Cet article fait partie du Transcriptases n°147.
Cette animation a été réalisé gracieusement par Big Dipper et Qouet, deux jeunes étudiants en graphisme.
En France, comme dans de nombreux pays, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) sont exclus de façon permanente du don du sang parce qu’ils ont un risque plus élevé d’être infecté par le VIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. mais aussi par le virus de l’hépatite B ou la syphilis.Cette exclusion a commencé au début des années 1980 au moment où les relations sexuelles entre hommes sont apparues comme un mode important de transmission du VIH et que les techniques de détection du virus n’étaient pas disponibles. Après la mise en place du dépistage systématique diagnostic génomique viral (DGV) sur les dons de sang en 2001, les autorités de santé ont maintenu l’exclusion permanente des HSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. principalement à cause de la fenêtre silencieuse qui suit l’infection : 10 à 12 jours pendant lesquels les marqueurs de l’infection ne peuvent pas être détectés.
Des progrès importants
Depuis 1985, des progrès très importants ont été réalisés en matière de sécurité virale. Ils ont été principalement permis par l’amélioration de la sélection des donneurs et les progrès incessants dans les tests de dépistage. Malgré ces progrès, il persiste un risque résiduel de transmettre le VIH par transfusion, essentiellement lié à la fenêtre silencieuse. La sélection des donneurs reste donc un élément important pour assurer la sécurité virale des produits sanguins.
Dans le contexte de cette réduction du risque VIH, l’exclusion permanente des HSH a fait l’objet de nombreux débats. Certains militants homosexuels demandent un alignement sur le critère utilisé pour les hétérosexuels, c’est-à-dire le comportement sexuel dans les mois précédant le don.
Part du risque résiduel attribuable aux HSH
Notre étude publiée dans la revue Vox Sanguinis en 2011 propose d’abord une estimation inédite. Celle de la part attribuable aux donneurs HSH dans le risque résiduel actuel de transmission du VIH par transfusion en France, part associée au manque de compliance à l’exclusion permanente. Le risque résiduel global a été estimé sur la période 2006-2008 à 1/2 440 000 dons, ce qui correspond à environ un don potentiellement contaminant par an en France. En 2006-2008, 31 séroconversions VIH se sont produites chez des donneurs de sang réguliers ; il s’est avéré au cours de l’interrogatoire post-don que 15 étaient des HSH. Ceci correspond à une incidence du VIH chez les HSH donnant leur sang malgré la mesure d’exclusion actuelle 45 fois à 120 fois plus élevée que celle observée chez les autres donneurs.
La moitié des dons VIH positifs issus d’HSH
Même si l’incidence du VIH est beaucoup plus faible chez les donneurs de sang (0,08 %) que chez les HSH de la population générale (1 %) (3), il s’avère que presque la moitié des donneurs trouvés VIH-positifs ont été contaminés par des rapports sexuels entre hommes alors qu’ils sont en principe exclus à vie. Cette proportion est la même que celle observée en population générale parmi les nouvelles infections par le VIH en France. Les données d’une étude américaine ont montré que dans un échantillon de 25 168 donneurs de sang masculins interviewés de façon anonyme, 2,4 % ont déclaré des relations sexuelles entre hommes. Parmi eux, 9,9 % de ceux qui ont déclaré des relations sexuelles avec des hommes dans les 12 derniers mois, ont dit qu’ils étaient venus donner leur sang pour avoir un test VIH. Cela met en évidence le problème de compliance à la mesure d’exclusion des donneurs homosexuels et témoigne des limites de la mesure d’exclusion permanente.
Exclusion des HSH multipartenaires les 12 derniers mois
La deuxième partie de l’analyse évaluait l’impact qu’aurait l’exclusion des seuls HSH multipartenaires sur les 12 derniers mois, proche de celle utilisée pour les hétérosexuels multipartenaires (exclusion de 4 mois). Cela pourrait aboutir à un risque allant de 1/3 000 000 de dons (proche du risque actuel) à 1/670 000 dons (3,6 fois plus élevé que le risque actuel).
L’importance de la compliance
Cependant, cette analyse quantitative ne tient pas compte d’un éventuel changement de comportement des HSH face à une modification des critères de sélection. Elle nécessite donc d’être complétée par une analyse qualitative de compliance. Il est possible que l’interdiction permanente, vécue par certains HSH comme une discrimination, engendre un détournement de la mesure. Sa levée pourrait être perçue comme une responsabilisation et favoriser une meilleure auto-exclusion des HSH à risque d’infection VIH.
Néanmoins, une mesure moins stricte pourrait être perçue comme une politique de sélection devenant moins importante, et l’auto-exclusion en être réduite. Cela pourrait encourager certains HSH à risque à chercher un dépistage dans les centres de transfusion.
Malheureusement, ces changements potentiels dans l’attitude des HSH sont difficiles à prévoir, et montrent toute la difficulté d’estimer le réel impact qu’aurait la levée de la mesure d’exclusion permanente.
Modélisations anciennes
Plusieurs études ont examiné d’autres critères de sélection des donneurs HSH. L’étude de Germain et al. en 2003 estimait le risque d’accepter les HSH abstinents sur les 12 derniers mois aux Etats-Unis et au Canada. Il était d’un don contaminé par le VIH pour 136 000 dons provenant d’HSH, soit une augmentation du risque de 8 % pour un apport supplémentaire en dons de 1,3 %.
