, un problème majeur à Kaboul. En moins d’un an, les pairs de l’association ont ainsi permis, en utilisant de la naloxone, d’éviter en moins d’un an plus de 30 overdoses.
Un centre national de formation à la RdR
La réalisation de ce programme «modèle» se double de la création d’un centre national de formation et de ressources, ouvert début 2010, qui va permettre de diffuser les «bonnes pratiques» de réduction des risques en Afghanistan. Comme l’explique Murtaza M. Drifoladi, responsable du centre de ressources et de formation RdR et VIH, le pays a un gros besoin de formation, et «les ONG afghanes sont très intéressées et prêtes à apprendre. Certaines commencent à passer d’une logique de détoxification à une logique de RdR».
Mais les objectifs de la mission ne s’arrêtent pas là, comme l’explique Chloé Forette, coordinatrice du centre de ressources: il s’agit maintenant de finaliser et la création de l’association de RdR afghane OHRA, qui prendra la relève de Médecins du monde, et d’envisager le lancement d’un projet d’accès à des traitements génériques de l’hépatite C
En somme, le programme de Kaboul illustre à merveille le «nouveau paradigme» promu par l’International AIDS Society dans son Rapport global sur le traitement des usagers de drogues par voie intraveineuse, «Seek, Test, Treat and Retain», présenté jeudi 22 juillet à la Conférence de Vienne.