Soldan et Sinka dans leur article de 2003 montraient qu’en Angleterre, accepter les HSH abstinents sur les 12 derniers mois augmenterait le risque VIH de 0,45 à 0,75 don infecté par an, soit une augmentation de 60 %. Le risque d’accepter tous les HSH représenterait une augmentation de 500 % (2,5 dons infectés par an) avec seulement une augmentation de 2 % du nombre de dons.
Dans son article de 2004, « Les droits des receveurs devraient l’emporter sur toutes les revendications des donneurs de sang », Brooks en concluait que le risque augmente alors que le nombre de dons supplémentaires collectés reste faible. Et préconisait de s’intéresser davantage à la « pertinence » du donneur qu’à ses souhaits.
Dans une étude publiée en 2008, Leiss et al. évaluaient au Canada différentes alternatives d’exclusion des HSH (10, 5, 1 an d’exclusion, pas d’exclusion) au regard des principes de la gestion des risques en y incluant des considérations éthiques. L’ouverture aux HSH abstinents sur les 12 derniers mois augmentait le risque de transmettre une infection par transfusion, ce qu’ils considéraient comme non éthique et donc non acceptable. L’ouverture aux HSH abstinents 5 ou 10 ans ne semblait pas augmenter ce risque, mais l’incertitude importante autour des estimations rendait les conclusions difficiles.
Modélisations récentes
Dans une étude de 2009, Anderson et al. ont estimé aux Etats-Unis à 0,5 % l’augmentation du risque VIH si les donneurs HSH abstinents sur les 5 dernières années étaient acceptés au don du sang (0,03 don additionnel infecté par le VIH par an), et à 3 % si les donneurs abstinents sur les 12 derniers mois étaient acceptés (0,18 cas additionnel par an). Ces estimations sont environ 10 fois plus faibles que celles réalisées aux Etats-Unis 10 ans auparavant.
Très récemment en Angleterre, Davison et al. ont réévalué deux mesures alternatives à l’exclusion permanente : exclusion des HSH au cours des 5 dernières années vs pas d’exclusion spécifique aux HSH (10). La première n’augmenterait le risque que de 0,4 % à 7,4 % selon le niveau de compliance des HSH à cette mesure ; la deuxième de 26,5 % (18 % à 43 %). Avec une exclusion d’un an, l’augmentation serait comprise entre 0,5 % à 9,9 % (11), plus faible que l’évaluation de 2003 (6). Le risque additionnel serait compris entre 1 don VIH supplémentaire tous les 455 ans et 1 don tous les 21 ans (11), par rapport au risque en cas d’exclusion permanente. C’est sur la base de cette nouvelle évaluation que les autorités sanitaires anglaises ont pris la décision d’autoriser, à partir du 7 novembre 2011, le don de sang aux HSH abstinents au cours des 12 mois précédant le don.
Des analyses vulnérables
Il ressort de la plupart de ces analyses que la réduction de la durée d’exclusion engendre un risque supplémentaire. Si les études les plus anciennes suggéraient un impact relativement élevé, les plus récentes tendent vers un risque additionnel plus faible, compte tenu notamment du niveau de risque global devenu très faible. Les comparaisons sont délicates car les méthodes ne sont pas les mêmes et les critères pas toujours identiques. De plus, ces analyses de risque sont vulnérables car elles reposent sur de nombreuses hypothèses qui rendent les intervalles de confiance larges.
L’importance de la compliance
Enfin, seule l’étude de Davison et al. en Angleterre a inclus dans son modèle un paramètre de compliance des donneurs. L’analyse montre que la durée de la période d’exclusion semble moins importante que la compliance au critère de sélection. Celle-ci est un paramètre essentiel. Avec une compliance théorique de 100 % quel que soit le critère (1 ou 5 ans), le risque serait réduit de 30 % par rapport à la situation actuelle.
Malgré les limites de ces études, la plupart des experts s’accordent aujourd’hui pour conclure qu’une alternative à l’exclusion systématique des HSH au cours de leur vie pourrait consister à n’exclure les HSH au cours des 12 derniers mois, comme l’ont fait déjà quelques pays (voir encadré) et comme vient de le proposer le Royaume-Uni (Irlande du Nord exceptée). Cette mesure permet de couvrir largement la fenêtre silencieuse du VIH (10 jours) pour les hommes ayant récemment pris des risques, ou pour ceux dont le ou les partenaire(s) a (ont) pris ou pu prendre des risques. Pour que cette alternative assure un niveau de sécurité optimal, il est indispensable qu’elle soit bien acceptée et respectée par les HSH.
Considérations éthiques
En conclusion, il ressort de la plupart de ces analyses que la réduction de la durée d’exclusion engendre un risque supplémentaire. Certes les études les plus récentes montrent que ce risque est très faible, mais est-il acceptable de faire courir un risque additionnel même infinitésimal aux receveurs de produits sanguins ? Il apparait ainsi qu’au delà des données épidémiologiques et des analyses de risque, d’autres considérations notamment d’ordre éthiques doivent être prises en compte, avec en premier lieu l’intérêt du receveur. D’un autre côté, certaines études montrent que la mesure actuelle d’exclusion permanente est détournée et elle présente des limites. Mieux comprendre les motivations des donneurs qui détournent la mesure (discrimination, déni de l’homosexualité, volonté de se faire tester dans un cadre neutre, méconnaissance des risques de transmission du VIH…) permettrait probablement de mieux adapter cette politique à la réalité des motivations des donneurs.